Tout le monde en parle, alors parlons-en : les
lefebvristes pourraient être prochainement réintégrés dans l’Église via une prélature personnelle. Et ça y
est, comme dans une classe de terminale ES, je sens bien qu’au bout d’une
phrase, j’ai perdu les neuf dixièmes de mon auditoire. Lefebvristes ?
Prélature personnelle ???
Point histoire. De 1962 à 1965, le concile de Vatican II fut
à l’origine d’un immense aggiornamento de
l’Église. Sur les dogmes, sur la morale, sur les rites, il fut un grand moment
de réforme de catholicisme dans le sens d’une modernisation et d’une ouverture
au monde. Évidemment, de nombreux fidèles, mais aussi des évêques, s’opposèrent
à ces évolutions. Parmi eux, le plus virulent était sans doute Marcel Lefebvre.
Ses grands refus : la liberté religieuse, l’œcuménisme, le dialogue inter-religieux,
la messe en langue vernaculaire, pour l’essentiel.
En 1970, il fonde la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie-X
(FSSPX), qui regroupe des prêtres fidèles à l’ancienne doctrine, et le
séminaire d’Écône, en Suisse, destiné à en former de nouveaux et ainsi à
renouveler leurs troupes. En 1976, suite à sa décision d’ordonner des prêtres
sans autorisation du Saint-Siège, Marcel Lefebvre est frappé de suspens a divinis (concrètement, il
n’avait plus le droit d’administrer les sacrements). En 1988, il va plus loin
et ordonne quatre évêques, toujours sans autorisation papale. Il est alors
frappé d’excommunication. Il refuse la sentence, ce qui donne naissance à un
schisme au sein de l’Église catholique.
Avant d’aller plus loin, il faut parler un peu du fond. La
question essentielle que posait la FSSPX était la suivante : les
enseignements du Concile de Vatican II étaient-ils, oui ou non, tous
compatibles avec le Magistère antérieur de l’Église ? Et sur ce point, la
réponse est claire : non, ils ne l’étaient pas. Beaucoup d’idées
professées par Vatican II non seulement ne sont pas compatibles avec ce que
l’Église avait auparavant affirmé, mais il y a quelques siècles de cela, elles
auraient même conduit au bûcher ceux qui les auraient tenues publiquement. Ce
que les conservateurs appellent « l’herméneutique de la continuité »,
à savoir la tentative d’interpréter les textes de Vatican II en conformité avec
la totalité du Magistère et de la Tradition, est une pure illusion, vouée à
l’échec.
Les exemples sont légions. Je ne peux en citer ici que
quelques-uns. En 1864, le Syllabus de
Pie IX établit une liste des propositions qui doivent être tenues pour fausses par tout catholique. Parmi
elles : « Il est libre à chaque homme
d’embrasser et de professer la religion qu’il aura réputée vraie d’après la
lumière de la raison. » (§ XV). Ou encore : « C’est avec raison
que, dans quelques pays […], la loi a pourvu à ce que les étrangers qui s’y
rendent y jouissent de l’exercice public de leurs cultes particuliers. »
(§ LXXVIII) De la même manière, en 1832, Grégoire XVI, dans son encyclique Mirari vos, condamne aussi bien la
liberté de la presse que la liberté de conscience.
Or, toutes ces condamnations frappent des idées reconnues
vraies par Vatican II. Dignitatis humanae affirme ainsi la liberté religieuse et la possibilité pour
toutes les religions d’enseigner et de manifester leur foi publiquement. Lumen
gentium affirme que les musulmans et les chrétiens adorent le même Dieu. Nostra
ætate va plus loin en posant la présence d’une vérité dans les religions
non chrétiennes et en promouvant le dialogue interreligieux.
Je passe rapidement sur le mythe
qui voudrait que tout cela ne serait pas bien grave, puisque Vatican II serait
un Concile « pastoral » et non pas « dogmatique ». Faut-il
rappeler que, sur les quatre constitutions produites par le Concile, deux sont
qualifiées de « dogmatiques » ? Dont, justement, la très critiquée
Lumen gentium.
Force est donc de le
constater : sur la question de savoir si les enseignements de Vatican II
étaient tous compatibles avec la Tradition et le Magistère antérieurs, Marcel
Lefebvre et la FSSPX avaient raison ; ils ne le sont pas. Il faut donc en
effet faire un choix : soit on est fidèle à la Tradition antérieure, soit
on est fidèle à Vatican II, mais on ne peut pas être fidèle entièrement aux
deux à la fois : ce serait contradictoire.
