Dans mon dernier billet, j’essayais de dégager les racines
profondes du mal dont souffre l’école française, et je vous annonçais quelques
pistes pour essayer de sortir de la crise éducative majeure que nous
traversons. Là encore, je passe rapidement sur les évidences coûteuses
(diminution en moyenne du nombre d’élèves par classe, revalorisation du salaire
des professeurs, marginalisation du recours aux contractuels et retour à
l’emploi des lauréats des concours comme norme, etc.), essentielles mais qui
n’ont aucune chance d’être mises en œuvre, pour me concentrer sur des
propositions purement pédagogiques et qui ne coûteraient pas un pognon de
dingue à Macron.
Je passe également sur les propositions démagogiques car en
l’air : rétablir l’autorité du professeur, oui, bien sûr, tout le monde
est pour, mais enfin, comment s’y prend-on, concrètement ? Je préférerai
donc ici m’attacher à penser une potentielle réorganisation à grande échelle de
l’école française.
Premier étage de la fusée : par souci d’égalité des
chances, on ne renonce ni à l’obligation de scolarisation jusqu’à 16 ans, ni au
collège unique, dont de nombreuses études semblent indiquer qu’il est plutôt un
facteur de réduction des inégalités. Mais dès l’entrée en 6e, on
établit des classes de niveau sur la base, selon les années, soit des résultats
de l’année antérieure, soit d’un examen de passage en classe supérieure. De
tels examens seraient organisés à la fin du CM2 et de la 3e ; d’une
part le succès à l’examen conditionnerait le passage en classe supérieure,
d’autre part le classement à l’examen serait la base des classes de niveau.
Les classes de niveau auraient un programme à géométrie
variable. Pour chaque niveau scolaire, une « filière alpha » se concentrerait
sur un socle commun indispensable pour les élèves fragiles, tandis qu’une,
voire deux autres filières (« bêta » et « gamma »)
permettraient des approfondissements dans chaque discipline pour ceux qui en
seraient capables. À la fin de chaque année, les élèves seraient évidemment
repositionnés : un élève qui aurait très bien réussi en 5e
alpha pourrait passer en 4e bêta, et inversement un élève qui se
serait montré plus fragile qu’attendu en 5e bêta rétrograderait en 4e
alpha. Les redoublements resteraient exceptionnels, mais les élèves seraient
motivés à travailler, au lieu de voir leur passage en classe supérieur validé
indifféremment, qu’ils aient travaillé ou non. Et surtout, on proposerait à
chaque classe un cours adapté à son niveau, sans pour autant enfermer les
élèves trop tôt dans des filières dont ils ne pourraient plus sortir ensuite.
Deuxième étage de la fusée : un retour au
disciplinaire. Arrêtons de multiplier les heures passées à faire des
« recherches » ou de « l’interdisciplinarité » : pour
construire un mur, il faut d’abord avoir les briques ! Revenons donc aux
fondamentaux qui constituent le tronc commun dont nous avons tous besoin pour
nous construire :
§ Français
/ lettres modernes (aussi bien la maîtrise de la langue que l’étude des œuvres
littéraires)
§ Mathématiques
§ Philosophie
(à commencer dès la 6e, de manière adaptée)
§ Histoire
et géographie (la question de la séparation de ces deux matières pourrait être
posée)
§ Physique
et chimie (même question que pour l’histoire et la géographie)
§ Biologie
et géologie (ce qu’on appelle « SVT » ; à noter que là encore,
une refonte serait envisageable : on pourrait imaginer enseigner d’une
part la biologie, d’autre part des « sciences de la matière et de
l’univers » qui regrouperaient physique, chimie et géologie)
§ Une,
puis deux langues vivantes étrangères
§ Droit
§ Musique
§ Arts
plastiques
§ Éducation
physique et sportive
Notez que j’ajoute le droit, le grand absent de notre
système. Parallèlement, je supprime ce qu’on appelle « Enseignement moral
et civique » (l’ancienne « ECJS », pour ceux qui ont connu ça)
ainsi que la technologie, bref ce qui ne relève ni d’une science, ni d’un art,
ni d’une formation de la pensée et de la réflexion, ni de la maîtrise d’une
langue. Je ne dis pas que ces deux disciplines n’apportent rien aux élèves,
bien au contraire, mais il me semble que d’autres pourraient s’en charger.
Ainsi, l’histoire et le droit pourraient parfaitement prendre en charge, chacun
de son côté, ce qu’apporte actuellement l’EMC.
Ce tronc commun serait maintenu dans tout l’enseignement
général secondaire, parce que même un élève « pas matheux » a besoin
de maîtriser un certain nombre de bases mathématiques, et qu’un élève
« pas littéraire » a quand même besoin d’avoir lu un certain nombre
de textes. En revanche, à partir de la première, voire de la seconde, les
élèves pourraient moduler ces enseignements en leur attribuant un poids plus ou
moins important. On éviterait ainsi de recréer les filières trop rigides de
l’ancien système – la possibilité de se spécialiser à la fois en philo et en maths est un des rares mérites qu’on peut
reconnaître à la réforme Macron-Blanquer –, mais on garderait une structure
disciplinaire, au lieu de partir dans les joyeux mélanges du style
« Histoire-géographie, géopolitiques et sciences politiques », qui ne
font que rarement sens pour des élèves si jeunes.
