La devise des politiciens devrait être : « Finalement,
non. » François Fillon vient encore de l’illustrer à propos de ses projets
de réforme de l’assurance maladie. Projet initial pour se faire élire lors de
la primaire : réserver le remboursement automatique par la Sécu aux seules
maladies « chroniques ou graves », laisser le reste aux seules
mutuelles privées. Autant dire privatiser la Sécu pour une très large part, et
bien sûr augmenter considérablement les inégalités de richesse face à la santé
et aux soins.
Subséquemment, l’angle d’attaque pour ses adversaires est enfantin.
Projet thatchérien, ultralibéral, évidemment mauvais, qui va taper sur les
classes moyennes et populaires et sur les retraités : tout le monde, de
Mélenchon au FN en passant par Valls, Macron et Bayrou, lui tombe dessus à bras
raccourcis et s’en donne à cœur joie dans la dénonciation.
Fillon, bien sûr, sent venir le danger, et fuit
courageusement. « Finalement, non » : nous y voilà déjà. Bon, en
soi, la reculade n’est pas surprenante. On annonce une couleur, on est élu sur
un programme, et puis on fait complètement autre chose : nihil novi sub sole. Mais ce qui m’amuse,
c’est la candeur, l’honnête naïveté d’un membre de son entourage qui avoue sans
fard : « On ne tient pas le même discours aux électeurs de droite et
à l’ensemble des Français. »
Ah. Donc si je résume, on dit un truc aux électeurs de
droite pour se faire élire par eux à une primaire, puis on dit un autre truc
aux électeurs tout court pour se refaire élire par eux. Mais comme il s’avère
que le premier truc est le contraire du second, et donc était une connerie, qu’est-ce
qui nous prouve que le second truc n’est pas lui aussi une connerie ? On
commence à comprendre (pour ceux qui n’avaient pas encore pigé, hein) le manque
de confiance (je reste poli, notez) des Français pour la politique et les
politiciens.
Évidemment, Fillon et ses potes s’en défendent. Non, ce n’est
pas une reculade ! Non, ce n’est pas une contradiction ! Fillon « clarifie »
et « fait de la pédagogie », disent ses proches. Fillon reste le
candidat du « courage » et de la « vérité ». Qui en doute ?
Ce qu’on voit, c’est donc un homme sans réelles convictions,
intéressé uniquement par le pouvoir, mais suffisamment intelligent,
suffisamment stratège pour faire varier son discours en fonction de ceux à qui
il s’adresse. Il illustre à merveille un autre grand principe de notre vie politique,
et qui veut qu’une promesse n’engage que ceux qui y croient.
Il avait déjà fait à peu près la même chose à propos du
mariage pour tous. Sachant qu’il ne pourrait pas l’abroger, il a promis de
réécrire la loi Taubira pour réserver l’adoption plénière aux seuls couples
hétérosexuels. Il sait très bien, évidemment, qu’il n’en sera rien. S’il se
décide, une fois au pouvoir, à tenter la chose – et même ça est très loin d’être
garanti –, il est parfaitement conscient que sa réécriture sera rejetée par le
Conseil constitutionnel, car donner à certains couples mariés des droits qu’on
refuserait à d’autres serait une discrimination évidente.
Mais c’est pas grave ! Le coup a marché, les gogos de
Sens commun et de la Manif pour tous se sont mobilisés et ont mobilisé leurs réseaux
pour lui, et il a été élu. Ce n’est que quand il sera au pouvoir, c’est-à-dire bien
trop tard pour eux, qu’ils s’apercevront qu’ils n’auront rien, rien de rien, même pas la petite réécriture qui aurait pu
leur servir de revanche et leur mettre un peu de baume au cœur. Ils pourront toujours
crier à la trahison à ce moment-là ; mais il sera trop tard pour regretter
d’avoir sacrifié le seul candidat qui pensait comme eux – Jean-Frédéric Poisson
– au profit de petits calculs politiciens. La Realpolitik, c’est pas fait pour les cons.
Fillon fait donc, tout bêtement, une nouvelle fois preuve de
son talent politique. C’est une assez bonne nouvelle, si on y réfléchit. Puisqu’il
n’est pas un homme de convictions mais seulement d’ambitions, il est moins
dangereux et fera moins de mal qu’on aurait pu le croire. En outre, les
politiciens démontrent une fois de plus, avec une maestria qui décidément ne se
dément pas, l’inanité complète de la démocratie représentative pour atteindre
le bien commun. Donc merci, Dracula.
Finalement, ce n’est pas si passionnant. Cabrel aurait pu
chanter : « On est tout simplement, simplement… en campagne
électorale sur la Terre. » Ça méritait quand même d’être souligné, je
crois.
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