L’état d’urgence et, plus généralement, les suites des
attentats de novembre, rendent de plus en plus manifeste que la démocratie non
seulement peut, mais va nous conduire à la dictature – dans un premier temps,
en attendant le totalitarisme.
Le premier signe en a été l’utilisation des mesures d’urgence
pour des choses qui n’avaient rien à voir avec leur mise en place. Les
interdictions de manifester n’ont pas été limitées à celles qui étaient en
rapport avec le terrorisme ou même avec l’islam : immédiatement ont été
interdites les manifestations écologistes en rapport avec la COP21. De la même manière,
mais en plus inquiétant, les assignations à résidence, loin de ne toucher que
des gens soupçonnés de radicalisation islamiste et violente, voire d’accointances
avec le terrorisme, ont frappé de nombreux écologistes : au moins sept à
ma connaissance.
Que le gouvernement, l’exécutif, l’administration, la police
puissent, en cas d’urgence, être dotés de pouvoirs spéciaux, j’ai déjà dit que
j’en tombais d’accord. Mais ces pouvoirs spéciaux ne devraient concerner que ce
qui est en rapport avec ce qui a déclenché l’état d’urgence : on ne voit
absolument pas ce qui, suite à une attaque terroriste menée par des
fondamentalistes musulmans, justifie ou nécessite d’assigner des écologistes à
résidence.
Plus inquiétant encore, la justice semble ici largement
complice du gouvernement, ou au moins sous sa coupe idéologique. Les sept
militants écologistes assignés à résidence ont en effet saisi les tribunaux administratifs,
pour contester la privation de liberté dont ils étaient victimes. Mais ils se
sont heurtés à un mur : dans six cas sur sept, les juridictions n’ont même
pas examiné leur demande, prétextant qu’elle ne présentait pas de caractère d’urgence.
Ce n’est donc qu’après coup, quand leur assignation à résidence sera terminée
depuis longtemps, qu’ils pourront éventuellement faire reconnaître, a posteriori, qu’elle était infondée.
Encore leurs espoirs d’obtenir satisfaction, même après
coup, sont-ils assez maigres : en effet, dans le dernier cas, la justice a
accepté de trancher, mais elle a donné raison au gouvernement. Notre inquiétude
est donc double : d’une part l’exécutif s’arroge de manière illégitime des
pouvoirs évidemment dangereux, mais en plus le pouvoir judiciaire lui donne
raison sur le fond.
Mais les raisons d’avoir peur ne s’arrêtent pas là. Lorsque
l’état d’urgence a été défini, en 1955, la loi permettait d’assigner à
résidence les personnes « dont l’activité
s’avère dangereuse pour la sécurité et l’ordre public ». La nouvelle loi
va beaucoup plus loin : est désormais menacée toute personne « à l’égard
de laquelle il existe de sérieuses raisons de penser que son comportement constitue une menace pour l’ordre
public et la sécurité ». L’évolution est colossale : on passe de la
répression d’une activité à la répression d’un comportement. Or, rien de plus
flou : le fait de tenir certains propos en public, ou même de ne pas en
tenir d’autres, le fait de consulter certains sites Internet, etc., tout cela
peut constituer un « comportement » jugé menaçant par les autorités.
Comment espérer un contrôle judiciaire sérieux d’un texte aussi flou, aussi
large d’interprétation ?
Est-ce tout ? Ce serait trop beau. Reprenant une
proposition de certains ténors de l’opposition, le gouvernement a demandé, tout
à fait sérieusement (quoique très discrètement) que soit étudiée une
proposition tout bonnement hallucinante : la possibilité pour l’État d’enfermer
sans jugement des gens qui n’ont encore rien fait, mais qui pourraient
éventuellement présenter un risque dans l’avenir. Non, vous ne rêvez pas.
Concrètement, le ministère de l’Intérieur a demandé que soit étudiée la
possibilité d’interner sans jugement dans des centres spéciaux toute personne faisant
l’objet d’une fiche S durant l’état d’urgence.
Il faut bien peser ce dont il s’agit. Les fiches S (pour « sûreté
de l’État ») concernent les personnes dont on pense qu’ils pourraient
éventuellement constituer une menace pour l’ordre public. Un peu plus de 20 000
personnes sont concernés en France, dont environ la moitié pour leurs liens
avec l’islam radical. Autrement dit, il y a dans notre pays environ 10 000
personnes qui ont une fiche S pour un autre motif : pour la plupart des
militants de la gauche radicale, de la droite radicale et de l’écologie
radicale, ainsi que des supporters sportifs.
Il n’est donc plus improbable que la France se décide, dans les
années à venir, à permettre la mise en prison, sans jugement, de citoyens français,
simplement parce qu’ils auront été désignés par les services d’espionnage comme
des dangers potentiels. Guantanamo, qui contrevenait aux droits les plus
fondamentaux de la personne humaine, était déjà choquant ; à présent, c’est
une nouvelle étape qui est franchie, car la France s’autoriserait alors à
enfermer ses propres citoyens, ce que même les États-Unis ne font pas encore.
Et si la mesure ne passe pas ? Pas de problème, l’exécutif
envisage d’autres possibilités. La rétention de sûreté existe déjà en droit français,
et permet de maintenir en prison, en toute légalité, des gens qui ont fini de
purger leur peine (eh oui). Elle pourrait être étendue. Le gouvernement pourrait
aussi, à défaut d’enfermer les gens dans des prisons, les enfermer chez eux, en
les assignant à résidence ou en leur imposant un bracelet électronique, y
compris en-dehors de tout état d’urgence (re-eh oui).
Pendant ce temps, en Pologne, le gouvernement nouvellement
élu s’affranchit tranquillement des décisions de la plus haute autorité
judicaire du pays, afin d’avoir les mains libres pour imposer ce que bon lui
semble, le tout sans que l’Union européenne s’en émeuve plus que cela.
Certains se demanderont de quoi je me plains : après
tout, je n’hésite pas à dire que je ne suis pas démocrate et que je soutiens au
contraire un régime autoritaire ; je devrais être content ! Oui ;
sauf que je défends un pouvoir autoritaire pour certaines personnes désignées d’une
manière bien précise, certainement pas pour des incompétents choisis
démocratiquement par d’autres incompétents. Et surtout, si je défends un
pouvoir autoritaire, c’est précisément au nom de la défense des libertés
fondamentales.
L’Occident montre, un peu plus chaque année, que les
libertés fondamentales ne sont pas essentiellement liées à la démocratie :
bien au contraire, depuis quinze ans, ce sont des démocraties qui, avec l’accord
de l’immense majorité de leurs citoyens – il est important de le rappeler à l’intention
de ceux qui vont venir pleurnicher que « oui mais ce ne sont pas de vraies
démocraties… » –, piétinent de plus en plus les droits fondamentaux.
Prions qu’un nombre suffisants d’esprits un peu éclairés s’aperçoivent
de ce danger démocratique avant qu’il ne soit définitivement trop tard pour nos
libertés.
« Prions qu’un nombre suffisants d’esprits un peu éclairés s’aperçoivent de ce danger démocratique avant qu’il ne soit définitivement trop tard pour nos libertés. »
RépondreSupprimerEt ils font quoi, ces esprits éclairés ? Une révolution, comme en 1789 ? Le "nombre suffisant" serait colossal...
Good bllog post
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