dimanche 25 septembre 2022

Violences faites aux femmes : de la nécessité de hiérarchiser

Les shitstorms, en ce moment, c’est pire que la tempête Fiona. Quatennens et Bayou en ont pris chacun une pour ce qu’ils ont fait, Mélenchon et à présent Bompard, un de ses proches, se prennent la leur pour ce qu’ils ont dit.

Qu’ont-ils donc dit, ces deux affreux ? Mélenchon a écrit qu’il « [saluait] la dignité et le courage » d’Adrien Quatennens à la suite de sa mise en retrait de son poste au sein de La France Insoumise, et lui a redit « [sa] confiance et [son] affection ». Bompard a, quant à lui, affirmé vendredi 23 septembre à l’antenne de CNews qu’une « gifle n’est jamais acceptable, mais elle n’est pas égale à un homme qui bat sa femme tous les jours ». Et d’ajouter : « Il faut qu’on arrive sur ces sujets à avoir de la nuance ».

Tempête ! La meute s’en est donné à cœur joie. Du sein du gouvernement et de la majorité, bien sûr ; Isabelle Rome, ministre déléguée chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, s’insurge contre « des propos abjects qui banalisent la violence. Des propos qui abîment le combat contre les violences faites aux femmes. Des propos qui vous discréditent totalement sur ce sujet. » Marlène Schiappa, du haut de sa toute nouvelle réserve médiatique (ah ? quelqu’un a remarqué ?), a tweeté : « Taisez-vous, maintenant ! Ça suffit !! C’est à la justice de juger cette affaire. Vos propos font un tort considérable au combat pour la protection des femmes face aux violences. » Tweet intéressant, on y retrouve des constantes de la politique de notre temps ; l’appel à se taire, d’abord – la tentation permanente face à ceux qui ne sont pas d’accord avec nous, et ce n’est pas un hasard si elle commence par là ; le grand mélange de tout et n’importe quoi ensuite (la justice fait son travail, oui, et alors ? parce que la justice traite une affaire de violence faite à une femme, un homme politique ne peut plus s’exprimer sur le sujet général des violences faites aux femmes ?). Bref, le niveau général de Mme Schiappa, le tout à grand renfort de points d’exclamation pour faire passer la bêtise du propos. Toujours dans le même camp politique, la députée Prisca Thevenot s’indigne : « En disant cela, monsieur, vous oubliez sûrement que justement “ça commence souvent par une gifle” ».

Pareil dans les oppositions : Gilbert Collard, oui, celui qui hésite entre Marine le Pen et Éric Zemmour, vous savez, s’est fendu lui aussi d’une belle ineptie : « Manuel Bompard instaure une hiérarchie dans les violences faites aux femmes […] : la hiérarchisation est, en elle-même, insupportable ! » Et bien sûr chez les supposés alliés de LFI, on a aussi pris part à la curée : Sandrine Rousseau évidemment, la fête n’aurait pas été complète sans elle, mais aussi Gabrielle Siry-Houari, porte-parole du PS, je ne vais pas faire la liste complète des propos indignés, on en aurait pour la journée.

Passons en revue les « arguments » de ces braves gens.

« Ça minimise les violences faites aux femmes. » Non. Bompard l’a dit clairement, je répète pour ceux qui n’ont pas compris certains mots le premier coup : « une gifle n’est jamais acceptable, mais elle n’est pas égale à un homme qui bat sa femme tous les jours ». « Minimiser », ça signifie « faire apparaître une chose comme moins importante qu’elle n’est ». Il dit que c’est inacceptable : personne n’en disconviendra, je pense, qu’une gifle à sa femme est « inacceptable ». Après, il dit que ce n’est pas la même chose qu’un homme qui bat sa femme tous les jours. De deux choses l’une : soit c’est la même chose qu’un homme qui bat sa femme tous les jours ; soit ce n’est pas la même chose. Il n’y a pas de moyen terme. Si une gifle une fois n’est effectivement pas la même chose que des coups tous les jours (ce qu’effectivement je pense), alors Bompard ne minimise rien, puisqu’il ne fait que dire une vérité et une évidence. Si on veut qu’il minimise les violences faites aux femmes, alors il faut logiquement que son propos soit faux et que les deux termes comparés soient effectivement moralement identiques. Qui pourrait prétendre de bonne foi que les deux termes seraient moralement identiques ? Si donner une gifle une fois à sa femme est la même chose que de la battre tous les jours, alors il faut logiquement punir les deux délits de la même manière, par les mêmes peines. Qui pourrait vouloir ça ? Quel sens aurait la justice si elle châtiait de la même peine deux comportements objectivement si différents ?

