mercredi 21 septembre 2022

Le triple danger des affaires Bayou et Quatennens

Pour comprendre la politique, ça sert parfois d’être littéraire, histoire de déjouer les petits pièges qu’on peut tendre dans les mots. Analysons ainsi le tweet de l’organisation féministe « Nous toutes » du 19 septembre dernier :

« Bonjour @EELV [Europe-Écologie-les-Verts], la cellule VSS [Violences Sexuelles et Sexistes] a été saisie en juillet après des accusations de violences commises par @julienbayou sur son ex-compagne. Comment s’assurer que les militantes soient en sécurité ? Aucune mesure ne semble avoir été prise, pourquoi ? »

Nous voilà face à un cas d’école de manipulation malhonnête, mais menée avec maestria. Julien Bayou, secrétaire national d’EELV, député de Paris, co-président du groupe écologiste à l’Assemblée, fait effectivement l’objet d’un signalement pour « violences conjugales », sans qu’on en sache plus. L’histoire est malheureusement classique, le couple se sépare de manière douloureuse, et c’est dans ce contexte que les deux parties s’accusent – elle l’accusant de violence, lui l’accusant de menaces.

C’est précisément ce contexte qui devrait rendre le tweet de Nous toutes éminemment suspect. Une phrase interroge : « Comment s’assurer que les militantes soient en sécurité ? » Car enfin, quand bien même Julien Bayou aurait frappé sa femme, ce qui reste à prouver, il ne l’aurait pas frappé parce qu’elle était une femme, mais parce qu’elle était sa femme, qu’ils se séparaient et qu’ils en souffraient tous les deux – il en aurait peut-être fait autant à l’égard de son conjoint, eût-il été un homme. Par conséquent, les militantes écologistes ne risquent absolument rien à fréquenter Julien Bayou.

On me rétorquera peut-être qu’homme ou femme, ce comportement est inacceptable, et que la violence physique en réponse à une séparation est indigne. Certes ! Mais si Julien Bayou se révèle être un homme colérique, violent et emporté, les militantes ne sont guère plus en danger qu’un secrétaire masculin qui aurait oublié le sucre roux dans le café.

Et c’est là que réside la très dangereuse manipulation de Nous toutes : prendre un cas de violence potentiel à l’égard d’une femme et chercher à faire croire que celui qui l’aurait commis serait par conséquent un danger pour toutes les femmes et uniquement pour les femmes, donc un dangereux monstre ; ceci afin, dans le contexte de terreur morale actuelle, de le briser. Je viens de démontrer que c’est une stupidité d’un point de vue logique, mais ça marche, il s’est déjà mis en retrait de sa fonction de co-président de groupe, et les appels à ce qu’il ne prenne plus la parole en public se multiplient – il y de nouvelles Lettres persanes à écrire, je vous dis que ça.

Le second danger de ces deux affaires – puisque Adrien Quatennens subit une shitstorm tout à fait comparable, et pour des faits similaires –, au-delà de cette petite malhonnêteté intellectuelle, c’est que cela donne l’illusion que nous pourrions et devrions être gouvernés exclusivement par des saints. Évidemment, il faut que les dirigeants soient aussi sages que possible, c’est-à-dire qu’ils aient la capacité à voir le bien à court et à long terme, et à le choisir ; ce qui suppose, entre autres, qu’ils soient vertueux.

Pour autant, il ne faut pas oublier qu’en ce monde déchu, personne n’est jamais entièrement sage ni entièrement vertueux. Le problème de cette société de petits procureurs, c’est qu’à se ruer ainsi sur celles des autres, chacun tend à oublier ses propres fautes. Je vis dans l’opulence dans un monde de misère en partageant bien peu de ma fortune. Habitant à Mayotte, je prends douze avions par an, et encore, les bonnes années, et je mange de la viande issue d’animaux qui ont dû cruellement souffrir dans leur vie comme dans leur mort. Vivre ainsi depuis plus de dix ans fait de moi un écologiste radical très croyant, mais bien peu pratiquant, et sur le fond je ne me considère pas comme moins coupable que quelqu’un qui donne une fois une gifle à son conjoint lors d’un douloureux divorce, sans pour autant me sentir contraint à la réclusion et au silence. Et je crois que tous ceux (et pour une fois je vais l’ajouter : et toutes celles) qui tombent sur MM. Quatennens et Bayou oublient qu’ils devraient probablement eux aussi ressentir ces « mille petits dégoûts de soi dont le total ne fait pas un remords, mais une gêne obscure ».

Nous n’aurons pas que des saints pour nous diriger, et il est très dangereux de le croire. Il y a même longtemps que je me méfie en politique des gens trop vertueux, qui le sont parfois au détriment d’autres composantes de la sagesse : Danton, tout corrompu qu’il était, s’est révélé plus sage politique que l’incorruptible Robespierre. La vertu ne reste bonne que si elle est tempérée par la miséricorde, sinon elle devient vite une tyrannie. Il faut se souvenir sans cesse que si vertueux qu’on soit, on n’est jamais parfait, car il n’y a qu’ainsi qu’on peut trouver en soi de pardonner aussi aux autres. Cherchons à avoir de bons hommes politiques ; mais sachons aussi laisser aux autres les secondes chances que nous aimerions tous avoir, et ne construisons pas une société inexorable sans oubli ni pardon.

Le troisième danger enfin, tout le monde le connaît, mais on ne l’évoque qu’avec crainte : c’est cette société de petits personnages mi-procureurs, mi-Zorros, où chaque cellule, chaque comité, chaque association et chaque parti, quand ce n’est pas tout simplement monsieur (ou madame) Tout-le-monde, pense pouvoir se substituer aux procédures judiciaires et aux magistrats, et lancer des imprécations comme la Justice descendue de son socle. Dans cette société, tous les principes du droit sont bafoués, de la présomption d’innocence au droit à un procès impartial et contradictoire, ce qui rend impossible l’existence même d’une justice, car une justice de la rue et de l’opinion est tout sauf juste – ce dont, dans un avenir proche, nous aurons tous à pâtir. Je n’en dis pas plus, j’en ai souvent parlé, et puis de ce danger, tout le monde s’en fout. Quoi ? Des autres aussi, oui, je sais.

Julien Bayou à la Fête de L'Huma, 10 septembre 2022 - Thomas SAMSON / AFP

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