mardi 26 novembre 2019

La GPA : problème ou solution ?


Comme la PMA, la GPA est une pratique qui m’a longtemps posé question. En analysant les arguments des uns et des autres, je ne parvenais pas à savoir s’il s’agissait plutôt d’une pratique dangereuse, voire mauvaise et qu’il fallait donc bannir, ou bien si elle ne posait en réalité pas de problème moral ou politique sérieux. Mon intuition, mon instinct me portaient à m’y opposer ; mais en matière de morale sexuelle, familiale et procréative, j’ai appris à me méfier d’eux. Nous sommes pétris de tant d’a priori, de préjugés, de présupposés souvent peu fondés, qu’il faut essayer, plus encore que sur d’autres questions, de prendre du recul par rapport à ce que naturellement nous sommes portés à croire ou à juger.

Pour ce qui est de la PMA, ma réflexion m’a conduit à y être plutôt hostile, en tout cas à m’opposer à certaines pratiques de procréation médicalement assistée, comme je l’ai écrit dernièrement dans un autre billet. On aurait donc pu logiquement penser que j’allais aussi m’opposer à la GPA, qui est presque universellement considérée comme « pire », plus dangereuse, moralement moins défendable que la PMA.

Il est d’ailleurs intéressant de noter que cette hiérarchisation quasi universelle n’est remise en question par pratiquement personne, aussi bien parmi les adversaires que parmi les partisans de ces évolutions sociales. En 2012, ceux qui étaient partis en guerre contre la loi Taubira affirmaient qu’elle allait inéluctablement mener à la PMA, puis à la GPA, sous-entendant par là qu’il y aurait une gradation dans l’horreur : mariage des pédés puis PMA puis GPA (là, la fin de la civilisation serait atteinte). Symétriquement, les thuriféraires de ces bouleversements adoptent, avec un objectif inverse, une hiérarchisation identique : ils ont fait passer le mariage des couples homosexuels, puis ils ont fait adopter la PMA pour les couples de femmes et les femmes seules, puis on peut supposer qu’ils légaliseront la GPA (la dernière loi bioéthique a été l’occasion de l’évoquer, il y a des chances que ça ne tarde plus). Mais de la même manière que la question de la PMA n’a pas mis en jeu les véritables arguments qui auraient dû nous faire renoncer à cette mutation sociale (les adversaires de la loi déroulant de forts mauvais argumentaires, et contre-productifs), on ne nous explique jamais pourquoi la GPA serait forcément « encore pire » (ou « l’étape suivante »). Cette hiérarchisation, cet ordre des choses semblent aller d’eux-mêmes, s’imposer comme des évidences, qu’on soit pour ou qu’on soit contre.

Or, les choses ne me semblent pas, à moi, si simples. Je reconnais, commençons par là, que certains arguments en faveur de la GPA me semblent mauvais. On nous dit (pour s’opposer à la PMA pour toutes ou au contraire pour promouvoir la GPA – et encore une fois, la similitude des arguments des pros et des antis me frappe) qu’il n’est pas normal que deux hommes ne puissent pas avoir d’enfant si deux femmes peuvent en avoir, et qu’au nom de l’égalité, nous avons le devoir (ou nous sommes contraints, selon le point de vue) d’accepter la GPA maintenant que la PMA pour les couples de femmes est légale. L’argument ne tient pas une seule seconde au niveau juridique : la loi n’a jamais vu aucune objection à ce que des situations différentes soient traitées de manière différente.

Ainsi, le mariage pour les couples homosexuels était un choix politique ; un bon choix à mon avis, mais un choix : ce n’était pas une obligation qui aurait découlé nécessairement de la seule possibilité pour les couples hétérosexuels de se marier. De la même manière, un mineur de quinze ans ne peut ni se marier, ni voter, quand un adulte de vingt ans peut le faire : la loi traite différemment des situations différentes. Un couple d’hommes n’étant biologiquement pas la même chose qu’un couple de femmes, il n’y aurait pas de problème légal à ce que deux femmes aient accès à la PMA, mais pas deux hommes à la GPA.

Un autre argument fréquemment avancé pour défendre la GPA est qu’elle ne différerait pas fondamentalement des autres formes d’emploi : si on autorise le patron de Peugeot à louer la force du bras d’un homme pour produire des voitures, pourquoi n’autoriserait-on pas un homme à louer la fertilité de l’utérus d’une femme pour produire un bébé ? L’argument, choquant en apparence, pourrait avoir une pertinence ; fort heureusement, je suis, pour ma part, dispensé de l’examiner. En bon Ardorien, je suis en effet opposé au salariat de manière générale : pour moi, tout travailleur doit être propriétaire de son outil de travail, et ne pas pouvoir louer ou employer la force de travail d’un autre. En ce sens, de mon point de vue, la GPA serait condamnable au même titre que le reste du salariat ; même en admettant qu’on n’achète pas le bébé, mais la fertilité de la femme, cela reste, à mon sens, de l’exploitation, et donc inacceptable.