Si on compare avec d’autres choses, on s’aperçoit de l’absurdité du raisonnement. « Couper la patte à lézard, c’est mal et inacceptable mais ce n’est pas la même chose que de violer un enfant avant de le découper en rondelles. » « Prendre l’avion douze fois par an, c’est grave mais pas autant que de déclencher volontairement un accident nucléaire. » Est-ce qu’on minimise le premier terme ? Non, on hiérarchise. Hiérarchiser et minimiser, ce n’est pas la même chose.

C’est là qu’on est rattrapé par le second « argument », celui de Gilbert Collard, bien d’accord pour une fois avec Sandrine Rousseau : « la hiérarchisation est insupportable ». Bien sûr que non ! Elle est au contraire absolument nécessaire. D’abord parce qu’elle est objectivement juste et vraie. Supposez qu’un de vous puisse être obligé de choisir entre prendre une gifle, se faire battre tous les jours pendant un an ou se faire violer, pas un seul ne choisirait honnêtement autre chose que la gifle. C’est bien la preuve que ça vaut mieux. Mais la hiérarchisation est également nécessaire (et c’est la conséquence du premier point) parce que ne pas hiérarchiser, c’est insulter tous ceux qui ont subi les torts les plus graves. Faire semblant de mettre sur le même plan une gifle une fois et des coups tous les jours, c’est une terrible insulte, c’est d’une violence sans nom, pour toutes celles qui prennent des coups tous les jours.

Ce qui est proprement insupportable, ce n’est donc pas la hiérarchisation, mais bien son absence, son contraire, l’indifférenciation, le refus des nuances, des gradations, le mélange de tout et n’importe quoi, qui est précisément un des fléaux de notre époque, bien illustré par cette affaire. Notre temps a complètement oublié une chose pourtant fondamentale : la première des vérités, c’est la hiérarchie des vérités.

Venons-en au dernier « argument » : « ça commence par une gifle ». Peut-être, et alors ? On tombe là dans une autre dérive de notre époque : le fait de toujours chercher, non à prévenir, ce qui serait légitime, mais à punir les crimes à venir avant qu’ils n’aient été commis, ce qui ne l’est pas. De nombreux artistes nous ont mis en garde contre cette tendance ­– revoyez Minority Report. Un des principes les plus fondamentaux de toute justice réellement juste, c’est qu’on condamne quelqu’un pour ce qu’il a fait, pas pour ce qu’il va faire. Pourquoi ? Parce que sauf à s’imaginer qu’on peut prédire scientifiquement et sans erreur le comportement à venir d’un individu, il faut bien reconnaître que celui-ci reste toujours libre de faire quelque chose ou pas.

Beaucoup de tueurs en série commencent par tuer des animaux ; ça ne veut pas dire qu’un homme qui prend plaisir à tuer des animaux finira forcément tueur en série. Ça n’enlève rien à la gravité du fait de prendre plaisir à tuer des animaux : simplement, ce n’est pas la même chose, et on ne peut pas moralement traiter de la même manière quelqu’un qui maltraite des animaux et un tueur en série. Notre société veut punir comme pour un vol de bœuf tous les voleurs d’œufs. Or, un homme qui n’a jamais levé la main sur sa femme peut l’assassiner. Un homme qui a donné une gifle un jour à la sienne peut ne jamais recommencer. Nous n’aurons plus de justice lorsque nous punirons les gens pour ce qu’ils pourraient faire à l’avenir ou pour ce qu’on imagine qu’ils feront. Je sais, on est en bonne voie.


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