Très (très) souvent, les mahorais se plaignent d’être
traités comme des sous-Français. L’État considérerait leur île comme un
territoire sans importance ni intérêt et ne se préoccuperait de ses habitants
qu’en période électorale. Paris et la métropole seraient coupables de racisme
et de néo-colonialisme.
Que Mayotte souffre de problèmes spécifiques, personne n’en
disconvient. Département le plus pauvre de France, il subit une criminalité
importante ; les médecins n’y sont pas assez nombreux, tout comme les
professeurs bien formés. Les niveaux de chômage, de mal-logement,
d’analphabétisme y battent des records. Reste à comprendre l’origine de cette
situation.
J’ai souvent essayé – sans grand succès, il faut le dire –
d’expliquer aux mahorais que le problème n’était pas un prétendu racisme
d’État, mais le capitalisme néolibéral. Que s’ils regardent ce qui se passe en
métropole, ils s’apercevront que c’est partout
que les maternités ferment et que les services de l’État s’éloignent du public.
Que ce n’est pas Mayotte que l’État n’aime pas, mais les pauvres et les
fonctionnaires, où qu’ils se trouvent.
Mais visiblement, je pisse dans un violoncelle. Les mahorais
apportent leurs voix à la droite, voire à l’extrême-droite, avec la fidélité
d’un labrador, et après ils s’étonnent que les services publics disparaissent.
Hé ! réveillez-vous ! Le programme de la droite, c’est la disparition des services publics pour faire baisser les
dépenses de l’État, ça se résume même à peu près à ça. Si vous votez pour des
gens qui vous expliquent que l’État emploie trop de personnel, pourquoi vous
plaignez-vous de ne pas avoir assez d’infirmières ?
Il se trouve qu’actuellement, nous avons une autre belle
illustration de cette incohérence locale. Les mahorais se plaignent bien
souvent que la police ne fait pas son travail – sous-entendu, qu’ils devraient renvoyer
à la mer encore plus de clandestins. Qu’importe si Mayotte fait déjà, à elle
toute seule, autant de reconduites à la frontière que tout le territoire
métropolitain : il faut aller toujours plus loin. Et puisqu’ils estiment
que l’État distribue trop généreusement les titres de séjours, certains ont
trouvé la solution : bloquer les
services de la préfecture.
Et avec des slogans évocateurs... |
C’est comme ça que, depuis plusieurs mois, le service des
titres de séjour est purement et simplement bloqué. Des femmes en colère
campent devant la préfecture, qui ne peut ouvrir de manière normale que sur de
brefs intervalles. Le reste du temps, ses employés n’accueillent plus les
étrangers qu’au cas par cas, en leur téléphonant avant et en les faisant passer
par une porte dérobée.
Les associations humanitaires et caritatives sont explicitement assimilées par les manifestants à des trafiquants d'êtres humains... |
Et pourtant, travaillant comme bénévole dans une association
qui aide les immigrés à obtenir des papiers, je peux témoigner que la
préfecture n’est pas généreuse – loin de là. Depuis six ans que je fais ce
travail, les conditions n’ont fait que se durcir et se dégrader. On demande
toujours plus aux sans-papiers, on leur accorde toujours moins. Même ceux qui
ont légalement droit à un titre de
séjour, ceux à qui on ne peut pas le
refuser légalement, ont de plus en plus de mal à l’obtenir. Comment dire que la
préfecture accorde trop généreusement les titres de séjour quand j’ai vu un
courrier affirmant que deux personnes mariées civilement en France n’apportaient
pas la preuve de leur communauté de vie ? Que leur faut-il de plus ?
Leurs sextapes ?
N’y a-t-il donc pas là une belle occasion de montrer aux
habitants de l’île qu’ils sont traités comme les autres ? Car enfin, dans quel autre département laisserait-on des citoyens lambda décider qui entre et
qui n’entre pas dans une préfecture, et ce pendant des mois, sans qu’il y ait de sanction ?
Les mahorais ne régleront aucun de leurs graves problèmes
tant qu’ils se tromperont sur le diagnostic ; c’est-à-dire tant qu’ils ne
comprendront pas que les coupables ne sont pas les gens qui sont encore plus
pauvres qu’eux et qui tentent désespérément, au péril de leur vie, de ramasser
quelques miettes de leur chance et de leur richesse. Que les vrais coupables
sont au contraire les puissants, les riches, les oligarques, bref ceux qui
organisent et aggravent les inégalités en France et dans le monde dans le seul
but de s’en mettre plein les fouilles.
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