Il y a une constance, non ? Dieu et les bons peuples
ont dû, de concert, se décider à donner raison à ceux qui considèrent que la
démocratie n’est, décidément, pas le meilleur régime possible, ni même le moins
pire. Je ne suis pas démocrate, mais si je l’étais, je trouvais la séquence un
peu dure à avaler. Orban en Hongrie, Droit et Justice en Pologne, le Brexit,
Trump, et maintenant Fillon ! Ils prennent cher, les démocrates.
Ce qui est rigolo, outre le fait que les élections semblent de
plus en plus pousser au pouvoir le plus débile ou le plus salaud possible (ou
les deux, car ce n’est pas incompatible), c’est aussi la constance des
surprises sondagières. Fillon, on le sentait monter depuis quelques jours, quelques
semaines au mieux, mais enfin de là à passer pas si loin que ça d’une élection
au premier tour, il y avait un pas ! Au pire, on se disait qu’il pouvait
prendre la place de Sarko comme deuxième homme, donc dégager Sarko au passage,
puis se faire tranquillement battre par Juppé au second tour, et tout serait
allé comme prévu.
Et voilà qu’il nous fait plus de 40% et reçoit dans la
foulée le soutien des revanchards (Sarko est forcément furax, et a décidé de
punir celui dont il considère qu’il lui a volé sa place) et des vendus (Bruno
Le Maire est particulièrement décevant : son soutien à Fillon, alors que
les idées de Juppé sont bien plus proches des siennes sur beaucoup de points,
sent le rat quittant le navire de la défaite). On voit donc assez mal comment
il pourrait ne pas l’emporter dimanche prochain.
Or, c’est grave. Car au-delà de l’apparente ressemblance de
ce que tous ces braves gens nous proposent comme recette-miracle pour assurer
notre bonheur flexi-sécurisé, ni les programmes, ni les personnalités ne sont
réellement les mêmes.
Du point de vue du programme, Fillon a probablement un des
pires des candidats de droite. Il cumule l’extrême dureté du néolibéralisme le
plus droitier avec un néo-conservatisme sociétal parfaitement anachronique.
Parmi ceux qui avaient leur chance d’être élus, il est le seul à avoir
constamment promis de revenir partiellement sur la loi Taubira. Il porte un
programme de destruction des derniers restes de l’État social et souhaite
supprimer 500 000 fonctionnaires en 5 ans – une pure folie qui rendrait l’État
encore plus incapable d’assurer des missions pourtant aussi essentielles que l’éducation,
la sécurité et l’éducation.
Du point de vue la personnalité, il faut se méfier de
Fillon, homme dur, droit dans ses bottes et dans ses certitudes, qui représente
la notabilité catholique de province dans ce qu’elle a de pire – et c’est moi
qui le dis, alors que je suis moi-même, peu ou prou, un notable catholique de
province. Il a tout à fait ce qu’il faut pour appliquer concrètement ses
délires, d’autant que tout le poussera à gouverner par ordonnances et qu’il
pourra peut-être même s’appuyer sur une très large majorité parlementaire.
Fillon est donc un homme dangereux porteur d’un projet politique
dangereux. Or, s’il remporte la primaire à droite, il est quasiment certain d’emporter
la présidentielle en mai prochain. Le rejet du PS est tel qu’il est impossible
que la gauche passe la barre du premier tour ; mais les autres ne feront
pas mieux. Bayrou ira au combat, bien sûr, mais il fera probablement moins de
voix que Fillon au premier tour : Juppé, ayant participé à la primaire, ne
pourra sans doute pas le rejoindre officiellement (même si ce n’est peut-être
pas l’envie qui lui en manquera) ; et il pourrait aussi être gêné sur sa « gauche »
par Macron. Bref, Fillon serait presque assuré de l’emporter au premier tour,
et aurait à affronter Marine Le Pen au second ; comme elle ne dispose pas
d’alliances suffisantes pour le battre, Fillon l’emporterait haut la main –
quoique moins brillamment, sans doute, que Chirac en 2002.
Et quand je dis que Fillon est un homme dangereux, je pèse
mes mots. Il ne faut pas se réfugier dans l’attitude confortable qui consiste à
affirmer que tout ça, c’est bonnet blanc et blanc bonnet pour ne pas avoir à
affronter ses responsabilités personnelles. Non, Juppé et Fillon, ce n’est pas
la même chose. Je suis loin d’être un fanatique du maire de Bordeaux ; c’est
un homme de droite, et de droite dure, pas de droite sociale – quelque chose qui
a de toute façon à peu près disparu du paysage politique. Mais son programme n’est
tout de même pas comparable à celui de Fillon. Sur le climat, sur la fonction
publique, sur le mariage homosexuel et sur tant d’autres points, ils diffèrent vraiment.
Nous sommes donc dans une situation tout à fait comparable à
celle de 2007. À ce moment, il était évident pour qui avait des yeux pour voir
que Ségolène Royal ne pouvait pas l’emporter au second tour face à Nicolas
Sarkozy ; et il était à peu près aussi évident que François Bayrou, s’il
parvenait à passer la barre du premier tour, gagnerait le second face à Nicolas
Sarkozy. La seule et unique manière d’éviter Sarkozy était donc de voter Bayrou
au premier tour de la présidentielle. Ce que j’ai fait – en me bouchant le nez,
car je n’apprécie Bayrou qu’à peine plus que Juppé, mais que j’ai fait quand même,
et que je n’ai jamais regretté. Ma tactique de l’époque était la seule
gagnante. Mes amis de gauche ont refusé de me suivre et ont contribué à faire élire
Sarkozy, avec toutes les conséquences que l’on sait.
Les électeurs d’aujourd’hui sont face à la même responsabilité.
Laisser Fillon gagner la primaire de la droite, c’est lui assurer une victoire
quasi-certaine à la présidentielle de mai 2017, alors que nous avons encore la possibilité
d’offrir cette même victoire à un homme peut-être pas meilleur, mais nettement
moins pire.
On pourrait évidemment défendre le laisser courir et croire
à un retournement de situation dimanche prochain. Mais un tel retournement n’arrivera
pas tout seul. Le vote Fillon n’a pas été un vote de barrage : ceux qui
voulaient bloquer le retour de Sarkozy ont voté Juppé dans leur immense
majorité. Le vote Fillon est, je le crains, un vote de conviction : c’est
celui de la droite traditionnaliste et conservatrice provinciale ou
versaillaise, celle qui a fourni le gros des bataillons de la Manif Pour Tous,
qui n’a jamais digéré les défaites idéologiques que le PS lui a imposées depuis
2012 et qui veut prendre sa revanche. Il y a peu de chances qu’elle désarme dans
une semaine, surtout maintenant qu’elle a l’espoir de vaincre le « candidat
des médias », qu’elle déteste par-dessus tout justement parce qu’il est,
sur les sujets de société, un peu moins rétrograde que la moyenne de ses
concurrents.
Ne nous faisons pas d’illusion : si un retournement
advient dimanche prochain, il sera le fait des électeurs de gauche qui auront
fait barrage à Fillon et au danger qu’il représente. Dimanche prochain, on peut
aller voter à contrecœur, mais je crois qu’il faut aller voter.
Bjr Meneldil, je me retrouve totalement dans ce que tu exprimes. Je viens de dire en MP à un "contact" fb que j'ai voté hier et que j'y retournerai dimanche prochain. Même si Juppé.......
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