En juin dernier, j’ai écrit un billet duquel je ne retire
pas un mot aujourd’hui, et dans lequel j’affirmais que la crise écologique est une guerre ; elle ne s’apparente pas à une guerre, j’insiste,
elle en est une. J’y traçais un
programme ambitieux mais qui me semble le seul qui ait à grande échelle quelque
chance de n’être pas un échec complet : économie de guerre, culture de
guerre, politique de guerre.
J’insistais en particulier sur l’impérieuse nécessité de l’union des maigres forces de l’écologie
radicale. Il y a assez peu de vrais écologistes dans nos sociétés, et l’immense
majorité d’entre eux sont des écologistes modérés, c’est-à-dire qui pensent qu’on
peut très bien s’en sortir en gardant le capitalisme, la libre entreprise, la
technique industrielle, la voiture individuelle, la piscine pour tous, tant qu’on
moralise tout ce petit monde, c’est-à-dire, de leur point de vue, tant qu’on
achète bio, qu’on roule en trottinette électrique et qu’on pisse sous la
douche. Autant dire que les autres sont une toute, toute petite minorité. Les
autres, c’est-à-dire les écologistes radicaux : pas forcément violents, car on peut très bien être radical sans être violent ; ceux qui ont compris que, quand la Crise est
systémique, c’est le Système qu’il faut changer, bref que ce n’est qu’en
remontant à la racine des problèmes qu’on
peut les résoudre.
Quand on n’est pas nombreux, il faut s’unir si on veut être
un peu moins faibles. Aujourd’hui, force est de constater que le compte n’y est
pas.
Car enfin, regardons les choses en face. Qu’une personne comme
Ségolène Royal, qui est à l’écologie ce que le pape Alexandre VI Borgia fut au christianisme
(le succès en moins), soit contre Greta Thunberg, contre Extinction Rebellion,
bref contre tout ce qu’il y a de vraiment écolo dans nos sociétés, c’est assez
logique, le contraire serait même bien surprenant. À plus forte raison, qu’un
homme comme Laurent Alexandre, qui est le Saruman de notre époque parce que,
voyant lucidement arriver le triomphe du pire des totalitarismes, il prétend qu’on
ne peut rien faire contre et ne cherche plus qu’à en profiter au maximum, qu’un
homme aussi dénué de sens moral et d’intérêt pour le bien public se définisse comme « anti-Greta
Thunberg », là encore, quoi d’étonnant ?
Ce qui sidère, en revanche, et qui témoigne soit d’un manque
terrifiant de sens stratégique, soit d’un désir de souffrir qui renverrait le
baron de Charlus à l’enfance du masochisme, c’est de voir les écologistes
radicaux se taper les uns sur les autres comme s’ils n’avaient pas assez d’ennemis.
J’avais déjà parlé de la violence des attaques entre les
vegans ou plus généralement les végétariens et ceux qui ne le sont pas. Je m’étais également élevé contre la tendance qu’a le journal La Décroissance à tirer à boulets rouges contre tous ceux qui ne
pensent pas exactement comme lui. J’aime ce journal, je l’achète à chaque fois
que je peux, et à chaque fois je le lis de A à Z – cas unique pour moi dans la
presse.
Aujourd’hui pourtant, c’est encore La Décroissance qui donne l’exemple de ce qu’il ne faudrait pas
faire entre écologistes. Une nouvelle fois, ils n’aiment pas : ils n’aiment
pas Greta Thunberg, eux non plus, qu’ils voient forcément comme manipulée puisque
« ce n’est certainement pas la place d’une enfant que de promouvoir cette
démarche[1] »
– ah, pourquoi pas ? et est-on encore un enfant à seize ans ? Un
journaliste s’insurge contre « ces gosses mal élevés qui font la leçon aux
adultes[2] ».
Le journal en vient à appuyer les critiques contre la jeune militante de Pascal
Bruckner, sans doute un des plus grands ennemis de l’écologie en France, et à
pronostiquer que les « premiers signes [du totalitarisme vert] pourraient
n’être ni une mèche brune ni une moustache de petit père, mais le visage mutin
et troublant d’une jeune fille trop bien élevée[3] »
– mal élevée, trop bien élevée, on s’y perd.
