Comme la PMA, la GPA est une pratique qui m’a longtemps posé
question. En analysant les arguments des uns et des autres, je ne parvenais pas
à savoir s’il s’agissait plutôt d’une pratique dangereuse, voire mauvaise et
qu’il fallait donc bannir, ou bien si elle ne posait en réalité pas de problème
moral ou politique sérieux. Mon intuition, mon instinct me portaient à m’y
opposer ; mais en matière de morale sexuelle, familiale et procréative,
j’ai appris à me méfier d’eux. Nous sommes pétris de tant d’a priori, de préjugés, de présupposés
souvent peu fondés, qu’il faut essayer, plus encore que sur d’autres questions,
de prendre du recul par rapport à ce que naturellement nous sommes portés à
croire ou à juger.
Pour ce qui est de la PMA, ma réflexion m’a conduit à y être
plutôt hostile, en tout cas à m’opposer à certaines
pratiques de procréation médicalement assistée, comme je l’ai écrit
dernièrement dans un autre billet. On aurait donc pu logiquement penser que
j’allais aussi m’opposer à la GPA, qui est presque universellement considérée
comme « pire », plus dangereuse, moralement moins défendable que la
PMA.
Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette
hiérarchisation quasi universelle n’est remise en question par pratiquement
personne, aussi bien parmi les adversaires que parmi les partisans de ces
évolutions sociales. En 2012, ceux qui étaient partis en guerre contre la loi
Taubira affirmaient qu’elle allait inéluctablement mener à la PMA, puis à la GPA, sous-entendant par là
qu’il y aurait une gradation dans l’horreur : mariage des pédés puis PMA puis GPA (là, la fin de la civilisation serait atteinte).
Symétriquement, les thuriféraires de ces bouleversements adoptent, avec un
objectif inverse, une hiérarchisation identique : ils ont fait passer le
mariage des couples homosexuels, puis
ils ont fait adopter la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules, puis on peut supposer qu’ils
légaliseront la GPA (la dernière loi bioéthique a été l’occasion de l’évoquer,
il y a des chances que ça ne tarde plus). Mais de la même manière que la
question de la PMA n’a pas mis en jeu les véritables arguments qui auraient dû nous faire renoncer à cette mutation
sociale (les adversaires de la loi déroulant de forts mauvais argumentaires, et
contre-productifs), on ne nous explique jamais pourquoi la GPA serait forcément « encore pire » (ou
« l’étape suivante »). Cette hiérarchisation, cet ordre des choses
semblent aller d’eux-mêmes, s’imposer comme des évidences, qu’on soit pour ou
qu’on soit contre.
Or, les choses ne me semblent pas, à moi, si simples. Je
reconnais, commençons par là, que certains arguments en faveur de la GPA me
semblent mauvais. On nous dit (pour s’opposer à la PMA pour toutes ou au
contraire pour promouvoir la GPA – et encore une fois, la similitude des
arguments des pros et des antis me frappe) qu’il n’est pas normal que deux
hommes ne puissent pas avoir d’enfant si deux femmes peuvent en avoir, et qu’au
nom de l’égalité, nous avons le devoir (ou nous sommes contraints, selon le
point de vue) d’accepter la GPA maintenant que la PMA pour les couples de
femmes est légale. L’argument ne tient pas une seule seconde au niveau
juridique : la loi n’a jamais vu aucune objection à ce que des situations
différentes soient traitées de manière différente.
Ainsi, le mariage pour les couples homosexuels était un choix politique ; un bon choix à mon avis, mais un
choix : ce n’était pas une obligation qui aurait découlé nécessairement de
la seule possibilité pour les couples hétérosexuels de se marier. De la même
manière, un mineur de quinze ans ne peut ni se marier, ni voter, quand un
adulte de vingt ans peut le faire : la loi traite différemment des
situations différentes. Un couple d’hommes n’étant biologiquement pas la même
chose qu’un couple de femmes, il n’y aurait pas de problème légal à ce que deux
femmes aient accès à la PMA, mais pas deux hommes à la GPA.
Un autre argument fréquemment avancé pour défendre la GPA
est qu’elle ne différerait pas fondamentalement des autres formes d’emploi :
si on autorise le patron de Peugeot à louer la force du bras d’un homme pour
produire des voitures, pourquoi n’autoriserait-on pas un homme à louer la
fertilité de l’utérus d’une femme pour produire un bébé ? L’argument,
choquant en apparence, pourrait avoir une pertinence ; fort heureusement,
je suis, pour ma part, dispensé de l’examiner. En bon Ardorien, je suis en
effet opposé au salariat de manière
générale : pour moi, tout travailleur doit être propriétaire de son
outil de travail, et ne pas pouvoir louer ou employer la force de travail d’un
autre. En ce sens, de mon point de vue, la GPA serait condamnable au même titre que le reste du
salariat ; même en admettant qu’on n’achète pas le bébé, mais la fertilité
de la femme, cela reste, à mon sens, de l’exploitation, et donc inacceptable.
