Mon père,
Le 20 octobre dernier, le quotidien La Croix consacrait un article à un couple d’homosexuels, Julien et
Bruno, au sein d’une rubrique intitulée « portrait de familles catholiques ».
Votre réaction, de votre propre aveu, « a été vive » : vous vous
êtes dit « choqué », « scandalisé », et cela vous a semblé « une
bonne raison de ne pas être abonné » à ce journal. Publiée sur un réseau
social qui vous offre un très large écho médiatique, cette critique de votre
part a suscité une polémique assez intense.
M. René Poujol, sur son blog, s’est exprimé, tant sur votre
première réaction que sur votre tentative de justification dans La Croix elle-même – le moins qu’on
puisse dire, au moins, est que ce journal pardonne à ceux qui lui font du mal.
Je ne suis pas toujours d’accord avec les propos de mon ami René, mais pour une
fois, je pourrais signer sa lettre sans presque y changer un mot. Elle exprime
une saine et juste colère.
Avant d’aller plus loin, et pour éviter des malentendus,
laissez-moi préciser que je ne parle pas en tant que simple citoyen qui se
mêlerait de ce qui ne le regarde pas : je suis moi-même catholique et pratiquant.
C’est donc de l’intérieur de cette Église que vous prétendez défendre, et qu’à
mon avis vous blessez, que je m’adresse à vous.
Il y a un point, et un seul, sur lequel je ne suis pas d’accord
avec René Poujol. Il pense défendre le quotidien en s’appuyant sur sa propre
expérience à la direction d’un grand hebdomadaire catholique pour dire qu’il « imagine comment l’erreur de la non
adaptation du “chapeau” a pu être commise ». Or, à mon sens, cette
tentative de défense manque l’essentiel : La Croix n’a pas fait « d’erreur », car Julien et Bruno
sont bel et bien « une famille catholique ».
Qu’ils soient catholiques est une évidence. Sont-ils une « famille » ?
Selon La Croix, ils sont « en
couple depuis quinze ans » et « mariés depuis cet été ». Ils
sont donc, à l’évidence, une famille, et donc une famille catholique. Que vous
désapprouviez ce qu’ils font ou ont fait, leur sexualité, leur comportement,
leur mariage, c’est votre droit ; mais, sauf à être complètement ridicule,
il faut bien appeler les choses par leur nom. Si, dans quelques années, ils
décident d’adopter un ou des enfants, ne seront-ils toujours pas une « famille »
à vos yeux ?
Il faut faire la différence entre « être une famille »
et « être une famille conforme au modèle prôné par l’Église ». En
refusant d’établir cette distinction, vous vous inscrivez dans un courant
méprisant et méprisable qui tente de manipuler le langage pour mieux s’enfermer
dans le déni d’une réalité qui ne lui plait pas : celui des Tony
Anatrella, qui refuse même de parler de « couple » pour des
homosexuels et préfère parler de « paire » ou de « duo ».
Mais que cela vous plaise ou non, ce sont des couples, et ce sont des familles.
Je suis, pour ma part, plutôt opposé à la procréation médicalement assistée
(que ce soit pour les homosexuels ou les hétérosexuels, d’ailleurs) ; mais
enfin, quand un enfant naît par PMA, ça ne m’empêche pas de parler d’une « naissance ».
Je désapprouve le processus qui a mené à la naissance, mais je ne vais pas
chercher un autre terme pour désigner ce qui, à l’évidence, en est une. Je peux
militer pour l’abolition de la PMA, mais je ne vais pas chercher à changer le
vocabulaire et à nommer différemment un enfant né par PMA et un enfant né
autrement.
Pour désagréable et maladroite qu’elle soit, votre tentative
de justification a au moins un point positif. Si elle essaye (vainement) de
nier la réalité familiale de ceux qui ne sont pas comme vous, elle ouvre au
moins les yeux sur une autre vérité douloureuse : la fracture qui traverse
l’Église catholique. Vous écrivez en effet : « Il y a des désaccords de fond entre catholiques que nous n’osons plus
nous avouer, de peur d’être encore moins nombreux et d’offrir au monde un
spectacle désolant. »
Que nous n’osons
plus nous avouer ? Alors là pardon, mais ces désaccords, il y a 50 ans que
les réformateurs comme moi ne demandons qu’une chose : qu’ils soient enfin
exposés en public et débattus par l’Église. Plus vigoureusement depuis le débat
sur le mariage pour tous, certes ; mais enfin, cela fait quand même trois
ans ! Trois ans que nous écrivons, publions, débattons, discutons pour faire
entendre aux autorités ecclésiastiques cette vérité toute simple : que
tous les fidèles ne sont pas d’accord avec les positions du Magistère, loin de
là, qu’elles ne peuvent donc pas prétendre parler en leur nom, et qu’il faut en
débattre. Vous faites mine de vous réveiller aujourd’hui et de découvrir cette
fracture ; mais nous, il y a déjà longtemps que nous réclamons de mettre
nos désaccords sur la table.
