J’ai déjà écrit sur les gilets jaunes, et foncièrement, je
ne reviens pas sur ce que j’ai dit la première fois. Je n’ai pas changé d’avis ;
mais peut-être convient-il d’apporter quelques nuances et précisions.
La première, qui devrait être une évidence pour ceux qui me
connaissent, c’est que si je ne me sens pas dans le camp des gilets jaunes, je
me sens encore bien moins dans celui du gouvernement. Je ne crois pas une seule
seconde au scénario d’un gouvernement sincèrement engagé pour l’écologie et
entravé par des égoïstes réactionnaires. Bien au contraire, ce gouvernement, au
service exclusif des plus riches, a poussé trop loin les inégalités et a fait
exploser une colère qui montait depuis longtemps. Fondamentalement, le mouvement
des gilets jaunes est (ou était, car je crois sa fin prochaine) une révolte de
la misère : s’il fallait choisir un camp entre Macron et les gilets
jaunes, je serais évidemment du côté de ces derniers. Seulement, je ne crois
pas qu’il faille choisir un de ces deux camps.
La seconde, c’est que dans l’ensemble, ce ne sont pas les méthodes des gilets jaunes qui me
choquent. Bien sûr, il y a ponctuellement des choses qui m’écœurent :
ainsi, à mon sens, rien ne justifie de briser une statue, de taguer un monument
historique ou de détruire une œuvre d’art. Mais ce sont là des épisodes isolés
bien que très stupides. Pour le reste, l’usage de la violence contre les biens
matériels – les bagnoles, les vitrines… – ne me dérange pas en soi, parce que « quand
l’ordre est injustice, le désordre est déjà un commencement de justice[1] ».
Enfin, je rappelle que, quoi que je pense par ailleurs de l’urgence
écologique, je comprends les
doléances des gilets jaunes. Je ne les approuve pas forcément, mais je les
comprends. Je pense que nous devrions cesser, pour l’essentiel, d’utiliser nos
voitures ; ça ne m’empêche pas de comprendre qu’une smicarde qui a besoin
de sa voiture pour aller travailler à 50 Km. de chez elle trouve une hausse des
prix de l’essence insupportable.
Ce qui m’a choqué initialement, et continue de me choquer,
ce n’est donc pas que des gens descendent dans la rue pour protester contre la
hausse des taxes : c’est qu’ils le fassent sur ce sujet alors même qu’ils
n’ont rien fait quand il s’agissait d’enjeux
beaucoup plus graves, y compris pour eux, même s’ils n’en ont pas conscience.
On peut le comprendre ; mais on ne peut pas refuser d’en tirer des conséquences
politiques.
Là-dessus, je ne renie rien de ce que j’ai écrit : le
prix de l’essence va augmenter (par
le jeu de l’offre et de la demande) et doit
augmenter (pour que nous passions à un modèle ne reposant pas sur les énergies
fossiles). Que Macron et son gang s’y soient mal pris pour le faire ne change
rien à cette réalité ; en la niant, les gilets jaunes font la
démonstration éclatante de l’incapacité des masses populaires, qui ont le nez dans
le guidon de leurs problèmes, à résoudre la Crise que nous traversons, donc à
gouverner.
Et bien sûr, depuis cette étincelle originelle, je ne suis
pas non plus d’accord avec beaucoup de leurs revendications. Le référendum d’initiative
citoyenne, par exemple, qui est en passe de devenir leur revendication-phare,
serait une immense connerie s’il était sérieusement mis en place. Justement parce
que le peuple ne perçoit par les grands enjeux de notre époque, n’a pas d’éclairage
moral sur ce qui est juste ou injuste, ne comprend pas la Crise dans laquelle
nous entrons, il est illusoire d’espérer que lui donner un pouvoir aussi direct
améliorera quoi que ce soit. Il est par exemple évident qu’en 2013, une telle
possibilité aurait été utilisée, sans doute avec succès, pour bloquer le
mariage pour tous.
Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : les
élites, l’oligarchie, les riches, les puissants sont évidemment tout aussi
stupides que le peuple. Je ne prétends pas, je le répète, que des masses ineptes
entraveraient des dirigeants éclairés. Les patrons, les politiciens, les élus,
les banquiers sont précisément ceux qui nous ont menés droit dans le mur. Seulement,
je m’élève contre la fiction confortable qui voudrait croire, contre toute
évidence, qu’ils l’ont fait contre l’opinion
populaire. La surconsommation matérielle, l’exploitation à outrance des
ressources de la planète, le rejet de plus en plus massif de déchets, tout ça n’a
pas été mis en place par les élites contre le peuple ; bien au
contraire, tout cela a été réclamé à cor et à cris par le peuple ; les
élites n’ont fait que l’organiser et en profiter autant que possible pour
devenir plus riches et plus puissantes encore. De ce point de vue, le pillage
des magasins de smartphones est très révélateur.
On va me dire : « oui, mais les seules fenêtres qu’ils
ont sur le monde, ces pauvres gens, ce sont TF1 et BFM. Comment voulez-vous qu’ils
comprennent les enjeux de la crise écologique ? » Eh ! Je le
sais bien. Mais l’objection tombe complètement à côté de la plaque. Si je dis
de quelqu’un : « il a la grippe, je vais éviter de m’approcher de lui
et de lui serrer la main », est-ce qu’on va me répondre : « pas
étonnant qu’il ait la grippe, il travaille dehors toute la journée par ce froid » ?
