Krzysztof Charamsa, un prêtre polonais qui tient – tenait… –
une place éminente à la Congrégation pour la doctrine de la foi – autrement dit
l’ex-Saint-Office, l’Inquisition ! – vient de faire un double coming out : il est homosexuel, et
il est en couple. Bien sûr, tremblement de terre au Vatican, qui n’a pas tardé
à prendre des mesures : le père Charamsa a été relevé de toutes ses
fonctions auprès du Saint-Siège, et son avenir en tant que prêtre sera décidé
par ses supérieurs diocésains – il ne fait guère de doute qu’il peut d’ores et
déjà commencer à se chercher un boulot.
Là-dessus, naturellement, scandale mondial. De la part des traditionnalistes
comme des conservateurs, quoi de surprenant ? Ils ne pouvaient que lui
tomber dessus. Ce qui est plus étrange, c’est de retrouver la même attitude chez
nombre de réformateurs. On l’accuse d’avoir monté son coup – ça, c’est
évidemment vrai : il n’a pas fait ce coming out à deux jours du début du
Synode sur la famille par hasard – ; et surtout, on l’accuse d’avoir
renforcé le camp traditionnaliste.
Il faut, je crois, remettre quelques pendules à l’heure. La
première consiste à prendre un peu de recul pour considérer la vie de cet
homme. Un ressortissant d’une nation largement homophobe, membre du clergé d’une
Église qui l’est plus encore, sa vie n’a pas dû être facile, et c’est un
euphémisme. Même avant d’être en couple, il se savait homosexuel ; or, s’il
y a quelque chose que les hétérosexuels mesurent en général très mal, c’est à
quel point l’homophobie, même quand elle ne s’exprime qu’en paroles, par des
jugements de valeur, même quand elle prétend ne porter que sur les actes et ne
pas concerner les personnes, blesse les homosexuels. Et à la Doctrine de la foi !
On peut imaginer ce qu’il a vécu.
D’autant plus qu’à présent, sa vie ne sera guère plus
simple. Il va pouvoir vivre son amour au grand jour, ce qui est probablement un
soulagement ; mais inversement, il a renoncé, en toute connaissance de
cause, à son gagne-pain, et qui plus est à une position de pouvoir, de prestige
et d’influence. Non seulement son existence a forcément été très difficile,
mais en révélant sa double vie, il a donc fait preuve d’un indéniable courage.
Que ceux, laïcs ou prêtres, qui ont la chance de pouvoir concilier le métier de
leur choix et la sexualité de leur choix méditent cela avant de lui tomber
dessus.
La deuxième consiste à bien considérer de quoi ce prêtre serait
« coupable ». Il y a en effet deux choses distinctes : son
homosexualité et la rupture de son célibat. Personnellement, je considère d’une
part que l’homosexualité est parfaitement naturelle et n’a rien de « désordonné »
ou de mauvais, et d’autre part que le célibat sacerdotal devrait être un choix,
pas une obligation, et qui plus est un choix révisable au courant de la vie.
Autant dire qu’à mes yeux, ce prêtre n’est coupable de rien du tout.
Mais puisque, pour beaucoup, il l’est, ceux qui l’accusent
doivent être parfaitement clairs dans leurs accusations. Or, ils ne le sont
pas, et on a du mal à se départir de l’idée que, pour autre chose que l’homosexualité,
leur indignation serait bien moindre. Christine Pedotti, dans un éditorial de Témoignage chrétien, compare la rapidité
avec laquelle le père Charamsa a été sanctionné avec les « longs
atermoiements » qui suivent les affaires de pédophilie. De la même manière,
Emmanuel Navarre souligne fort justement que le père Lombardi, directeur du
Bureau de presse du Saint-Siège, a jugé le coming out du père Charamsa « grave
et irresponsable » à cause du contexte du début du Synode ; or, la
question du célibat des prêtres n’est pas au programme des discussions, alors
que celle de l’homosexualité l’est bien. Il est donc clair que ce dont le père
Lombardi a peur, c’est de la question de l’homosexualité.
La troisième, enfin, porte sur la pertinence stratégique de
cette révélation. J’ai été assez surpris d’entendre des catholiques réformateurs
affirmer que le coming out du père Charamsa
allait braquer les conservateurs et les radicaliser, et qu’il aurait été
préférable de laisser les débats se dérouler dans le calme, dans la discrétion,
voire dans le secret, comme l’Église l’a toujours fait. D’après certains, les
hésitants vont se braquer.