Cela n’empêcherait
évidemment pas les professeurs de mettre en place des projets
transdisciplinaires, mais à la condition de conserver la priorité à
l’enseignement disciplinaire de base.
Enfin, dans le cadre des classes de niveau, les élèves des
filières « bêta » et « gamma » pourraient choisir une ou
plusieurs options : langues anciennes, langue vivante supplémentaire,
langues régionales, sans parler des options qui existent déjà ou que nous
pourrions créer – théâtre, cinéma, arts du cirque, histoire de l’art, histoire
des religions, culture générale, informatique, la liste est longue.
Troisième étage de la fusée : la modulation du nombre
d’élèves par classe en fonction de l’âge et du niveau. Elle se ferait selon
deux principes : plus les élèves sont jeunes, plus la classe doit être
petite ; plus les élèves sont solides, plus la classe peut être grosse.
Ainsi, il ne faudrait jamais dépasser
20 élèves par classe en primaire (et 15 serait préférable), puis, dans les
filières alpha, 25 au collège et 30 au lycée. En revanche, les filières bêta et
gamma pourraient être plus chargées : 30, voire 35 élèves en collège, et
35, voire 40 en lycée. J’en ai fait personnellement l’expérience dans un
dispositif que j’ai mis en place à Mayotte : quand les élèves sont solides
et motivés par ce qu’ils font, on peut sans aucun problème enseigner à 40
lycéens en même temps.
Quatrième et dernier étage de la fusée : la mise en
place de structures pour les élèves dont j’ai parlé dans mon billet précédent,
ceux qui ne sont pas faits pour cet enseignement, qui s’y ennuient et qui y
souffrent d’un échec chronique. Pour eux, le tronc commun donné plus haut
serait valable uniquement jusqu’à la fin de la 3e, dans le cadre du
collège unique. Ensuite, le système actuel serait réorganisé : actuellement,
le lycée technique et le lycée général forment un bloc très séparé du lycée
professionnel et agricole, le choix entre un bloc et l’autre se faisant à la
fin de la 3e. Dans le nouveau régime, la filière générale
commencerait dès la seconde, et serait réservée à ceux qui sont vraiment faits pour ces enseignements,
qui s’y intéressent et qui y réussissent[1].
Les autres – et assumons-le, ils constituent la majorité –
auraient déjà reçu les connaissances et les méthodes indispensables à la
culture commune et à l’épanouissement personnel dans le cadre du socle commun
jusqu’en 3e. Ils se verraient proposer des formations plus
pratiques, concrètes, qui les intéresseraient davantage, où ils auraient la
possibilité de réussir, et qui leur offriraient des perspectives d’emploi, dans
le cadre de lycées qui regrouperaient ce qu’aujourd’hui on appelle lycée
technique, lycée professionnel et lycée agricole.
On va me dire qu’il n’y aura pas de travail d’artisan,
d’agriculteur ou de technicien pour une majorité de nos élèves. Je pourrais
rétorquer que ceux qu’on envoie actuellement au casse-pipe au lycée, puis dans
le supérieur – parce que nos scores soviétiques au baccalauréat masquent quand
même nos plus de 50% d’échec en première année de post-bac – n’en trouvent pas
davantage.
Mais ce n’est pas l’essentiel. Le plus important, c’est que
notre société, extraordinairement prédatrice pour la nature, gagnerait
justement à faire moins travailler les machines et davantage les bras. C’est
particulièrement vrai dans l’agriculture : bien sûr, de nos jours, un
paysan peut, seul, cultiver des dizaines, voire des centaines d’hectares ;
mais il le fait au prix d’une dépendance aux machines, au pétrole, à la chimie,
à l’irrigation, qui tous épuisent la planète. Le retour à une agriculture plus respectueuse
de la nature – et c’est également vrai de l’artisanat face à l’industrie –
permettrait, sans doute pas de résoudre, mais du moins d’avancer vers des
solutions, à la fois pour trois crises : la crise environnementale, la
crise éducative, et le chômage de masse.
Ces propositions ne sont pas seulement les miennes : ce
sont celles qui avaient déjà été collectivement formulées par Tol Ardor il y a
des années. Elles sont, me semble-t-il, toujours d’une brûlante actualité.
[1]
Il va de soi qu’il faudrait changer radicalement les pratiques du
collège : quand on voit qu’un élève peut avoir en 3e 12,5 de
moyenne en maths, puis avoir son brevet avec mention bien, et ce alors même
qu’il ne sait pas faire une règle de trois, on comprend que quelque chose ne
tourne pas rond. Mon système est évidemment dépendant d’une évaluation
réaliste. Mais la manière d’évaluer est un problème politique, j’en avais déjà
parlé.
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