Rien ne peut justifier, excuser, minimiser ce qu’a
probablement fait le père Preynat aux très nombreuses personnes qui l’accusent.
Si ce qu’ils disent est vrai, et je le crois sans l’ombre d’un doute, puisqu’il
avoue lui-même l’essentiel des faits, et tant la masse des témoignages qui l’accablent
est importante, ses crimes sont épouvantables. Et il est inquiétant de
constater que l’Église ne semble toujours pas prendre toute la mesure de l’horreur
qui se révèle.
C’est vrai pour le clergé, dont une large part reste arc-boutée
sur des positions dogmatiques qu’il est pourtant bien difficile d’exonérer
complètement de toute responsabilité en la matière. Comment croire qu’un célibat
et une abstinence sexuelle non choisis puissent n’avoir aucun rapport avec l’ampleur
des crimes pédophiles dans l’Église ? Le cardinal Sarah, qui il est vrai
ne manque jamais l’occasion de dire une sottise pour peu qu’elle ait été
défendue par le Magistère depuis quelques siècles, vient ainsi de publier un
livre dans lequel il demande qu’on ne touche surtout pas à cette discipline du
célibat des prêtres. Son livre, publié avec la complicité plus ou moins consciente
de Benoît XVI, aura un mérite auquel il n’a sans doute pas pensé : en
mettant en scène l’affrontement idéologique entre deux papes vivants, il
contribuera à affaiblir l’autorité papale, en montrant que les évêques de Rome
ne sont finalement que des hommes, et pas les demi-dieux que beaucoup de catholiques
ont trop tendance à voir en eux. C’est peu au regard de la défense d’une discipline
qui, si elle peut se justifier quand on la choisit, fait tant de mal quand elle
est imposée.
Mais c’est vrai aussi pour les fidèles, les catholiques de
la base, qui sont aussi l’Église, et qu’on voit refuser de répondre aux questions
des journalistes sur l’affaire Preynat au sortir de la messe, et fuir l’air
offensé en criant au complot et à l’acharnement médiatique. Il est inquiétant
de voir la ghettoïsation, la balkanisation, la communautarisation de la France prendre
une telle ampleur que les gens cessent ainsi de réfléchir pour se contenter de réagir,
réagir « en » quelque chose, ici « en » catholiques :
oh, ah, grrr ! encore une accusation de pédophilie qui sort dans les
médias ! Éteignons les cerveaux, c’est de l’acharnement.
Pour autant, il est également inquiétant d’entendre les
journalistes qui couvrent le procès parler, sans la moindre précaution
oratoire, des « victimes » du père Preynat, de ce qu’il leur « a
fait subir », bref sans s’embarrasser d’un soupçon de présomption d’innocence,
et précisément comme si justice était déjà rendue. Encore, dans ce cas précis,
est-ce moins grave du fait que l’accusé reconnaît lui-même les crimes dont on l’accuse,
même s’il semble n’en pas mesurer pleinement la gravité. Mais dans bien d’autres
affaires, ou dans des affaires connexes, les journalistes ne prennent pas plus
de gants : c’est inquiétant.
Il est inquiétant aussi de voir ces mêmes journalistes ne
pas opposer la moindre critique, la moindre mise au point, que dis-je ?
pas même la moindre nuance ou le moindre questionnement quand une des victimes
présumées affirme que la prescription des crimes commis ne devrait pas exister.
Qu’il le ressente, qu’il le croie, c’est très compréhensible ; ça s’explique
par les souffrances inouïes qu’il a probablement vécues. Mais justement, quand on
est victime, on est rarement le mieux placé pour savoir ce qui est juste. Si quelqu’un tuait un de mes
fils, je sais très bien que je n’aurais plus qu’un désir, l’emmurer vivant dans
une cellule minuscule et l’y faire croupir pour le restant de ses jours, comme
dans Les Maîtres de l’orge – sauf que
je lui aurais sans doute arraché les ongles et les dents auparavant. Mais
est-ce que la réalisation de ce désir serait juste ? À l’évidence non, et c’est justement parce que, Dieu
merci, je ne suis pas victime de ce drame, que je peux le voir.
Le Monde a publié, le 10 janvier dernier, un article qui
rappelle qu’« une société sans oubli est une société tyrannique ».
Rappel salutaire. Il est inquiétant qu’il soit nécessaire.
L’Église ne parvient pas à ouvrir les yeux sur l’horreur de
ce qu’elle a, sinon bâti, du moins couvert et protégé ; et l’École, obnubilée
qu’elle était par la promotion acharnée de la démocratie et de la souveraineté populaire,
a échoué à transmettre tout le reste de nos valeurs les plus fondamentales,
pourtant infiniment plus précieuses et plus importantes : la présomption d’innocence, la nécessité de l’oubli et du pardon pour faire vivre une société,
l’importance d’un procès contradictoire et des droits des accusés. Il y a des
raisons d’être inquiet.
Le père Preynat (photo Maxime Jegat pour Le Progrès) |
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