S’il y a une chose que feu les IUFM m’ont apprise, c’est que
si les élèves n’aiment pas l’école, ils aiment la comédie de l’école – les
cours, les matières, le rythme de la journée scolaire avec ses rites, ses
passages : les retrouvailles, les récréations, la cantine, la séparation.
Ce cadre est plus qu’un lieu pour eux : c’est une scène de théâtre.
Et sur cette scène, chacun joue. Il y a d’abord le jeu
d’acteur, le jeu du comédien : le prof fait son cours, encourage ses
élèves, leur dit qu’avec du travail chacun peut s’en sortir, leur récite la
partition de la méritocratie républicaine et de l’ascenseur social ; les
élèves aussi jouent leur rôle, beaucoup plus passif et silencieux il est vrai.
Mais il y a aussi un autre jeu, plus ludique pour eux, plus fatigant pour
nous : le jeu du chat et de la souris. Pour le prof, c’est « gotta
catch’em all » ; pour les élèves, c’est « pécho-moi si tu
peux ».
Et parce qu’ils aiment cette comédie, les élèves en
respectent les règles. Pas les règles écrites, celles édictées par l’institution
– le travail, la discipline –, mais les règles non écrites, inhérentes à leur
rôle, à leur place dans cette comédie. Ils ont un rôle à tenir, face aux profs,
mais aussi face aux autres élèves. Ce rôle découle en partie de leur place d’élèves
dans cette comédie, mais aussi du personnage qu’ils se sont construit. Les
profs aussi jouent un rôle, il ne faut pas croire ; eux aussi se construisent
des personnages ; et pour eux aussi, le masque finit par coller plus ou
moins au visage.
C’est aussi pour cette raison que les élèves sont
immédiatement déstabilisés par ceux qui ne respectent pas les règles. Un élève
pénible, ou même une classe ingérable, ne seront pas effrayés le moins du monde
par un prof qui crie ; en revanche, celui qui les frappera à coups d’agenda,
ou celui qui s’assiéra à son bureau et se mettra à lire son bouquin sans plus s’occuper
d’eux, seront beaucoup plus efficaces, car ils sortent du cadre auquel les
élèves sont habitués. Un collègue et ami me disait, il y a quelques années, que
les élèves sont comme des petits vieux : ils n’entendent rien, ne voient
rien, retiennent mal, et surtout sont perturbés par le moindre changement dans leur
environnement (« monsieur, il m’a pris ma place »…). Avoir de l’autorité
sur eux consiste souvent à les déstabiliser, à les empêcher de ronronner dans un
environnement trop bien connu qui leur permet très facilement de rejouer
éternellement la même scène apprise par cœur – souvent la seule qu’ils
connaissent, d’ailleurs.
Je me suis souvent demandé ce qu’il se passerait s’ils
venaient à se lasser massivement de cette comédie et se rendaient compte, en même
temps, que notre pouvoir sur eux est à peu près nul. Car il faut ouvrir les
yeux : une seule personne, souvent pas bien vaillante physiquement, contre
trente ou trente-cinq gamins qui sont pour beaucoup bourrés de testostérone et en
pleine forme corporelle… Pour rétablir la balance, qu’avons-nous ? Des
sanctions, certes ; mais depuis l’abandon complet des punitions
corporelles, objectivement, on n’a pas grand-chose. Les colles ? Les
lignes à copier ? Les devoirs supplémentaires ? S’ils ne les font
pas, on en est vite réduits à l’exclusion ; et ils pourraient bien deviner
que les exclusions définitives seront toujours très minoritaires. Souvent, ils
ont leur faiblesse (la convocation des parents, le mot sur le carnet, la colle
le mercredi après-midi…) ; mais elle est différente pour chaque élève, il
faut la trouver et ça prend parfois du temps. Quant à évoquer l’importance de
leur éducation pour leur avenir, ça relève de l’utopie. À cet âge, pour la
plupart des élèves, « leur avenir » est quelque chose de tellement
lointain que ça a à peu près autant de réalité que leur mort ou que l’Apocalypse.
Ce qui est étonnant, dans ces conditions, c’est que ça
marche : que ces trente gamins se laissent finalement, la plupart du temps,
mater par cette seule personne, pourtant dépourvue de tout moyen de sanction un
peu efficace contre eux. Souvent, je me dis que ça a quelque chose de magique
ou de miraculeux. Mais je crois que la comédie de l’école n’y est pas
étrangère. Finalement, même sans punitions réelles, l’ensemble tient, parce que
tout le monde y tient sa place, et trouve dans le jeu un certain plaisir. Même quand
on se lasse, prof ou élève, on sait bien, au fond, que the show must go on.
Je vous cite: « Ils ont un rôle à tenir, face aux profs, mais aussi face aux autres élèves. Ce rôle découle en partie de leur place d’élèves dans cette comédie, mais aussi du personnage qu’ils se sont construit. »
RépondreSupprimerSelon René Girard, le « désir mimétique » – avec persécution de « boucs émissaires » – existerait dans toute communauté.
N’existerait-il pas déjà à l’école, dans chaque classe ?
« Faire comme son voisin » ou « faire comme les autres » et surtout « ne pas penser à faire autrement » : le début du conformisme, qui dure parfois toute la vie.
Désobéir sans craindre ni respecter les sanctions, c'est se rebeller. Se rebeller, c'est risquer d'être mal vu de certains élèves agacés, des professeurs, de sa famille.
RépondreSupprimerSi comme vous le dites il n'y a pas réellement de sanctions, il y a quand même une pression morale. La pièce de théâtre n'est pas forcément choisie. Il faudrait beaucoup de cran pour refuser de la jouer.
Les élèves peu importe leur âge restent des adultes en formation.