Or, il me semble que c’est là une illusion à peu près
totale. D’abord parce que l’homosexualité est un sujet où il y a peu d’hésitants ;
les avis sont généralement très tranchés dès le départ. Ensuite et surtout,
parce qu’il est fou de croire que les conservateurs ou les traditionnalistes
étaient prêts à lâcher quoi que ce soit sur la doctrine officielle en la
matière. Braqués, radicalisés, ils le sont déjà, et depuis longtemps ;
nous avons tout à gagner à ce que les positions s’affirment, et s’affirment
clairement, sans ambages, sans ambiguïtés. De toute manière, il n’y aura pas d’accord :
les positions sont absolument irréconciliables. La seule et unique manière pour
l’Église d’établir un consensus, c’est de cesser de se prononcer officiellement
sur le sujet pour le laisser à la libre appréciation de la conscience de
chacun. Autrement, elle n’arrêtera pas l’hémorragie de ses membres, qu’elle
choisisse la réforme ou l’immobilisme.
Il faut également souligner que la thérapie de choc
pratiquée par le père Charamsa a plusieurs fois prouvé son efficacité. D’après ma
modeste expérience, on peut discuter pendant des semaines avec quelqu’un,
déployer des trésors d’argumentation, tout cela en pure perte, sans que sa
position n’évolue d’un iota ; et puis tout d’un coup, ce quelqu’un découvre
qu’un de ses proches, ou le fils d’un proche, est homosexuel, et d’un seul coup
sa vision change.
Il n’y a donc aucune raison pour les réformateurs de
redouter les conséquences de ce coming out ;
ceux qui peuvent avoir des craintes, ce sont les conservateurs. Ainsi, Roland
Gosselin, un des auteurs du tristement célèbre Padreblog, s’est fendu d’un billet intitulé « La chute d’un prêtre »
et qui mérite la lecture. Il sue littéralement la haine, le mépris et la peur.
Après avoir commencé par dire que non non, il ne jugeait pas le père Charamsa,
Roland Gosselin passe de fait son texte à le juger, et à le juger sans beaucoup
de miséricorde. « Très grave », « ridicule », « grave
scandale », le champ lexical du billet est assez éclairant.
Les accusations portées sont lourdes : « scandaliser
tous ceux qui font confiance aux prêtres », « abîmer le sacerdoce »,
« diffuser le poison du doute et de la suspicion ». Mais le véritable
reproche apparaît bien vite :
« Nous pouvons
comprendre qu’il parte, s’il ne peut plus tenir son engagement. Il pouvait
partir humblement, discrètement, personne ne l’aurait jugé […]. Quand on est
tombé, on se retire humblement dans le silence et on demande pardon. On ne
renverse pas les rôles en accusant l’Église ! »
Le voilà, le cœur du problème, pour Roland Gosselin :
le père Charamsa a brisé la loi du silence. C’est cela qu’il ne lui pardonne
pas : avoir brisé l’omerta. On a de plus en plus l’impression que, pour l’Église,
seules comptent les apparences ; que les départs de prêtres comme l’hémorragie
des fidèles ne gênent personne tant qu’ils se font sur la pointe des pieds. Le
véritable crime du père Charamsa, c’est de n’être pas parti en silence, et donc
de forcer l’Église à affronter ses problèmes, ses démons, à leur faire face.
Ceux qui veulent préserver le statu quo
ont peur de ceux qui élèvent la voix, a
fortiori quand ce sont des théologiens : étant donné ses fonctions au
sein de la Commission théologique internationale, on pourra difficilement
reprocher au père Charamsa de n’avoir pas compris la doctrine de l’Église,
prétendument sublime et libératoire, sur l’homosexualité ou sur la chasteté.
« La vérité vous rendra libre », a dit le Christ.
C’est à elle que le père Charamsa a rendu témoignage. L’Église ne pourra pas longtemps
rester dans le déni, car la crise est vraiment là, et on ne pourra pas
éternellement faire comme si on ne la voyait pas ; et elle ne pourra pas
non plus longtemps conserver sa doctrine sur l’homosexualité. Les choses ne
changeront probablement pas sur ce point suite au Synode, car il faudrait d’abord
faire disparaître la fiction de la continuité cohérente du développement de la
doctrine catholique. Mais elles finiront tout de même par changer, car sur ces
points, le Magistère a contre lui toute la force de la Vérité.
"car il faudrait d’abord faire disparaître la fiction de la continuité cohérente du développement de la doctrine catholique".
RépondreSupprimerTout à fait d'accord avec vous.
Tant que nous vivrons au royaume des impasses doctrinales et dogmatiques, le royaume de Dieu nous échappera …