Les gens me demandent parfois, ces derniers temps, pourquoi je
publie si peu sur ce blog. Peut-être parce que j’en ai marre. Parce que je n’y
crois plus. Parce que les gens sont trop cons, la terre trop bousillée, le
Système trop solide. Je l’ai déjà cité plusieurs fois, hein, Tolkien, quand il
disait qu’il avait parfois l’impression d’être enfermé dans un asile de fou ?
Une fois de plus ne sera pas de trop.
« Je parle moins,
maintenant. Je terrasse plus mes ennemis par l’éloquence. Plus je vieillis,
plus je ferme ma gueule. Aujourd’hui, ce qui me faudrait, c’est le médaillon d’Harpocrate,
avec le doigt sur la bouche, comme ça. »
Récapitulons ce qui m’a donné envie de hurler, ces derniers temps,
sans que j’arrive à trouver ça suffisamment utile pour ouvrir la gueule.
Partout sur la planète, on porte au pouvoir non seulement
des imbéciles, des crétins, des gens qui n’ont pas la première idée des vrais enjeux
du monde aujourd’hui ni de la manière dont il faudrait y faire face, mais
surtout des ordures, des salopards, des gens d’une bassesse et d’une vulgarité
à peu près sans limite. Trump, qui parle de choper les femmes par la chatte.
Poutine, qui veut traquer les terroristes jusque dans les chiottes. Maintenant
Bolsonaro, qui pense que quand un ado commence à être un peu efféminé, tout va
s’arranger si on lui cogne dessus, et qui laisse ses supporters hurler qu’on va
tuer les pédés sans réagir.
Chez nous, avons-nous mieux ? Hum, voyons. Certes, nous
avons porté à la plus haute magistrature un homme qui n’a pas plus de vision
des grands enjeux de notre temps que les autres, mais qui au moins a de la
culture – ce n’était plus arrivé depuis quinze ans au bas mot, ça mérite donc d’être
souligné. Mais le reste de notre classe politique ? Gérard Collomb, alors
qu’il était ministre de l’Intérieur, a tout bonnement remis en question le
droit de manifester[1], sans
que ça déclenche plus de vagues que ça. Plus récemment, Stéphane Ravier,
sénateur, affirme que les droits de l’homme sont incompatibles avec la sécurité
des Français et doivent donc être remis en cause[2].
Vous mesurez la gravité de la chose ? Les droits de l’homme,
les libertés individuelles, ce ne sont pas seulement de grands principes, de
belles idées, des trucs qu’on applique si on n’a rien de mieux à faire ou si
rien ne s’y oppose. Ce sont, très concrètement, la condition même de notre
bonheur à tous. Des énormités pareilles devraient envoyer leurs auteurs dans les
oubliettes des médias et de la vie politique, mais non ! Les lyonnais (ou
leurs représentants) n’ont pas eu peur de réélire l’ami Gérard comme maire de
leur bonne ville.
Et pourtant, ce n’est pas à ces tristes personnages que j’en
veux le plus. N’attendez pas de moi une lamentation sur le thème de « Oh
comme il est méchant Trump, oh comme il est vilain Bolsonaro ». Parce que
des Trump, des Bolsonaro, des Orban, des Kaczyński, et à notre modeste échelle des Collomb et des Ravier, il y en
a toujours eu. Seulement, ils n’ont pas toujours et partout pu accéder au
pouvoir. Parce que quand même, hein : Bolsonaro ! Faut voir le personnage.
On est très, très loin du duel entre Poher et Pompidou.
Et pourquoi y
sont-ils, au pouvoir ? Tous, parce qu’ils ont été élus. Alors quoi ?
J’entends toujours les mêmes pères-la-vertu, les mêmes gardiens du Temple, le même
chœur des pleureuses pour s’indigner que de tels personnages soient aux
manettes ; mais personne, jamais personne, pour en tirer ce qui est
pourtant la seule conclusion logique : si des cons sont au pouvoir, c’est
qu’il y a dans les populations une majorité de cons pour les élire, et que
subséquemment la démocratie ni le meilleur, ni même le moins pire des régimes
pour désigner les dirigeants ; en tout cas, si elle l’a été à une époque, face
à la Crise actuelle, elle ne l’est plus depuis longtemps.
D’autres symptômes du
mal dont nous souffrons ? Ils ne manquent pas. Une caricature signée Mark
Knight et publiée dans le Herald Sun,
en Australie, a déclenché une polémique mondiale. La voici :
Oouuuh, le scandale !