Mais il faut bien insister sur un point : ce qui rend
le salariat inacceptable, pour moi (ou pour nous, Ardoriens), ce n’est pas
l’usage du travail d’autrui, c’est sa marchandisation. Nous sommes radicalement
opposés à ce qu’un patron possède des machines qu’il fasse travailler par ses
ouvriers salariés ; en revanche, nous n’avons évidemment rien contre le
fait de donner un coup de main à son voisin pour l’aider à repeindre sa façade,
ou même de faire entièrement pour lui un travail qu’il ne peut pas faire
(réparer un meuble, élaguer un arbre, etc.).
Appliquons cela à la GPA : je suis formellement opposé
à la marchandisation de la
procréation ; je trouve absolument inacceptable, moralement, de payer une femme pour qu’elle ait un
enfant qu’elle puisse nous donner ensuite : l’être humain ne peut pas être
une marchandise, c’est aussi abominable pour l’enfant qui est acheté que pour
la mère, qui ne peut à peu près que se sentir coupable d’avoir vendu son enfant
– sans compter que cela donnerait immédiatement naissance à de nouvelles formes
d’exploitation et d’inégalités, qui viendraient frapper les femmes les plus
pauvres, déjà doublement pénalisées par nos sociétés.
Mais s’il n’y a pas de paiement ? Alors, on voit mal
comment on pourrait parler de marchandisation. Si une femme veut permettre,
gratuitement, à un homme seul, à un couple d’hommes, ou tout simplement à un
couple hétérosexuel infertile d’avoir un enfant, sur quelle base le leur
refuser ?
Notre société considère comme une évidence qu’il est
préférable que l’enfant soit élevé par sa mère – ou par ses parents –
biologique(s). Et sans doute, il faut faire en sorte que ce soit le cas à chaque fois que c’est souhaité par la
mère ou par les parents. Mais s’ils ne désirent pas l’enfant ? Nous avons
été façonnés par 1500 ans au moins d’obnubilation sur la parentalité biologique ;
mais est-elle vraiment systématiquement la panacée ? Outre ses conséquences
sur notre rapport aux femmes (car si elles ont été cantonnées à l’espace
domestique et privées d’une liberté sexuelle que, malgré la morale chrétienne officielle,
les hommes ne manquaient pas de s’arroger, c’est bien parce qu’ils estimaient essentiel
de savoir de qui, biologiquement,
étaient les enfants), il est difficile de nier que de très nombreux enfants
sont tout aussi heureux en étant élevés par des parents d’adoption (qu’il s’agisse
d’autres membres de leur famille, comme leur grands-parents, ou de parfaits
inconnus). Et encore, si nos sociétés ne mettaient pas à ce point l’accent sur
la filiation biologique et valorisaient davantage la parentalité sociale, on
peut logiquement penser que les enfants adoptés seraient moins complexés et
donc plus heureux.
Allons plus loin. Tout le monde connaît ma position sur l’avortement :
avant une douzaine de semaines de grossesse, je le considère comme parfaitement
légitime ; après ce terme, je pense qu’il doit être réservé aux seuls cas où
la grossesse ou l’accouchement mettent en danger la vie de la mère. Cela étant,
qu’on soit d’accord avec moi ou qu’on adopte une position plus laxiste (et a fortiori si on refuse l’IVG plus
radicalement que moi), je crois que nous pouvons tous nous mettre d’accord sur
un point : il serait préférable
que nous parvenions à réduire le nombre d’avortements. Même s’ils peuvent être une
solution, légitime je le répète, à une situation de crise, beaucoup de femmes préféreraient ne pas avoir besoin d’y
recourir. Au moins depuis que j’ai vu le film Juno, je suis convaincu qu’il nous faut, pour aller dans ce sens,
grandement faciliter la procédure d’adoption à la naissance.
Et là, on est bien forcé de retrouver la GPA. Bien sûr, on
me dira qu’il y a une grande différence : l’adoption à la naissance pour
éviter un avortement découle a priori
d’un accident, d’une grossesse non désirée qui rencontre un désir d’enfant non
satisfait, alors que la GPA résulte d’un accord préalable entre la mère
biologique et le (ou les) parent(s) qui adopte(nt). Mais si, comme je le
souhaite, on facilite l’adoption à la naissance, il sera bien difficile, pour
ne pas dire impossible, d’empêcher de tels accords, même si la mère porteuse prétend ensuite qu’il s’agit d’un
accident. Sauf à lui interdire d’avoir voix au chapitre pour le choix des
parents qui adopteront son enfant – ce qui semble difficilement défendable –, les
GPA existeront donc de fait. Comme il ne faut pas interdire ce qu’il est
impossible d’empêcher, il est sans doute préférable d’autoriser la GPA.
Insistons encore : la GPA non marchande. Si je suis, autant pour cette raison essentielle que
parce que je ne vois pas réellement d’arguments contraires, favorable à la GPA,
je suis en revanche absolument opposé à toute idée de rétribution ou même de
compensation financière. Mais justement, il sera beaucoup plus facile de
contrôler que l’échange n’est pas marchand s’il se fait en France ou en Union
européenne que si des gens vont à Madagascar ou au Cambodge pour faire la même chose.
Finalement, si la fécondation in vitro me semble être la conquête par la Technique d’un
territoire qui lui échappait jusqu’à présent, et donc devoir être combattue, la
GPA non marchande me semble être un acte d’amour et, au sens le plus noble de
ces termes, de charité, de pitié, de partage.
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