Interrogé sur sa visite à une greffière américaine brièvement
emprisonnée récemment pour avoir refusé d’enregistrer des mariages homosexuels,
le pape François s’est défendu en affirmant que l’objection de conscience était
un droit ; il a même été plus loin en affirmant qu’elle « entrait dans
les droits de l’homme ». C’est factuellement faux : elle n’est pas
mentionnée par les deux principales déclarations des droits de l’homme, celle
de 1789 et celle de 1948. Mais après tout, on pourrait se poser la question :
devrait-elle y faire son entrée ?
La réponse, cependant, s’impose : non. On le montre
très facilement par un raisonnement par l’absurde. En effet, si vraiment l’objection
de conscience était un droit qui devait être garanti, il devrait évidemment l’être
à tous. Or, qui pourrait de bonne foi demander une société dans laquelle un
raciste aurait le droit de se réfugier derrière l’objection de conscience pour
refuser de marier un noir et une blanche ? Si un maire, athée convaincu,
estime qu’une catholique représente un réel danger pour l’éducation des futurs
enfants, peut-il refuser de la marier à un autre athée ? On ne peut même pas
s’abriter, pour défendre une éventuelle spécificité de l’objection de
conscience face aux couples homosexuels, derrière le fait que le racisme est un
délit, puisque l’homophobie en est un autre.
On retrouve finalement ce que je disais sur l’avortement :
à partir du moment où on estime que c’est légal, il faut en offrir la
possibilité réelle, matérielle, concrète, aux citoyens, sans quoi il est
hypocrite ou vide de sens de prétendre que c’est « légal ».
Non pas qu’il faille absolument contraindre des personnes bien
précises à faire des choses qui vont à l’encontre de leur conscience ; après
tout, un maire qui ne voudrait absolument pas marier un couple homosexuel ou
interracial n’a pas à être contraint de le faire. Mais si « objection de
conscience » il y a, elle n’est pas un dû à celui qui la pratique, et elle
ne peut se faire qu’à condition de respecter certaines règles.
La première, c’est que personne ne doit en subir les conséquences.
Si un médecin ne veut pas pratiquer un avortement, la femme qui désire avorter
doit être immédiatement prise en charge par un autre médecin dans le même établissement ;
de la même manière, si un maire ne veut pas célébrer lui-même le mariage de
deux hommes, il faut que le mariage ait lieu au jour prévu et de manière
conforme à la loi. Et en cas d’impossibilité de prise en charge par quelqu’un d’autre,
il est fondamental de préciser que c’est le droit du demandeur qui prime, pas
celui du médecin ou de l’officier d’état civil. Autrement dit, un médecin ne
peut légitimement refuser de pratiquer un avortement que si la femme qui le
demande a la possibilité matérielle d’être immédiatement prise en charge sur le
même lieu par quelqu’un d’autre.
J’irai même plus loin : dans le cas d’un mariage, les
mariés ne doivent pas pouvoir ressentir de discrimination, ce qui veut dire,
concrètement, que le maire doit s’abstenir de célébrer d’autres mariages durant
la demi-journée. Comment se sentiraient-ils s’ils s’apercevaient que le maire d’une
grande ville célèbre, un samedi après-midi, tous les mariages, sauf le leur ?
C’est évidemment inacceptable. De cela découle la seconde règle : le
silence. Un maire qui ne veut pas marier deux hommes, ou un noir et une
blanche, un médecin qui ne veut pas pratiquer un avortement peuvent s’abstenir
de le faire, mais ils doivent également s’abstenir d’en faire étalage ;
parce qu’en faire étalage, c’est déjà imposer l’objection de conscience à quelqu’un
qui n’a fait que demander une chose conforme à la loi.
Tout cela, finalement, devrait être évident de par la nature
même de l’objection de conscience. L’objection de conscience, c’est refuser de
faire quelque chose que la loi impose, ou chercher à empêcher quelque chose que
la loi permet. C’est donc, forcément, aller contre la loi ; comment
pourrait-on demander à ce qu’elle soit reconnue par la loi ? Il n’y aurait
aucun sens à faire des lois si c’était pour ajouter à la fin : « mais
bon, si votre conscience vous dit autrement, vous avez le droit de ne pas
respecter cette loi ».
L’objection de conscience est donc, par nature, illégale.
Elle ne peut donc pas faire l’objet d’un droit ; elle est toujours de
fait, parce que quelqu’un estime que la loi est sur un point contraire au Bien.
Bien sûr, c’est toujours un risque, une possibilité : l’Histoire comme l’actualité
nous offrent une multitude d’exemples de lois contraires au Bien. En pareil cas,
bien sûr qu’il faut suivre sa conscience contre la loi ; mais il faut
aussi en assumer le risque. Chacun doit suivre sa propre conscience, mais nul
ne peut demander à l’État de se plier à la conscience de chacun.
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