Qu’il y ait une raison au fait que quelqu’un
a la grippe ne change rien au fait que pour ne pas être contaminé, il ne faut pas
l’approcher. De la même manière, qu’il y ait une multitude de raisons qui expliquent l’incompétence politique
des foules, c’est une évidence dont je suis bien conscient. Mais elle ne change
strictement rien au fait qu’il ne faut surtout pas leur donner le pouvoir. Bien
au contraire, elles le démontrent.
Je consulte à nouveau votre blog dont le propos m'incite à réagir.
RépondreSupprimerNous avons en commun une analyse du désordre de notre monde qui ne pousse pas à l'optimisme.Cependant, je suis gêné par la tournure axiologique de votre analyse du mouvement des g.j.: les concessions que vous faites à leurs revendications matérielles, leurs doléances dites-vous, ne pèsent pas bien lourd face au jugement de valeur dont vous les accablez quant à leur inconscience des enjeux réels.
Ce que vous écrivez quant aux raisons dernières qui entraînent les excès du libéralisme économique me laisse pantois. Ainsi,les ressorts du pouvoir au XXIe siècle seraient restés les mêmes qu'à l'époque de la république romaine: panem etcircences,cupidité et calcul des uns s'appuyant sur la gloutonnerie imbécile des autres.
Et si nous quittions cette approche axiologique qui nourrit l'effervescence argumentative sans permettre de distinguer ce qui est déjà le ferment d'un changement de mentalité,de culture,de civilisation?
Effectivement, depuis un demi-siècle nous sommes à un tournant: un abime s'ouvre sous nos pieds, mais qu'est-ce qui pourrait bien nous dispenser de réagir positivement face à l'ignorance et d'éclairer nos contemporains sur nos erreurs?
Je dis nos erreurs parce que nous en participons. Ne devons-nous pas d'abord être lucides nous mêmes enseigner, soigner, traiter nos semblables avec rigueur et bienveillance?
Je ne vois pas autour de moi que viles et sottes gens et s'il ne faut pas négliger le danger que nous fait courir le populisme, ne confondons pas le peuple et la populace qui en est l'expression lorsque les élites descendent elles-mêmes au-dessous de ce qu'elles craignent de la part des révoltés.
Me voilà tombé dans le même travers que vous, mais restons dans l'ordre de l'éthique et laissons la morale aux 'bien-pensants".
Je vous invite à écouter un politique qui n'est pas toujours aussi pertinent.
RépondreSupprimerFaites un copier/coller dans "you tube" du lien suivant:
https://youtu.be/F6ePlJQwuHg
Je vais aller voir ça ^^. En attendant, petite réponse à ce que vous dites vous-même.
RépondreSupprimerVous trouvez choquant que j'affirme que "les ressorts du pouvoir seraient restés les mêmes que sous la République romaine" et que "la cupidité des uns s'appuie sur la gloutonnerie des autres". Mais en fait, oui, c'est exactement ce que je crois : en fait, vous avez mieux résumé la chose que je n'aurais pu le faire moi-même.
C'est triste, certes, mais est-ce que ça veut dire que c'est faux ? Avons-nous un ARGUMENT, autre que notre foi en le peuple et en sa vertu, pour dire que nous ne serions plus sous un régime de "panem et circenses" dont profiteraient quelques uns ?
Qu'il faille éclairer nos contemporains sur leurs erreurs et essayer d'éduquer les masses, je suis d'accord : si je suis prof, c'est quand même avant tout pour ça. Seulement voilà, je pense que nous n'avons plus le temps nécessaire pour espérer réussir. Là-dessus, j'avais déjà écrit un billet :
http://meneldil-palantir-talmayar.blogspot.com/2014/05/eduquer-le-peuple-est-ce-la-solution.html
Je n'ai pas grand-chose à y ajouter... L'éducation du peuple, c'est quelque chose qui va se jouer sur les prochains siècles. Le temps de la Crise dans laquelle nous entrons, c'est celui de quelques décennies. Il n'y a pas de commune mesure entre les deux.
La prise de conscience de la catastrophe qui s'annonce ne ma paraît devoir prendre plus d'une génération, il me semble qu'elle a commencé.
RépondreSupprimerCertains ont visiblement intérêt à ignorer la Crise: c'est à eux qu'il nous faut résister en cessant de nous soumettre aux injonctions du marché.
Des hommes de bonne volonté sont venus à bout de plusieurs machines de guerre redoutables au XXe siècle. Rien ne nous autorise à céder à cette dernière, pas même le fait de considérer qu'elle soit sans commune mesure avec les précédentes.
Je pense que vous faites vous-même ce qui est en votre pouvoir pour la contrer.
Je le fais parce que c'est mon devoir, mais sans espoir de réussir : la prise de conscience dont vous parlez, je ne la vois absolument pas. Une infime minorité a réellement conscience de la Crise qui arrive, de son ampleur et de la radicalité des moyens qu'il faudrait mettre en œuvre pour la combattre. Mais ça, c'est déjà le cas depuis 50 ans, et rien ne change. En 50 ans, la seule chose qui a changé, c'est que les masses ont vaguement acquis l'idée, très générale, que la planète va mal et que c'est plutôt de notre faute. C'est très insuffisant pour combattre la Crise, et ce d'autant plus que cette "prise de conscience" est largement limitée aux pays riches.
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