Une noire représentée avec de grosses lèvres ! Bon, la vraie, la voilà :
Est-elle si mal
caricaturée ? On accuse le dessin de Mark Knight de reprendre « les caractéristiques
des dessins racistes des années 1940 ». Parce que les dessins racistes des
années 40 représentaient les noirs avec de grosses lèvres, il serait pour les
siècles des siècles obligatoire de les représenter avec les lèvres fines ?
Les caricatures risquent de n’être plus très ressemblantes… À moins qu’il ne
soit devenu tout bonnement interdit de caricaturer un noir ?
Dans la même veine,
Megyn Kelly, animatrice de télévision américaine, a été purement et simplement
licenciée de son poste (excusez-moi du peu), et pourquoi ? Parce qu’elle a
dit (éloignez les enfants) que se déguiser en noir quand on était soi-même blanc
n’était pas forcément un acte raciste. Comment ça, la suite ? Vous
attendez la suite ? Vous voulez dire, ce qui justifierait un licenciement ?
Ah mais non, y a pas de suite. Elle a été virée pour ça. Elle a eu beau
présenter ses excuses le lendemain (rien que ça, en soi, est choquant), rien n’y
a fait : vi-rée.
Alors bien sûr, je n’ai
aucune amitié particulière pour cette bonne dame. Une ancienne avocate
spécialisée dans la défense des grandes entreprises, ancienne
chroniqueuse-phare de Fox News, ceux qui me connaissent se doutent que ce n’est
pas précisément ma tasse de thé. Mais ce n’est pas la question : quoi qu’on
pense de la personne, son cas illustre le marasme où sont tombées les libertés
fondamentales et tout particulièrement la liberté d’expression.
Bien malmenée, cette
pauvre liberté d’expression, ces derniers temps. Dès qu’elle s’approche du mot « racisme »,
elle prend de la chevrotine à sanglier dans la gueule. Et c’est pareil pour le
sexisme. Le ministre de la santé et le ministre de l’égalité entre les femmes
et les hommes, respectivement Mme Buzyn et Mme Schiappa, sont tombées sur le
râble du président d’un syndicat de gynécologues parce qu’il avait exprimé, à
titre personnel, son opinion anti-IVG. Là encore, tout le monde s’est ému, mais
pas que deux ministres de la République piétinent la liberté d’expression, non
non, ça aurait été trop beau : tout le monde s’est ému qu’un médecin fasse
usage de sa liberté d’expression. Ben oui, les débiles, le truc avec les droits
fondamentaux, c’est qu’on peut s’en servir, on n’est pas obligé de les
crucifier sur les murs des écoles et de les laisser pourrir là. Et figurez-vous
que la liberté d’expression, ça marche même
si vous n’êtes pas d’accord avec ce que dit le type ! Dingue.
Un dernier cas pour
finir : la Cour européenne des droits de l’homme, institution pour
laquelle j’ai d’ordinaire le plus grand respect, vient de valider la
condamnation, en Autriche, d’Élisabeth Sabaditsch-Wolff, une
conférencière critique de l’islam. Comme pour Megyn Kelly, je n’ai aucune
affection pour cette proche de l’extrême-droite, mais sur cette affaire, elle
avait raison. Son crime ? Avoir accusé Mahomet de pédophilie, ce que le
tribunal correctionnel de Vienne a qualifié de « dénigrement de doctrine religieuse ».
Mahomet ayant, selon la tradition de l’islam elle-même, épousé sa femme Aïcha alors
qu’elle avait six ans, et consommé le mariage quand elle en avait neuf, comment
qualifier cela autrement que par de la pédophilie ? Que les choses aient
été socialement acceptées à l’époque ne change rien au problème.
Il est vrai que Mme Sabaditsch-Wolff a été condamnée conformément
au droit autrichien, qui reconnaît en effet le délit de « dénigrement de
doctrine religieuse ». Et alors ? Tout ce que ça signifie, c’est qu’en
Autriche, la liberté d’expression est injustement et illégitimement brimée. La
CEDH n’aurait certainement pas dû cautionner cet état de fait. Oui, chacun a le
droit de dénigrer les doctrines religieuses. La Cour reproche aussi à la
plaignante de n’avoir pas donné à son auditoire « des informations neutres
sur le contexte historique ». Et après ? La liberté d’expression ne
se limite pas aux propos neutres, objectifs et scientifiquement validés, c’est
le principe. Quant au dernier argument (qui est le fond de l’affaire) selon
lequel les propos de la conférencière mettaient en danger la paix sociale en Autriche,
il est encore plus pernicieux : il donne raison à ceux qui utilisent la
force et la menace en montrant que nos sociétés plient le cou devant eux.
