La police britannique tente sa chance. Le Times révèle en effet que ses dirigeants
ont demandé au gouvernement de contraindre les entreprises de télécoms à
conserver pendant un an toutes les informations sur les sites visités par leurs
clients. Eh ! qui ne tente rien n’a rien.
Bien généreux, les poulagas de nos voisins concèdent qu’il
serait « bien trop intrusif » de leur permettre d’accéder sans mandat
au contenu des messages envoyés : merci messieurs, vous êtes bien
indulgents avec nous. Mais ils demandent quand même un libre accès aux
« qui, où, quand et quoi de chaque communication », dixit Richard
Berry, porte-parole de la police angloise, qui précise : « qui l’a
initiée, où étaient-ils et quand cela a eu lieu. Et un petit peu de “quoi”,
est-ce qu’ils étaient sur Facebook, sur le site d’une banque, ou sur un site
illégal de partage d’images pédophiles » – la peur de la pédophilie et la
peur du le terrorisme, les deux mamelles de l’idéologie sécuritaire et
liberticide.
Ce n’est pas une nouveauté : en 2014, le gouvernement
Cameron avait échoué à imposer un texte législatif du même tonneau, bloqué par
ses pourtant alliés libéraux-démocrates (les Whigs servent encore à quelque
chose). Autrement dit, si ça ne passe pas cette fois non plus, ils reviendront
à la charge encore et encore, jusqu’à ce que ce soit approuvé.
Qu’est-ce que vous voulez que je vous dise ? On se
lasse de répéter encore et toujours les mêmes choses : qu’il faut avoir
bien peu réfléchi pour croire qu’on n’a rien à craindre si on n’a rien à cacher ;
que le risque totalitaire n’est pas dans les lois qui répriment l’homophobie
mais bien dans cette surveillance toujours plus poussée des citoyens par les États
et les grandes entreprises ; que la technique moderne est dangereuse en
soi et porte structurellement en elle ce risque totalitaire.
Sur ce sujet, un billet d’Hubert Guillaud sur le blog Internet Actu titrait récemment : « L’inquiétant
n’est pas le Big Data, c’est qui l’utilise et comment ». Erreur fréquente
qui consiste à penser qu’on pourra mettre sous le nez des États et des FMN un
pouvoir immense sans qu’ils l’utilisent contre nous. « Les données sont le
pouvoir », reconnaît-il avec l’ethnographe Danah Boyd. Mais il ne va jamais
au bout du raisonnement : un accès trop large aux données des ou de
citoyens donnera trop de pouvoir à celui qui en disposera, qu’il s’agisse d’un
individu, d’un groupe, d’un État, d’une entreprise privée. Et ce pouvoir trop important
sera utilisé, fatalement, pour qui le détiendra, au détriment des autres.
C’est en effet le propre de la technique moderne : il
est quasiment impossible de résister à l’attrait du pouvoir qu’elle offre. C’est
ce qui fait qu’elle est, indubitablement, hors de tout contrôle, et que personne
ne la maîtrise. C’est ce qui fait que les lois de surveillance de masse
passent, parce que les États ne peuvent pas résister à la tentation ; c’est
ce qui fait que les comités d’éthique ne servent à rien et valident toujours, a posteriori, ce qui a déjà été réalisé
hors de leur supervision.
Je continue à prêcher dans le désert. Jusqu’au jour où
ce ne sera plus possible.
*** EDIT ***
Il y a des jours où on se passerait bien d’avoir eu raison,
mais pour moi ce sera pour une autre fois… Le gouvernement britannique, par le
biais du ministre de l’Intérieur, vient de présenter le nouveau projet de loi
qui reprend les dispositions de la précédente proposition de David Cameron :
la récente déroute électorale des Libéraux démocrates rend son adoption
probable.
Le projet de loi prévoit donc, comme prévu, que les
fournisseurs d’accès seront tenus de conserver pendant douze mois l’intégralité
des adresses des sites visités par leurs clients, qui devront ensuite être fournies
à la police ou aux services de renseignement, sur simple demande et sans
mandat, donc sans contrôle judiciaire. Le même projet prévoit également de
légaliser ce qui est déjà pratiqué par le GCHQ, à savoir la surveillance
massive des métadonnées des communications Internet. Une commission de « contrôle »
est prévue, qui pourra mettre son veto à une autorisation de mise sous
surveillance – y croit qui veut. La police pourra néanmoins se passer de son
autorisation « en cas d’urgence » et pour une durée de cinq jours.
Si le totalitarisme revient, il le fera comme Tol Ardor l’annonce :
par la technique et par la démocratie. Nous sommes en bonne voie.
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