La première, c’est qu’il est profond, réel, et peut
difficilement être résorbé. Ces deux courants divergent en effet de manière
indéniable, tant sur les idéologies qui les sous-tendent que – et c’en est la
conséquence – sur l’analyse des problèmes dont souffre la société française et
des solutions qu’il convient d’y apporter.
La seconde, c’est qu’au-delà de l’évidente querelle d’ego
entre deux individus qui n’en manquent pas, ce conflit recoupe un enjeu
stratégique de taille pour le FN. Les cadres et les militants du parti sont à
l’évidence, et dans leur grande majorité, bien plus proche de la petite-fille
du vieux chef que de l’ancien chevènementiste. Or, Marine Le Pen a un besoin
vital de leur soutien, car on ne gagne pas une bataille présidentielle sans un
parti en ordre de bataille.
En revanche, les électeurs du FN sont nettement plus proches
de la ligne Philippot. Au-delà de la déception – et de quelques défections –
dans les rangs des « catho-tradis », on ne peut pas nier que la
stratégie mise en place par le duo Marine Le Pen-Florian Philippot depuis
l’accès à la présidence du parti par la première a porté ses fruits. Le FN est
effectivement devenu « le premier parti de France » en termes de
nombre de voix à de nombreux scrutins.
Cela s’explique par le fait que les classes populaires, qui
souffrent avant tout du chômage et du déclassement, sont sensibles à un
discours qui combine rejet de l’immigration et assurance d’un État protecteur
face à l’Union européenne et à la mondialisation ; alors même que le
discours centré sur le remboursement ou non de l’IVG ou le mariage pour tous
leur semble en effet « lunaire » et les laisse froids. Inversement,
de nombreux catholiques traditionnalistes, ou tout simplement de nombreux
conservateurs sur les sujets de société, continueront à voter FN, parti qu’ils
considèrent comme un moindre mal par rapport à tous les autres. Marine Le Pen
est la seule candidate à avoir assuré qu’elle abrogerait la loi Taubira. C’est
un mensonge, mais qui s’en soucie ?
On voit donc bien à quel point l’équation est compliquée
pour Marine Le Pen. Si elle désavoue trop ouvertement sa nièce, elle s’aliène
la base militante de son parti, qui n’ira plus au combat pour elle qu’en
traînant les pieds et sans enthousiasme – inertie qui pourrait lui coûter très
cher. Mais si, à l’inverse, elle ne donne pas raison à son vice-président, elle
retombe dans le ghetto électoral qui était celui du FN de son père, ce qui est
précisément ce qu’elle veut éviter puisqu’il représente le plafond de verre qui
l’empêchera à tout jamais d’attraper la magistrature suprême.
Cela dit, on peut aussi prendre les choses dans l’autre
sens. Cette crise arrive suffisamment tôt pour ne pas peser sur le résultat de
la présidentielle : d’ici-là, le soufflé sera évidemment retombé. En
outre, la force du FN a justement toujours été de fédérer des courants que
presque tout opposait. C’est ainsi qu’il a rassemblé des catholiques
traditionnalistes avec des néo-païens, ou des pétainistes violemment
antisémites avec des judéophiles anti-musulmans. Le conflit entre Marion
Maréchal-Le Pen et Florian Philippot, s’il ne prend pas des proportions trop
dramatiques, pourrait donc servir les intérêts du parti en lui permettant de
continuer à brouter à tous les râteliers, c’est-à-dire à continuer
l’élargissement de son électorat.
En outre, il est à noter que le FN est en passe de gagner
une autre bataille essentielle et qui pourtant passe largement inaperçue :
celle des symboles. J’avais déjà souligné sur ce blog à quel point le FN
dominait les autres grands partis sur le sujet. Pour la campagne à venir, le
logo de Marine Le Pen – pourtant critiqué par sa nièce, soit dit en passant –
est à l’évidence une réussite. Pour ceux qui ne l’ont pas encore vu, le
voici :
Déjà, il représente quelque chose. Il ne se contente pas
d’empiler un sigle écrit avec une police moche sur une ou deux couleurs plus ou
moins bien choisies ; par les temps qui courent, c’est déjà un bon départ.
Si on se penche sur ce que ça représente, on ne peut
qu’admirer l’intelligence du choix. Une rose bleue, d’abord : rien que ça,
c’est riche de significations. La rose symbolise la féminité de celle qui sera
sans doute une des seules candidates à l’élection présidentielle – il est assez
triste que le FN soit le seul parti qui se montre aujourd’hui capable de
présenter ce gage de modernité. La rose bleue représente l’impossible, ce que
le génie de l’agronomie humaine n’a jamais réussi à produire. Marine Le Pen
promet donc de réussir l’impossible, de réussir là où tous les autres ont
échoué. Mais la rose est aussi le symbole du socialisme, et le bleu une couleur
traditionnellement associée à la droite. Marine Le Pen insiste donc sur un des
points essentiels de son argumentaire, à savoir l’idée que le FN ne serait pas
un parti d’extrême-droite mais « ni de droite, ni de gauche », qui
prendrait le meilleur de chacun des deux camps et serait donc à même de
transcender les querelles de bord ou de parti pour le bien de la France.
Enfin, la tige de la fleur, si elle est dénuée d’épines qui
ne pourraient que la rendre un peu revêche, donne tout de même à la rose la
forme très nette d’une épée. La disparition de la flamme permet donc de laisser
la place à un autre symbole de combativité qui reste tout aussi lisible, voire
plus lisible, tout en soulignant que le FN de Marine Le Pen est un nouveau FN,
qui ne garde du parti de son père, au fond, que le nom.
Le choix de ce logo est donc une réussite évidente. Cela
peut sembler trivial, mais est en réalité important : une élection ne se
joue jamais avant tout sur des arguments rationnels, sur les idées ou les
programmes des candidats ; leur physique, mais aussi les images, les symboles,
les logos, bref l’affectif y jouent un rôle souvent plus déterminant – de
nombreuses études l’ont fort bien montré.
Je ne me fais donc pas trop de soucis pour le FN. En dépit
des sondages pour le moment très favorables à François Fillon – et qui pourraient
bien se retourner contre lui, tant est forte l’exaspération populaire envers le
complexe médiatico-sondagier –, je crois que s’il traverse une crise, elle ne
menace en rien son existence, ni même sa réussite lors des prochains scrutins.
Notre démocratie a encore un peu de retard par rapport à celle des États-Unis,
et a fortiori à celle des Philippines
qui a porté au pouvoir un véritable fou furieux (sans que cela ne soulève
d’indignation massive ni même de questionnement sur un système politique qui
peut mettre sur le trône un meurtrier autoproclamé) ; mais je ne crois pas
qu’elle puisse résister réellement à la montée du populisme.
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