Mais la liberté d’expression
n’est pas seule dans le vaste tonneau des droits malmenés. La présomption d’innocence
n’est pas très loin derrière. Car quitte à ce qu’on me tombe dessus pour
racisme et sexisme, autant rappeler qu’Éric Brion, la première victime du
hashtag #balancetonporc, pour avoir dragué (très) lourdement une femme, a été
comparé à un violeur, harcelé (lui, pour le coup), a perdu tous les contrats de
sa boîte, son travail, puis sa compagne. Ma question est simple : est-ce
juste ? Le procès d’un homme fait sur les réseaux sociaux, sans enquête ni
possibilité de se défendre, est-ce cela, la justice que nous voulons pour notre
pays ?
Et tant qu’à parler
de la justice, ou plutôt de son absence, je termine avec la cerise sur le gâteau :
les derniers rebondissements de l’affaire Asia Bibi. Si vous n’avez pas entendu
parler d’elle, cette chrétienne mère de trois enfants a été condamnée à mort au
Pakistan pour blasphème envers l’islam. Déjà, condamnée à mort pour blasphème, oui,
on est bien dans le règne de la pire sauvagerie. Mais passons. En attendant son
appel, elle est enfermée dans une cellule sans fenêtre de 2 mètres 50 sur 3 et
pour faire bonne mesure, un mollah local annonce qu’il offrira 4500€ à quiconque
la tuera. Ledit mollah n’est pas inquiété par les autorités. Ok.
Son appel rejeté,
elle fait un ultime recours devant la Cour suprême du Pakistan. 150 muftis
ayant édicté une fatwa exigeant sa pendaison et menaçant de mort ceux qui
aideront les « blasphémateurs », un des juges, courageux mais pas
téméraire, se récuse. Si ce n’est pas le règne de la barbarie, je ne sais pas
ce que c’est. Finalement, le 31 octobre dernier, la Cour suprême acquitte Asia
Bibi. Le soulagement est toutefois de courte durée, puisque le parti islamiste
TLP déclenche des manifestations monstres qui paralysent le pays, histoire d’exiger
que la sentence d’origine soit bien appliquée.
Posez-vous deux
minutes ; prenez le temps de méditer la chose. Qu’il y ait une poignée de
fous furieux pour exiger la mort de tous ceux qui ne pensent pas comme eux, c’est
normal. Mais c’est qu’ils sont suivis. Ça veut dire que des milliers de personnes
sont capables de sortir de chez elles, de manifester, de bloquer des routes, et
tout ça pour quoi ? Pour qu’une analphabète mère de trois enfants soit
pendue parce qu’elle aurait blasphémé contre leur foi. Il vous vient, le lien
avec l’élection de Bolsonaro ? Moi oui.
Est-ce qu’il n’y a
pas de quoi se dire que l’humanité ne mérite pas d’être sauvée ? Mes chers
semblables, vous me désespérez. Je n’ai pourtant pas une très haute opinion de
la moralité de ma vie. Mais comme le disait si bien Talleyrand : « Quand
je m’examine, je m’inquiète ; quand je me compare, je me rassure. »
Vous voulez une note d’espoir, pour finir ? La seule
que j’aie à vous proposer, je le crains, c’est qu’au rythme où va la triple
crise écologique, économique et politique, l’écroulement civilisationnel, l’effondrement
annoncé par l’écologie radicale, pourrait ne pas être pour dans trop longtemps.
Croyez-moi, c’est pas dommage.
[1]
« Si on veut garder demain le droit de manifester, qui est une liberté
fondamentale, il faut que les personnes qui veulent exprimer leur opinion
puissent aussi s’opposer aux casseurs, et non pas, par leur passivité, être, d’un
certain point de vue, complices de ce qui se passe. » Interview à BFMTV du
26 mai 2018.
[2]
« Il faut savoir ce que l’on veut : soit les droits de l’homme, soit
le droit des Français à vivre en paix et en sécurité chez eux. » Sachant
qu’il vient de dire : « Moi je suis pour préserver la vie des Français. »
Interview à France Inter du 29 octobre 2018.
Dans le même temps où certains sont ostracisés pour avoir tenu publiquement des propos qui contredisaient la doxa, d'autres émettent par écrit et anonymement (cfr. les réseaux sociaux) des opinions et des jugements d'une bêtise confondante. Contrairement à ce que disait naguère un chanteur de variété, il y a, en France, bon nombre d'abrutis.
RépondreSupprimerJe ne sais pas qui vous visez exactement, mais sur la base je suis entièrement d'accord avec vous ! ^^
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