Cette subite prise de conscience de votre part est d’ailleurs
bon signe pour les réformateurs de l’Église. On attribue souvent à Gandhi cette
citation célèbre : « D’abord
ils vous ignorent, ensuite ils vous raillent, puis ils vous combattent et
enfin, vous gagnez. » En serions-nous déjà au troisième stade ?
Après avoir longtemps fait comme si nous n’existions pas, les conservateurs de
l’Église seraient-ils en train de daigner s’apercevoir de notre présence ?
Plus sérieusement, il faudrait quand même que vous mettiez
un peu les points sur les i. Vous dites qu’il faut nous avouer les désaccords
de fond qui fracturent l’Église, et je suis d’accord avec vous. Mais une fois qu’ils
auront été actés publiquement, qu’allons-nous en faire ? Allez-vous nous
demander de rentrer dans le rang et de nous taire, contre notre conscience ?
Allez-vous nous proposer de nous faire protestants ? De créer un nouveau schisme ?
Allez-vous demander contre nous des sentences d’excommunication ? Vous
allez vite vous rendre compte, en tout cas, que les possibilités ne sont pas
infinies. Si vous voulez que nous partions, dites-le au moins franchement !
Vous risquez d’être déçu, évidemment, car nous ne comptons ni partir, ni nous
taire ; mais au moins, les choses auront été dites et les positions seront
claires.
Vous dites qu’il y aura des déçus du Synode, comme il y a eu
des déçus du Concile. Vous avez raison, même si je ne comprends pas bien pourquoi
vous avez tant l’air de vous en réjouir. En effet, il ne sortira probablement
pas grand-chose de ce Synode. Si je peux faire des paris, je dirais qu’il n’y
aura rien de concret dans le document final, quelques ouvertures pour les
divorcés-remariés dans l’exhortation apostolique que le pape publiera ensuite,
et rien du tout pour les homosexuels. Pour la contraception et le concubinage
hors-mariage, probablement rien non plus. C’est sûr que la récolte sera maigre
et qu’on aura l’impression de beaucoup de bruit pour pas grand-chose.
Mais s’il n’en sort rien sur la famille, il faut qu’il en
sorte quelque chose sur la décentralisation dans l’Église. Si le pape ne prend
pas la décision d’imposer à toute l’Église d’autoriser l’accès aux sacrements
pour les divorcés-remariés ou d’accepter la contraception, il faut qu’il laisse
aux Églises nationales la possibilité de le choisir pour elles-mêmes à sa
place. Ainsi, les Églises africaines seront libres de continuer à refuser tout
cela si ça leur chante, mais nous, nous serons libres de faire autrement.
Faute d’une telle décentralisation, qu’est-ce qu’il nous
reste ? Comme je vous l’ai dit, nous ne quitterons pas l’Église, ni pour
rejoindre les protestants, ni pour créer un schisme, mais nous ne nous tairons
plus non plus. Sauf à décentraliser et à accorder aux Églises locales ou
nationales beaucoup plus de liberté qu’elles n’en ont actuellement, les
autorités de l’Église n’ont donc plus que deux options : soit accepter l’étalage
au grand jour et permanent de cette fracture qui nous divise, ce qui donnera
aux non-catholiques l’impression définitive d’une maison en guerre contre elle-même,
soit prendre l’initiative de nous chasser officiellement par l’excommunication.
La décentralisation ne vous semble-t-elle pas, au moins, un moindre mal ?
merci pour cette belle et saine réaction, je m'y retrouve beaucoup!
RépondreSupprimerje pense que la décentralisation la plus essentielle, celle que j'appelle de tous mes voeux pour nos pasteurs, est celle du coeur!!!
puisse l'Abbé Amar et tous les pasteurs de l'Eglise catholique se décentrer de leurs propres opinions, de leurs propres petites idées qu'ils pensent devoir être celles de l'Eglise toute entière, pour oser rencontrer en vérité leurs frères et soeurs en humanité et découvrir qu'au fond du coeur de chacun se trouve une seule et unique Vérité, qui a le pouvoir de tous nous unir et de réduire toutes les fractures : la personne même du Christ!!!
Merci pour cette lettre. Je la signe volontiers. Je m'y retrouve aussi complètement.
RépondreSupprimerMerci pour cette intelligence informée par l'Esprit !
RépondreSupprimerBien sûr d’accord avec ce billet qui a le mérite d'en appeler à l'unité dans la diversité, unité qui est la seule appelée par le Christ, que cela nous convienne ou non...
RépondreSupprimerPar ailleurs toutes ces réactions ne sont que le révélateur, au sens chimique ou photographique du terme, des pensées cachées depuis longtemps entre les évangélisateurs,le pape aujourd’hui,et son entourage encore très encombré de pharisiens défenseurs du dogme et de la morale.
Pour ma part et quelques soient le résultats du synode, je suis comblé par cette révélation, cette apocalypse : quoiqu’il lui arrive demain, le pape François a permis à l’Église de monter sur la marche de la Miséricorde. Si par malheur l’Église devait redescendre de cette marche,les colonnes du Temple risquent de sérieux tremblements.
Pour aller dans votre sens: http://spm.sednove.ca/article/opinion/la-famille-et-les-verites-universelles-qui-ne-le-sont-plus
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