Le débat sur la PMA nous offre, une nouvelle fois, une belle
illustration du simplisme qui règne aujourd’hui en politique : d’un côté,
des députés macronistes – et leurs soutiens – qui réduisent à peu près leur
argumentaire à « la défense du progressisme contre l’arriération », à
« l’égalité » et à « la liberté de faire ce qu’on veut de son
corps » ; de l’autre, des opposants à peu près réduits au périmètre
de la Manif pour tous, qui vont bêlant que l’enfant a droit à un père.
Commençons par écouter le troupeau : on s’aperçoit que
tous leurs arguments pour s’opposer à l’ouverture de la PMA aux couples de
femmes et aux femmes seules sont invalides. L’enfant a-t-il droit à un père ?
Non, je l’ai déjà expliqué, sinon il faudrait retirer leurs enfants aux femmes
qui perdent leur mari. On nous dit alors que les enfants qui perdent leur père,
c’est bien triste, et que la loi ne devrait pas fabriquer de telles situations.
Mais la loi, de ce point de vue, n’autorise rien de nouveau : une femme
seule a parfaitement le droit d’aller coucher avec un homme dont elle ignore
jusqu’au prénom, de tomber enceinte, de ne jamais en avertir ledit coup d’un
soir, d’avoir son enfant et d’être une mère célibataire. Si la loi autorise
cette situation, c’est bien qu’elle reconnaît l’évidence : un enfant n’a « droit »
à rien en termes de parents.
Contrairement à ce que prétendent ses adversaires, la nouvelle
loi n’établit donc aucune « inégalité sociale » entre les enfants qui
seront nés sans père et les autres : cette inégalité a toujours existé. La
loi n’interdit pas aux mères de mourir en couches, ni aux pères de se suicider ;
elle n’interdit ni aux seconds, ni aux premières, d’abandonner leurs enfants
deux semaines après leur naissance pour aller faire leur vie ailleurs. Or, c’est
un principe fondamental : tout ce que la loi n’interdit pas, elle l’autorise.
De ce point de vue, la Convention Internationale des Droits
de l’Enfant, souvent citée par la Manif pour Tous et ses acolytes, ne dit rien,
et aurait mieux fait de se taire. L’enfant aurait droit « dans la mesure
du possible » de connaître ses parents et d’être élevé par eux. Mais que
signifie un droit « dans la mesure du possible » ? Absolument
rien. Imaginons-nous un instant que nous ayons droit à la liberté d’expression
ou d’opinion « dans la mesure du possible » ? Ça n’aurait aucun
sens.
Ce dont a besoin un enfant, c’est d’un environnement
familial stable dans lequel il soit aimé. L’expérience aussi bien que les
études menées sur le sujet montrent qu’un enfant peut être aussi heureux s’il
est élevé par une femme seule, par deux femmes, ou par un homme et une femme ;
un divorce, en réalité, est bien plus destructeur pour le bonheur d’un enfant
que le fait d’être élevé par deux hommes – et pourtant, le divorce est
autorisé.
La formule-choc des adversaires de la loi, qui prétendent s’opposer
à un « droit à l’enfant » dont personne ne parle pour défendre un « droit
de l’enfant » que personne ne nie, est donc inepte autant que creuse (même
si elle est efficace d’un point de vue rhétorique).
Enfin, l’argument selon lequel la PMA est légale pour
soigner l’infertilité des couples, mais pas celle des personnes, ne tient pas davantage :
car c’est toujours un couple qui est infertile. Quand, dans un couple
hétérosexuel, l’une des deux personnes est stérile, on ne va pas dire à l’autre
qu’elle n’a qu’à se trouver un conjoint fertile ! Si, dans un couple
hétérosexuel, on ne s’occupe pas de savoir si l’un des deux est fertile pour
autoriser une PMA, il n’y a pas non plus de raison pour s’en occuper pour les
couples homosexuels. Ou alors quoi ? Comme pour les couples hétéros, on
autoriserait la PMA à deux femmes si et seulement si l’une d’entre elles est
médicalement stérile ? On voit bien que ça ne tient pas debout.
Une chose est donc absolument certaine : si la PMA est autorisée pour les couples
hétérosexuels, alors elle doit être autorisée
pour les femmes seules et pour les couples de femmes. De ce point de vue, je
soutiens la loi proposée par le gouvernement : le statu quo était la position la plus inacceptable, la plus injuste.
Mais alors, tout est là : la PMA doit-elle être autorisée
pour les couples hétérosexuels ? Soulignons avant tout que la
« procréation médicalement assistée » recouvre beaucoup de choses
extrêmement différentes. L’insémination artificielle n’est pas de la même nature
que la fécondation in vitro ;
encore ces deux appellations recouvrent-elles à leur tour des réalités
passablement diverses.
Sur cette question, foncièrement, qui n’a pas compris que l’essentiel
était là n’a rien compris. Car il ne s’agit pas en réalité de savoir si la PMA
doit être autorisée ou non, mais bien plutôt quelle PMA doit l’être, et
laquelle ne doit pas l’être.