Ce point étant réglé, revenons à l’histoire. Depuis le
schisme de 1988, la FSSPX continue son œuvre, et le dialogue entre elle et le
Vatican n’a jamais été rompu, sans pour autant parvenir à le résorber. Mais
depuis quelques mois, on parle de plus en plus de la possibilité de réintégrer
officiellement les tradis de la FSSPX en créant pour eux une prélature
personnelle. Pour faire vite, une telle institution (créée, ironie de
l’histoire, par le Concile de Vatican II…) regroupe des clercs – diacres,
prêtres et évêques – autour d’un engagement particulier ; ils sont placés
sous l’autorité d’un prélat qui lui-même dépend directement du Saint-Siège. Les
prélatures personnelles sont assez proches des ordinariats militaires destinés
aux soldats catholiques, ou encore des ordinariats personnels qui regroupent les
anciens fidèles anglicans ayant demandé leur rattachement à l’Église
catholique.
La FSSPX pourrait donc prochainement devenir à son tour une
prélature personnelle. Un évêque serait nommé à sa tête par la Fraternité, puis
confirmé par le pape ; elle rassemblerait les prêtres et évêques qui
demanderaient à la rejoindre ; elle aurait le droit de célébrer la messe
comme elle l’entend (c’est-à-dire en latin et selon le rite de Pie V). Reste
une question majeure : aurait-elle le droit de refuser certains enseignements
de Vatican II ?
Pour l’instant, c’est sur ce point, et sur ce point
seulement, que les discussions achoppent. Benoît XVI avait envoyé une multitude
de signaux favorables à la FSSPX (motu proprio Summorum pontificum en 2007, levée des excommunications des évêques
schismatiques en 2009…) et on s’attendait alors à un retour de la Fraternité
dans le giron de l’Église. Mais le pape avait cherché à imposer à ses membres un
« préambule doctrinal » établissant leur adhésion à l’ensemble des
dogmes établis par le Concile, ce qu’ils avaient refusé.
Théoriquement, on en est toujours là. Mais le pape François,
contrairement à Benoît XVI, n’est pas un dogmatique ; il se pourrait, même
si à ce stade rien n’est encore certain, qu’il accepte de réintégrer la FSSPX à
l’Église sans chercher à les faire plier sur le plan doctrinal. Il sait que, de
toute manière, la plupart des membres de la Fraternité ne peuvent pas, en leur âme et conscience, accepter le Concile.
S’il y a une qualité qu’on peut leur reconnaître, c’est la clarté, l’honnêteté,
la franchise : quand ils ne sont pas d’accord avec quelque chose, ils le
disent. Ils n’essayent pas, contrairement à bon nombre de conservateurs ou de
traditionnalistes non schismatiques, de tordre les textes et de leur faire dire
le contraire de ce qu’ils disent pour faire croire que des contradictions
pourtant éclatantes n’existent pas. Par conséquent, ils n’accepteront jamais aucun texte qui les ferait plier sur
ce qui les dérange dans Vatican II. Et François se dit peut-être qu’après tout,
ce ne serait pas un prix si élevé à payer pour mettre fin au schisme.
Face à cela, les réactions des catholiques réformateurs,
d’ouverture ou « modernistes » se résument en général à un refus
scandalisé. Certains vont même jusqu’à en faire une ligne rouge :
« c’est eux ou nous ! S’ils reviennent, on s’en va. » Or, cela
me semble parfaitement absurde ; et je crois même, pour ma part, que la
réintégration des intégristes schismatiques dans l’Église serait une excellente nouvelle.
Ça vous semble paradoxal ? De toute évidence, je suis
en désaccord total, radical, absolu avec les positions de la FSSPX. Sur tous
les points qui ont donné naissance au schisme, je suis d’accord avec l’Église
de Vatican II bien plus qu’avec eux. Si je veux les réintégrer, ce n’est donc
évidemment pas parce que je soutiendrais leur position ; c’est parce que
ça signifierait que l’Église n’imposerait plus aux fidèles l’acceptation de l’ensemble des dogmes professés pour se
dire catholique.
Je crois que la plupart des gens ne mesurent pas l’immense
révolution que cela représenterait dans l’Église. Une des choses dont elle
crève, notre Église, c’est justement son dogmatisme. L’attachement aux dogmes,
voilà notre faiblesse et notre grande tentation. On ne mesure pas assez tout ce
qui découle de là. Sa première manifestation, c’est l’idée que l’Église a
toujours eu raison, qu’elle n’a jamais erré, ne s’est jamais trompée ;
idée si manifestement absurde qu’elle a éloigné du catholicisme de très
nombreuses personnes. De là découlent d’autres inepties comme l’infaillibilité
pontificale ou le mythe du développement continu et non contradictoire du dogme
– encore de véritables repoussoirs.
