Mais qu’est-ce qui me prend, à moi, d’écrire là-dessus ?
Pourquoi je ne peux pas juste fermer ma grande gueule ? Je suis sûr de
prendre des coups, beaucoup de coups, tout ça pour sans doute ne pas être compris
à la fin. À moi, Christian Grey ! Masochisme, quand tu nous tiens.
Je ne sais pas si ma nature profonde est d’être masochiste
(mes élèves pencheraient plus probablement pour un sadisme prononcé), mais je
sais qu’elle est de ne pas supporter d’entendre trop de conneries, ou même trop
d’idées pas forcément sottes mais assenées sans la moindre nuance. Et c’est ce
qui se passe en ce moment même avec l’affaire Morano.
Qu’est-ce qu’elle a dit, Morano ? Que la France était,
je cite, « un pays de race blanche ». Je préfère le préciser tout de
suite pour ceux qui se sentent l’envie d’arrêter dès à présent de me lire pour
crier au racisme : ce que Nadine Morano a dit est non seulement très
stupide, mais également parfaitement abject. Voilà, c’est dit : je suis
fondamentalement en désaccord avec Mme Morano ; oui, elle a dit une grosse
connerie. Ce qui ne devrait pas nous surprendre, puisque quand elle ouvre la
bouche, c’est neuf fois sur dix pour en dire une (et la dixième, c’est généralement
pour acheter son pain), mais passons.
Le problème, c’est qu’il faut s’entendre sur pourquoi cette phrase est conne et
abjecte. Or, c’est précisément là que les choses se gâtent. Si cette phrase est
très conne et très abjecte, c’est pour une et une seule raison : parce que
la France n’est plus depuis longtemps un pays de race blanche, et que prétendre
le contraire, c’est exclure de la citoyenneté, ou reléguer en seconde zone, tous
les Français qui, ultra-marins ou descendants de l’immigration, ne sont
justement pas blancs. Un mahorais ou un guadeloupéen tout noirs ne sont pas
moins français qu’un bigourdan ou qu’un costarmoricain tout blancs ; le
racisme de Mme Morano consiste à laisser entendre le contraire : si la France
est un pays de race blanche, ceux qui ne sont pas blancs sont logiquement moins
français que les autres. L’abjection est là.
Le problème, c’est qu’on entend tout autre chose dans les
médias, et pour beaucoup de journaleux, le crime réside principalement dans l’utilisation
du terme de « race » en parlant des humains. Or, est-ce bien un crime ?
Dire qu’il y a des races dans l’humanité, est-ce déjà du racisme ? Je veux
bien qu’on me le dise, mais alors il faut me dire pourquoi. Parce que quand même,
c’est loin d’être évident. Repartons de la base : la définition du mot « race ».
Pour l’Académie française, le terme a deux sens :
« En parlant des
animaux […]. Désigne, au sein d’une espèce, certaines catégories d’animaux
distinguées par des caractéristiques communes, notamment morphologiques, qui
sont constantes au cours des générations […]. »
Vu que nous sommes, après tout, des animaux, ça pourrait
nous suffire ; mais puisqu’il y a un sens spécifique aux humains, allons-y :
« En parlant des êtres
humains. […] Chacun des grands groupes entre lesquels on répartit
superficiellement l’espèce humaine d’après les caractères physiques distinctifs
qui se sont maintenus ou sont apparus chez les uns et les autres, du fait de
leur isolement géographique pendant des périodes prolongées. »
On retrouve entre les deux sens le même fond : une
race, c’est une sous-catégorie d’une espèce animale (humaine ou autre),
caractérisée par un ensemble de traits physiques ou morphologiques communs et à
peu près constants d’une génération à l’autre. Entendues ainsi, la simple existence
des races humaines ne fait guère de doute : il y a bien des différences physiques
réelles, concrètes, mesurables, entre, mettons, un noir et un blanc, et ces différences
se transmettent globalement d’une génération à l’autre.
Que ces différences soient sans aucune importance et surtout
ne doivent entraîner aucune hiérarchisation des hommes, c’est une évidence
totale ; c’est d’ailleurs ce que souligne l’Académie en précisant que
cette classification des humains est « superficielle ». Mais la
meilleure solution pour éviter la hiérarchisation qui définit le racisme
est-elle de nier la réalité des races humaines ? Je suis loin d’en être sûr.
Ces derniers temps, j’entends beaucoup de gens dire que classer
les humains en races, c’est scientifiquement aberrant. Je veux bien ;
sincèrement, je ne suis ni biologiste, ni médecin, donc je reconnais mon
incompétence en la matière. Mais alors, je veux qu’on m’explique pourquoi c’est scientifiquement aberrant.
Je demande à comprendre pourquoi il
est possible de classer les chiens en races alors que, en utilisant les mêmes critères
(la transmission d’une génération à l’autre d’un ensemble de caractères morphologiques),
ce serait impossible pour les humains.
Qu’il n’y ait pas un nombre limité de couleurs de peau, mais
plutôt un nuancier presque infini, ne me semble pas un argument : deux huskies
peuvent être assez différents l’un de l’autre ; il n’empêche qu’un husky
ressemblera toujours plus à un autre husky qu’à un labrador. De même, les
métissages ne sont pas un bon argument : ils existent aussi chez les
chiens – ils donnent d’ailleurs souvent des chiens très solides et des humains
très beaux.
Pas la peine donc de crier au racisme : si vous avez la
réponse à ma question, n’hésitez pas à me la donner ; et si vous ne l’avez
pas, n’hésitez pas à vous poser la question.
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