Intervient ici un autre grand principe de la loi : il
ne faut pas interdire ce qu’on ne peut pas empêcher. Or, on ne pourra jamais empêcher
la « PMA maison » : la femme, même lesbienne, même en couple
avec une autre femme, qui couche une fois avec un homme, ou qui s’insémine à la
pipette pour avoir un enfant ; partant, on ne doit pas non plus l’interdire.
Qui plus est, il ne faut pas le regretter. Car dans l’insémination
artificielle, même si ce n’est pas « naturel » (mais bon, faire des
dissertations d’histoire non plus n’est pas « naturel », et on ne
cherche pas à l’interdire), les conditions techniques
de réalisation de l’acte ne sont pas de nature à arracher l’homme à son être, à
le déraciner. Surtout, elles ne permettent rien d’autre que ce pour quoi il est
conçu : faire un enfant. L’insémination artificielle ne peut en aucune
manière aboutir au tri des embryons ou à l’eugénisme.
Mais il n’en va pas de même de la fécondation in vitro. Ici, le niveau de technicité
est poussé bien plus haut ; et c’est pourquoi l’acte change de nature. Que
le sperme soit déposé par une cuillère ou par une bite ne change pas grand-chose
à ce qui se passe ; mais qu’un ovule soit fécondé en éprouvette et
implanté ensuite dans l’utérus, et l’acte change de nature. Même s’il est, au
début, implanté avant de pouvoir être considéré comme un être humain, parce que
la fécondation aura eu lieu hors du corps de la femme, il n’y aura plus de
raison, ensuite, d’empêcher de l’implanter beaucoup plus tard, puis de ne plus
l’implanter du tout. Même si, au début, nous refusons l’eugénisme, nous
détruisons déjà les embryons surnuméraires : il n’y aura pas d’obstacle
significatif à faire ce tri en fonction de critères de qualité génétique ;
nous le ferons parce que nous pourrons le faire, comme nous faisons déjà les
choses parce que nous pouvons les faire.
Une fois de plus, le simplisme et
la pauvreté du débat de société masquent l’essentiel, à savoir le fait que,
pour reprendre les mots de Heidegger, nous vivons de plus en plus dans des
conditions « purement techniques » : « C’est bien ça l’inquiétant,
que ça fonctionne, et que ce
fonctionnement entraîne toujours un nouveau fonctionnement, et que la technique
arrache toujours davantage l’homme à la terre, l’en déracine.[1] » Le problème n’est pas de savoir qui a recours à la fécondation in
vitro ; le problème, c’est que l’autorisation de cette innovation fait
passer sous l’empire de la Technique, qui dévore de plus en plus l’intégralité
de nos vies individuelles et de nos sociétés, quelque chose qui jusqu’à présent
lui échappait : le commencement de la vie humaine. Ne voyant pas ceci, les
gens ne voient pas que ce n’est pas la PMA pour les couples de femmes qu’il
faut interdire, c’est uniquement la fécondation in vitro, mais pour tous les couples.
Seulement voilà : tout cela, ce n’est pas aujourd’hui qu’il faut
le crier, c’était quand la PMA a été autorisée pour les couples hétérosexuels, c’est-à-dire
il y a un quart de siècle. C’est à ce moment qu’il aurait fallu refuser de
faire ce que la technique nous autorisait à faire. En montrant d’abord que, sur
une planète surpeuplée, faire à tout prix des enfants n’était pas forcément une
bonne idée ; ensuite que, lorsque des parents veulent un enfant (et je
serais mal placé pour leur jeter la pierre), la société pouvait mettre en place
d’autres solutions pour leur permettre d’en adopter – mais j’y reviendrai dans un
prochain billet[2].
Parce que ça n’a pas été fait, nous sommes aujourd’hui face à ce dilemme
moral insoluble qui nous force à être à la fois pour et contre la proposition
de loi des macronistes : pour parce que le statu quo était insupportable, contre parce que c’est la fécondation
in vitro tout court qui devrait être interdite.
Il
n’y a donc pas lieu, comme j’entends certains de mes amis le faire, de
regretter la loi Taubira ou le mariage pour les couples homosexuels, qui n’ont
strictement rien à voir avec cette question. En revanche, il y a lieu de
continuer à regretter que nos sociétés, encore et toujours, fassent tout ce qu’il
est possible de faire uniquement parce que c’est possible. La position que je
défends est, j’en ai bien peur, la seule qui concilie l’égalité des droits et
le refus d’une vie qui ne soit pas purement technique. Dommage que nous soyons
si peu à la défendre.
*** EDIT DU 13/10/2019 ***
*** EDIT DU 13/10/2019 ***
Une précision que je n’ai pas faite mais je crois utile : il est
évident que, par cet article, je ne prétends pas juger les personnes qui font
le choix de pratiquer une fécondation in
vitro. Je désapprouve l’acte, mais je comprends que, face à une situation personnelle
très douloureusement vécue, on fasse des choses sans se demander si elles sont
morales, si elles posent un problème collectif à la société, ou en apportant à
ces questions d’autres réponses que moi.
[1]
Martin Heidegger interrogé par Der Spiegel, Réponses et questions sur l’histoire et la politique, 1966 (publié en 1976).
[2]
Et ceux que j’entends hurler « GPA ! », c’est pareil, attendez le
prochain billet.
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