Le premier pas vers la guérison de cette maladie mortelle,
de cette addiction aux dogmes, c’est justement d’admettre l’évidence : il
n’est pas besoin d’adhérer à l’ensemble de ce que l’Église a toujours reconnu
comme vrai pour se dire catholique. De toute manière, si c’était nécessaire,
des catholiques, il n’y en aurait aucun. Personne, absolument personne,
n’adhère entièrement à l’intégralité du Magistère ; ceux qui prétendent le
contraire soit ne le connaissent pas assez, soit son de mauvaise foi. Cela,
l’Église ne veut pas encore le voir. Mais accepter le retour des lefebvristes
sans les faire plier sur Vatican II, ce serait enfoncer un énorme coin dans ce
mythe destructeur. Car si on accepte que la FSSPX revienne sans adhérer à
Vatican II, ça signifie que nous, en retour, nous avons le droit de refuser
Vatican I sans cesser pour autant de nous proclamer catholiques. Pour faire simple, l’Église reconnaîtrait enfin, réellement, le
primat de la conscience personnelle sur l’enseignement magistériel.
Bien sûr, il faudrait se battre pour éviter
que les autorités romaines ne fassent deux poids, deux mesures. Mais ce combat
serait gagné d’avance, car il aurait pour adversaire une contradiction logique.
Il ne faut donc pas avoir peur d’un retour
des lefebvristes au sein de l’Église : bien au contraire, il faut
l’espérer et y travailler ! D’abord parce que, en toute logique, nous qui
revendiquons pour nous-mêmes la liberté de conscience et le droit de critiquer
l’enseignement de l’Église, nous ne pouvons pas raisonnablement refuser ces
mêmes droits à nos frères traditionnalistes. Si nous voulons avoir le droit de
critiquer l’enseignement de l’Église en matière de contraception ou de prêtrise
des femmes, il faut bien leur laisser celui de le critiquer aussi en matière
d’œcuménisme ou de liberté religieuse ! Mais aussi parce que, d’un point
de vue stratégique, un retour de la FSSPX sans capitulation doctrinale serait
un précédent sur lequel nous pourrions à jamais nous appuyer à l’avenir.
De
même que le Christ nous rappelait que nous n’avons guère de mérite si nous
faisons du bien à nos amis, je dirais que nous n’en avons pas plus si nous n’acceptons
dans l’Église que ceux qui sont plus ou moins d’accord avec nous. Depuis le XIXe
siècle, l’Église est fracturée, et les traditionalistes essayent de nous en
chasser au motif que nous refusons des dogmes de l’Église. Maintenant que le
pape est un peu plus de notre côté, ne nous abaissons pas à leur niveau.
Montrons-leur que nous les accueillons au contraire et que, même si ce n’est
pas réciproque, nous les reconnaissons comme nos frères. Assumons nos
désaccords, traitons-les en adversaires, mais pas en ennemis. La cohabitation
au sein de la même Église sera sans doute plus difficile que de construire deux
Églises séparées, une pour eux et une pour nous, mais je crois tout de même que
sur ce chemin ardu, nous avons beaucoup à gagner.
Je n'avais jamais vu les choses sous cet angle, mais c'est tellement vrai....L'Eglise étouffe du dogmatisme et de la simple crainte de formuler un avis contraire qui pourrait mettre à mal la belle "unité" de ladite Eglise. Et tout le monde se tait.
RépondreSupprimercet article vous ouvre à la compréhension de l'accueil ou non au dogme j 'ai souvenir comme catéchiste , des discussions sur la contraception avec le prêtre et des différences de vision , on en déduisait que la conscience prime le dogme . l'infaillibilité du pape aussi nous posait problème Merci pour cet article
RépondreSupprimerDes « quasi-dogmes » et leur possible évolution :
RépondreSupprimerUn « quasi-dogme » dont l’évolution est sensible dès maintenant est l’interdiction, pour l’évêque, de dénoncer un prêtre pédophile et l’obligation qu’il a de garder le silence à son propos.
En effet, au lieu d’une obligation de garder le silence, l’évêque aura désormais une obligation de dénonciation car son silence ne sera plus toléré.
A partir de maintenant, il y aura donc une « tolérance zéro (du silence) » parce qu’à l’heure des réseaux sociaux – où tout finit par se savoir – l’Eglise se rend compte que ses roublardises d’antan ne marchent plus (voir aussi ci-dessous)
http://www.lavie.fr/religion/catholicisme/les-errements-d-un-proces-canonique-29-03-2010-4914_16.php
Un autre « quasi-dogme » susceptible d’évoluer dans un avenir plus ou moins proche est l’interdiction, pour un prêtre, de se marier et l’obligation qu’il a de rester célibataire.
Mais jusqu’à quand ce « quasi-dogme » sera-t-il conservé en l’état ?
(car ici aussi, il est question de cas particuliers et d’exceptions – avec ou sans roublardises – pour échapper à la règle).