mercredi 5 novembre 2014

Église vieille-catholique : 1 – FSSPX : 0


La politique vaticane, c’est toujours une affaire très, très délicate, faite de mille petits secrets, de mille petites obscurités, de mille petites discrétions. Comme, à la base, les gens ne s’y intéressent en général pas plus que ça, pas étonnant que l’information ait souvent du mal à circuler, et surtout à se vérifier.

Nous venons d’assister à un de ces petits événements discrets mais potentiellement assez significatifs : le pape a rencontré les représentants de l’Église vieille-catholique.

Pour ceux qui ne connaissent pas cette auguste institution, un peu d’histoire. Le schisme vieux-catholique remonte à 1723 : les chanoines d’Utrecht, dans les Provinces-Unies (actuels Pays-Bas), mécontents du vicaire apostolique imposé par Rome, élisent à sa place Cornelius Steenoven comme archevêque. Ce dernier est consacré évêque par Dominique Marie Varlet, ancien coadjuteur de Bossuet et évêque in partibus de Babylone. Logiquement, le pape réplique en excommuniant le nouvel archevêque d’Utrecht et ses fidèles. Le schisme est consommé et l’Église vieille-catholique est née (quoique pas encore sous ce nom), bénéficiant, il est important de le noter, de la succession apostolique via Dominique Marie Varlet.

Par la suite, le fossé se creuse entre Rome et les vieux-catholiques. En 1851, le Saint-Siège nomme à Utrecht un archevêque catholique romain, ce qui exacerbe les tensions avec les vieux-catholiques. Ces derniers refusent en 1854 le dogme de l’Immaculée conception, puis en 1864 le Syllabus de Pie IX qui condamne les « erreurs modernistes » (parmi lesquelles la liberté de choisir sa religion, la liberté de culte, la possibilité d’obtenir le salut hors de l’Église catholique, l’idée que l’Église n’a pas le droit d’employer la force, celle que des catholiques puissent approuver un système éducatif séparé de l’Église, j’en passe et des meilleures).

La mesure est comble avec le concile de Vatican I, en 1870, qui proclame l’infaillibilité du pape. Ce nouveau dogme est lui aussi rejeté par les vieux-catholiques ; mais cette fois-ci, ils sont rejoints par de nombreux catholiques libéraux, originaires principalement d’Europe du Nord, qui s’organisent et se rassemblent en 1889 sous le nom d’Union d’Utrecht. Tout en recherchant la pleine communion avec Rome, elle travaille à une réforme profonde de l’Église catholique, en particulier par l’autonomie des Églises locales par rapport au pape, qui verrait son pouvoir grandement réduit. Elle œuvre d’ailleurs activement à l’œcuménisme, son ecclésiologie étant proche à bien des égards de celle des orthodoxes ou des anglicans (l’Union d’Utrecht est en pleine communion avec ces derniers).

L’Église vieille-catholique a depuis accompli de nombreuses évolutions heureuses : usage des langues vernaculaires dans la liturgie (en 1877, donc près d’un siècle avant que l’Église catholique romaine, avec Vatican II, ne se décide enfin à suivre le même chemin), abandon du célibat obligatoire des prêtres, autorisation des remariages après divorce ; aujourd’hui, certains groupes ordonnent des femmes et bénissent des unions homosexuelles.

L’Église vieille-catholique n’est peut-être pas exactement celle de mon cœur, mais elle est sans aucun doute une de celles qui s’en rapproche le plus. À vrai dire, à la fin du pontificat de Benoît XVI, je songeais très sérieusement à les rejoindre, et c’est seulement l’élection de François qui m’a convaincu d’attendre.

C’est donc cette Église que le pape vient de rencontrer officiellement – une première, même si une commission vaticane est depuis longtemps chargée de dialoguer avec elle.

On ne peut pas ne pas établir le lien avec la Fraternité Sacerdotale Saint Pie X (FSSPX). Tout comme l’Église vieille-catholique, quoique bien plus récemment (en 1988), la FSSPX a fait un schisme avec Rome sur des questions dogmatiques ; elle bénéficie également, par Marcel Lefebvre, de la succession apostolique. La seule différence entre les deux institutions – elle est évidemment de taille – réside sur le fond : alors que l’Union d’Utrecht porte la vision d’une Église profondément réformée, mais plus fidèle à ses origines anciennes, la FSSPX combat pour le retour à l’Église rigoriste qui va du Concile de Trente (1545-1563) à celui de Vatican II (1962-1965).

Sous le pontificat de Benoît XVI, la FSSPX était clairement l’objet de toutes les attentions. Ma théorie, déjà exprimée dès l’annonce de sa résignation, est même qu’il avait fait de la résorption du schisme lefebvriste la mission principale de son règne, et que c’est quand il a compris que cette tâche était irrémédiablement vouée à l’échec qu’il a décidé de laisser la place à quelqu’un d’autre.

François n’a pas renouvelé les efforts de son prédécesseur pour réintégrer les schismatiques traditionnalistes : le dialogue entre Rome et Écône est au point mort. Mais cette rencontre avec les vieux-catholiques indique qu’il pourrait rechercher envers eux ce que Benoît XVI recherchait avec la FSSPX.

Il est difficile d’en être sûr, car François, à l’inverse de Benoît XVI, est un véritable homme politique, rusé, dissimulé, calculateur, manipulateur même – ce ne sont, sous ma plume, pas des critiques. Mais si la tendance se confirme, il n’est pas exclu que François réfléchisse à une réforme profonde de l’Église, dans le sens de ce que demande l’Église vieille-catholique depuis près de trois siècles. Sandro Magister, sur le site Chiesa (pas franchement réformateur), fait une analyse comparable en rapprochant les évolutions soutenues plus ou moins ouvertement par le pape, la rencontre avec les vieux-catholiques et l’œcuménisme de l’École de Bologne.

Le travail est immense, la lutte est très loin d’être gagnée, l’échec est possible, si ce n’est probable ; mais il y a de l’espoir.

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