Mais il faut bien insister sur un point : ce qui rend le salariat inacceptable, pour moi (ou pour nous, Ardoriens), ce n’est pas l’usage du travail d’autrui, c’est sa marchandisation. Nous sommes radicalement opposés à ce qu’un patron possède des machines qu’il fasse travailler par ses ouvriers salariés ; en revanche, nous n’avons évidemment rien contre le fait de donner un coup de main à son voisin pour l’aider à repeindre sa façade, ou même de faire entièrement pour lui un travail qu’il ne peut pas faire (réparer un meuble, élaguer un arbre, etc.).

Appliquons cela à la GPA : je suis formellement opposé à la marchandisation de la procréation ; je trouve absolument inacceptable, moralement, de payer une femme pour qu’elle ait un enfant qu’elle puisse nous donner ensuite : l’être humain ne peut pas être une marchandise, c’est aussi abominable pour l’enfant qui est acheté que pour la mère, qui ne peut à peu près que se sentir coupable d’avoir vendu son enfant – sans compter que cela donnerait immédiatement naissance à de nouvelles formes d’exploitation et d’inégalités, qui viendraient frapper les femmes les plus pauvres, déjà doublement pénalisées par nos sociétés.

Mais s’il n’y a pas de paiement ? Alors, on voit mal comment on pourrait parler de marchandisation. Si une femme veut permettre, gratuitement, à un homme seul, à un couple d’hommes, ou tout simplement à un couple hétérosexuel infertile d’avoir un enfant, sur quelle base le leur refuser ?

Notre société considère comme une évidence qu’il est préférable que l’enfant soit élevé par sa mère – ou par ses parents – biologique(s). Et sans doute, il faut faire en sorte que ce soit le cas à chaque fois que c’est souhaité par la mère ou par les parents. Mais s’ils ne désirent pas l’enfant ? Nous avons été façonnés par 1500 ans au moins d’obnubilation sur la parentalité biologique ; mais est-elle vraiment systématiquement la panacée ? Outre ses conséquences sur notre rapport aux femmes (car si elles ont été cantonnées à l’espace domestique et privées d’une liberté sexuelle que, malgré la morale chrétienne officielle, les hommes ne manquaient pas de s’arroger, c’est bien parce qu’ils estimaient essentiel de savoir de qui, biologiquement, étaient les enfants), il est difficile de nier que de très nombreux enfants sont tout aussi heureux en étant élevés par des parents d’adoption (qu’il s’agisse d’autres membres de leur famille, comme leur grands-parents, ou de parfaits inconnus). Et encore, si nos sociétés ne mettaient pas à ce point l’accent sur la filiation biologique et valorisaient davantage la parentalité sociale, on peut logiquement penser que les enfants adoptés seraient moins complexés et donc plus heureux.

Allons plus loin. Tout le monde connaît ma position sur l’avortement : avant une douzaine de semaines de grossesse, je le considère comme parfaitement légitime ; après ce terme, je pense qu’il doit être réservé aux seuls cas où la grossesse ou l’accouchement mettent en danger la vie de la mère. Cela étant, qu’on soit d’accord avec moi ou qu’on adopte une position plus laxiste (et a fortiori si on refuse l’IVG plus radicalement que moi), je crois que nous pouvons tous nous mettre d’accord sur un point : il serait préférable que nous parvenions à réduire le nombre d’avortements. Même s’ils peuvent être une solution, légitime je le répète, à une situation de crise, beaucoup de femmes préféreraient ne pas avoir besoin d’y recourir. Au moins depuis que j’ai vu le film Juno, je suis convaincu qu’il nous faut, pour aller dans ce sens, grandement faciliter la procédure d’adoption à la naissance.

Et là, on est bien forcé de retrouver la GPA. Bien sûr, on me dira qu’il y a une grande différence : l’adoption à la naissance pour éviter un avortement découle a priori d’un accident, d’une grossesse non désirée qui rencontre un désir d’enfant non satisfait, alors que la GPA résulte d’un accord préalable entre la mère biologique et le (ou les) parent(s) qui adopte(nt). Mais si, comme je le souhaite, on facilite l’adoption à la naissance, il sera bien difficile, pour ne pas dire impossible, d’empêcher de tels accords, même si la mère porteuse prétend ensuite qu’il s’agit d’un accident. Sauf à lui interdire d’avoir voix au chapitre pour le choix des parents qui adopteront son enfant – ce qui semble difficilement défendable –, les GPA existeront donc de fait. Comme il ne faut pas interdire ce qu’il est impossible d’empêcher, il est sans doute préférable d’autoriser la GPA.

Insistons encore : la GPA non marchande. Si je suis, autant pour cette raison essentielle que parce que je ne vois pas réellement d’arguments contraires, favorable à la GPA, je suis en revanche absolument opposé à toute idée de rétribution ou même de compensation financière. Mais justement, il sera beaucoup plus facile de contrôler que l’échange n’est pas marchand s’il se fait en France ou en Union européenne que si des gens vont à Madagascar ou au Cambodge pour faire la même chose.

Finalement, si la fécondation in vitro me semble être la conquête par la Technique d’un territoire qui lui échappait jusqu’à présent, et donc devoir être combattue, la GPA non marchande me semble être un acte d’amour et, au sens le plus noble de ces termes, de charité, de pitié, de partage.

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