Pour essayer d’explorer rapidement l’épineuse question de la
définition de la droite et de la gauche en politique, j’ai déjà écrit deux
billets (ici et ici) ; tous deux tendaient à montrer qu’entre les partis de
gouvernement dits « de gauche » et les partis de gouvernement dits « de
droite », la frontière avait tendance à s’affaiblir, et que les uns comme
les autres menaient des politiques de plus en plus similaires – sans aller pour
autant jusqu’à nier les différences objectives et parfois importantes qui les
séparent encore.
La loi El Khomri, actuellement en discussion, nous donne une
occasion de préciser la définition de ces deux camps apparemment si
irréconciliables, alors qu’ils sont aussi apparemment si proches.
Que cette loi soit une infamie, c’est pour moi une évidence,
et j’ai par avance la flemme de le démontrer. On verra ce qu’il en sera après
la première reculade du gouvernement, bien sûr ; encore que je ne pense
pas qu’ils toucheront à l’essentiel. Mais ce qui est certain, c’est que dans sa
version d’origine, cette loi est scélérate. Assouplissement du temps de travail
(il sera possible de travailler jusqu’à 12h. par jour et 60h. par semaine),
diminution de la valorisation des heures supplémentaires, plafonnement des
indemnités prud’homales en cas de licenciements, eux-mêmes facilités,
organisation du contournement des syndicats : Jean-Luc Mélenchon n’a pas
tort quand il affirme que cette loi nous renverrait au XIXe siècle.
Pour tout dire, on a du mal à concevoir que le parti qui la porte soit celui-là
même qui avait instauré les congés payés.
Mais à la rigueur, ce n’est pas cela qui m’intéresse :
finalement, ça ne fait que démontrer ce que je répète depuis des années, à
savoir que la différence essentielle ne passe plus entre ce qu’on appelle « la
droite » et ce qu’on appelle « la gauche », mais bien entre les
conservateurs, qui veulent préserver le cadre général du Système économique et politique
actuel (conservateurs dont, à l’évidence, l’essentiel des membres du PS fait
partie), et les radicaux, qui veulent faire exploser ce cadre et construire un
contre-modèle à la place. Non, ce qui est vraiment intéressant, c’est de voir
sur qui cette loi tape, et sur qui elle ne tape pas.
Sur qui tape-t-elle ? Sur les travailleurs précaires ou
pauvres, quel que soit leur statut (salariés du tertiaires, ouvriers etc.). Eux,
qui vivent déjà dans des conditions extrêmement difficiles, vont voir leur
existence encore fragilisée. On essaye encore une fois de leur vendre le vieux truc de la flexisécurité, ce qui, concrètement, signifie que les patrons ont la
sécurité et qu’eux ont la flexibilité, donc l’insécurité.
Sur qui ne tape-t-elle pas ? Sur les patrons, évidemment,
grands gagnants de l’affaire – d’ailleurs, voir le MEDEF et les députés de
droite applaudir la loi devrait mettre la puce à l’oreille de ses quelques défenseurs
qui se prétendent de gauche. Mais ce n’est pas tout : la loi ne tape pas
tellement non plus sur les fonctionnaires. Parce qu’il faut être honnête :
assouplir le temps de travail, faciliter les licenciements et limiter les
indemnités prud’homales, nous, ça ne nous concerne pas des masses.
Alors bien sûr, tout à fait égoïstement, je me réjouis.
Merci, mesdames et messieurs les députés PS, de n’avoir pas touché à mon
précieux statut ! Je vous en suis sincèrement reconnaissant. Mais au-delà
de cette gratitude toute personnelle et pas très altruiste, comment analyser
cette générosité ? Faut-il y voir un oubli de la part du gouvernement ?
Non : il faut l’analyser comme un acte clientéliste.
Que le PS, dans sa loi, tape sur les pauvres, montre qu’ils
ont au moins compris une chose : ils ont perdu les classes populaires, qui
passent massivement à l’extrême-droite. Partant, ils peuvent leur taper dessus :
de toute manière, ils ne votent déjà plus pour eux. Inversement, favoriser le
patronat peut leur faire gagner quelques voix. Quant au fait de ne pas toucher
à la fonction publique, c’est la clef de voûte du clientélisme : les
fonctionnaires sont reconnus pour ce qu’ils sont, à savoir le socle de l’électorat
PS – à ménager absolument, donc.
Symétriquement, on peut remarquer que, lorsqu’ils étaient au
pouvoir, les membres de l’UMP tapaient à peu près autant sur les pauvres, et offraient
à peu près autant de cadeaux aux riches (même reconnaissance de la nouvelle orientation
du vote populaire, même tentative de racoler le patronat et les classes aisées
et même moyennes), mais faisaient des fonctionnaires une de leurs cibles
privilégiées, reconnaissant ainsi que, de toute manière, ils savaient qu’ils ne
voteraient pas massivement pour eux.
Voilà donc à quoi se résume, pour une large part, l’opposition
entre la droite de gouvernement et la gauche de gouvernement : des politiques
largement identiques, mais accablant ou privilégiant des cibles légèrement différents.
Finalement, ce qui les rassemble le mieux, c’est encore l’obsession sécuritaire :
la nouvelle loi antiterroriste accorde à la police des pouvoirs exorbitants,
des gardes à vue sans avocat, un droit d’arrestation de personnes à qui l’on n’a
rien à reprocher, des pouvoirs d’intrusion et de surveillance démesurés ;
là, tout le monde applaudit, la droite et la gauche sont soudainement d’accord.
Pas étonnant que l’extrême-droite monte. Ce qui est
étonnant, c’est que l’antiparlementarisme et plus généralement l’opposition à
la démocratie ne progressent pas plus vite ; mais je crois que ça ne
tardera guère.
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