Ils n’aiment pas non plus Extinction Rébellion, dont « le
prétendu second degré » masquerait « mal leur indigence politique[4] »
(comprendre : ils ne militent pas assez clairement contre le capitalisme
et pour la démocratie directe et autogérée). Même Alain Barreau, un de ceux
dont le discours est de loin le plus proche du leur, leur reste suspect (« Nous
demeurons vigilants[5] »…)
pour avoir participé à l’action en justice contre l’inaction climatique de l’État…
La Décroissance, n°161, juillet-août 2019. Cette caricature pourrait être extraite du Point ou de Valeurs actuelles. |
« Juste retour, monsieur, des choses d’ici-bas » ?
La Décroissance est elle aussi
victime des pratiques qu’elle a trop souvent tendance à adopter contre le reste
de l’écologie radicale. Suite à leur numéro de l’été 2019 « Contre la grande
confusion », des appels ont été relayés, du sein même de l’écologie
radicale, à brûler les numéros du journal et à l’interdire dans tous les
rassemblements militants. Ils ont été suivis d’effets, puisqu’aux Bure’lesques
de Bure, leur stand a été saccagé, et des numéros du journal effectivement brûlés.
On en est donc là entre nous : les uns insultent, moquent et invectivent
les autres qui brûlent les journaux des premiers.
Alors soyons bien clairs : je n’étais pas du tout d’accord
avec l’ensemble du dossier « contre la grande confusion ». Outre les
attaques citées plus haut contre Thunberg, j’avais trouvé que certains passages
étaient effectivement à la limite de l’homophobie, et pas forcément du bon côté
de la limite. Si j’étais d’accord avec eux contre la PMA, leurs arguments me
semblaient souvent contre-productifs, voire mauvais, et je ne soutenais pas
leur lutte contre la GPA. Et leur ton, comme trop souvent, était agressif,
moqueur, voire hautain ou méprisant, y compris contre d’autres écologistes
radicaux. Ils ont beau jeu ensuite de dire que « la situation est tout
simplement tragique » et de se demander s’il est « encore temps de
discuter, de confronter sereinement et pacifiquement[6] » :
peut-être pas, mais à qui la faute ?
Il est donc urgent de calmer le jeu. L’appel que je lançais
en juin dernier à l’union de l’écologie radicale est plus que jamais d’actualité.
L’union n’est pas la fusion : chaque groupe, chaque mouvement, chaque
parti, chaque média, chaque personne gardera son identité, ses caractéristiques,
ses idées, ses valeurs, ses croyances, mais les mettront au service d’un but
commun. Il n’y a que comme cela que nous pouvons espérer peser un peu dans le
débat public et infléchir les choses avant qu’il ne soit trop tard.
Et pour cela, il faut s’accepter
les uns les autres. La liberté, disait Rosa Luxembourg, c’est toujours la
liberté de celui qui pense autrement. Les vegans doivent accepter qu’ils ne
gagneront pas la guerre sans les omnivores, et les opposants à la PMA qu’ils ne
la gagneront pas plus sans ses partisans. Fais-tu de la défense de la vie le
premier but de ton action ? Es-tu conscient qu’il nous faut sortir du
Système pour espérer affronter la Crise écologique ? Si oui, tu peux
penser ce que tu veux par ailleurs, tu es mon frère d’armes.
Cela passera nécessairement par la mise en place d’une
plate-forme commune de l’écologie radicale, mais aussi par une déontologie de
nos modes de débat : nous devons pouvoir parler de tout et nous dire
franchement les choses, mais en interne, sans tout étaler sur la place
publique, et en évitant d’être violents les uns avec les autres. Nous sommes en
guerre, certes, mais ne nous trompons pas de guerre.
[1]
La Décroissance, n°161, juillet-août 2019,
dossier spécial « Contre la grande confusion ».
[2]
La Décroissance, n°163, octobre 2019.
[3]
La Décroissance, n°165, décembre
2019-janvier 2020.
[4]
Idem.
[5]
La Décroissance, n°161, juillet-août 2019.
[6]
La Décroissance, n°163, octobre 2019.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire