Je viens de faire quelque chose d’assez héroïque : pour
la debunker, j’ai regardé la vidéo qui suit, deux fois. Je vous recommande
l’exercice. Il n’est pas agréable, 20 minutes de haine et de bêtise poussées
vraiment très haut ; mais il est salutaire, car il aide à comprendre
l’état d’une partie de la société française.
Que nous dit la demoiselle ? Passons rapidement sur
l’utilisation du terme « génocide » pour parler de ce que la France a
fait en Martinique, ou sur le rapprochement établi entre de Gaulle et
Hitler : de nos jours, les génocides sont à la mode, et tout peuple qui a
un peu souffert dans l’Histoire veut absolument le sien ; quand il n’y en
a pas d’évident, on se dépêche d’en inventer un, histoire de soutenir des
revendications politiques. La Vendée pendant la révolution, la Martinique
pendant la colonisation, les chambres à gaz en 1942 ? C’est kif-kif
bourricot, ma bonne dame ! Les incitations à émigrer en métropole pour les
martiniquais et le déplacement forcé des populations polonaises par Hitler pour
les remplacer par des Allemands ? Du pareil au même ! Que Hitler ait
eu dans ses cartons les plans précis de l’extermination des Polonais, ça n’a
pas grande importance, pas vrai ? On va quand même pas s’emmerder avec les
distinctions établies par ces chieurs d’historiens (et tant pis si ça défrise
les vraies victimes des vrais génocides).
Passons aussi sur les mensonges historiques (ou
erreurs : elle n’est pas forcément méchante après tout, elle est peut-être
juste ignorante) glissés çà et là
pour étayer une argumentation bancale : ainsi du référendum sur
l’indépendance en Nouvelle-Calédonie, accusé d’avoir été décalé de 30 ans pour
permettre une invasion de blancs qui changerait la donne (alors que le corps
électoral avait précisément été restreint pour empêcher cela) : là encore,
la vérité historique, pffff ! La vérité, ça dépend de la manière dont on
la présente, relis Lénine et m’emmerde pas.
Passons donc sur ces trivialités (qui ont quand même le mérite
de poser le personnage), et venons-en au cœur du sujet. Ma première réaction,
en regardant la vidéo, c’est de me dire qu’elle sue par tous les pores un
racisme, un communautarisme, une haine et une xénophobie littéralement insupportables. La première chose que je
me dis, c’est : « eh ben au moins ça règle une bonne fois pour toutes
la question du racisme anti-blancs ; on pouvait avoir des doutes sur son
existence, maintenant on ne peut plus ».
Pourtant, j’essaye. Qui sait, peut-être que je me
trompe ? Analysons posément le discours. Donnons-lui sa chance, à cette
jeune fille. Et citons-la. J’ai la flemme de ranger, alors je vais vous les
jeter, les citations, en touffe, sans les mettre en bouquets.
Première phrase : « Si en Martinique tu t’es déjà
retrouvé à être le seul noir dans un espace… » J’insiste : ça, c’est
la première phrase. Déjà la meuf compte les noirs et les blancs autour d’elle.
Chut, chut, ne dites rien ! C’est un indice, laissez chercher ceux qui
n’ont pas encore compris.
« Le génocide par substitution c’est quand on anéantit
un peuple non pas en le tuant mais en remplaçant sa population » par
« la migration d’un autre groupe pour remplacer le premier ». Oui,
« grand remplacement », on y est bien, deuxième indice.
« Chez nous en Martinique… » I beg your pardon?
Chez « nous » ? Qui, « nous » ? Elle le répète
plus loin, on voit que ça l’obsède : « Ça me fait froid dans le dos.
Imaginez deux secondes […] que dans trente ans en Martinique les martiniquais
vont être minoritaires chez eux, c’est juste impensable. » Ou plus
loin : « Pendant ce temps les Français continuent à immigrer en masse
chez nous. » Question importante, je la garde pour plus tard, et pour vous
ça va faire un troisième indice.
« C’est quand il y a énormément de locaux qui quittent
l’île et qu’en même temps il y a une forte immigration de blancs français […]
qui viennent s’installer ici. » Donc on est bien d’accord, c’est
l’immigration le problème, et plus précisément la couleur de peau et le
territoire d’origine de ceux qui immigrent. Chut, chut, il y en a encore qui
n’ont pas pigé, laissez-les trouver par eux-mêmes.
« On assiste à une invasion de fonctionnaires blancs en
Martinique » : cinquième indice. On parle « d’invasion »,
et d’une invasion de gens qui n’ont pas la même couleur de peau, qui pis est
(oh mon Dieu mais quelle HORREUR !).
« Les fonctionnaires blancs en Martinique […] ont plus
d’opportunités que les martiniquais qui eux sont au chômage. Vous en connaissez
beaucoup des blancs qui arrivent en Martinique et qui sont au
chômage ? » Donc le problème n’est pas le chômage, c’est la
communauté à laquelle appartiennent ceux qui y sont, sixième indice.
« Aucun Français, Américain ou européen ne devrait
connaître mieux que moi-même les randonnées, les plages, les plantes, les
fleurs, les sites de plongée, les rivières de mon propre pays ! La
Martinique c’est chez nous, et moi en tant que jeune martiniquaise ça me fait
mal de voir que le destin de mon peuple, de mon pays, il est entre les mains de
personnes étrangères à nous-mêmes. » On a du condensé, là, et ce sera le
septième indice.
C’est bon, vous y êtes tous ? Obsession permanente pour
la couleur de peau, peur d’un grand remplacement ethnique et culturel, rejet
viscéral de l’immigration, survalorisation de l’identité d’une communauté dont
la préservation est posée comme valeur suprême, plus généralement mise en avant
des intérêts de cette communauté par rapport à ceux de toutes les autres,
vision du monde centrée sur la division radicale entre le « nous » de
la petite communauté et tous les autres, volonté d’appropriation définitive et
complète d’un territoire par cette communauté, et bien sûr d’en chasser autant
que possible toutes les autres : il ne manque pas un seul ingrédient du discours le plus caricatural de
l’extrême-droite.
Si on accepte que l’extrême-droite se définit
essentiellement par le fait de poser comme première valeur, à laquelle toutes
les autres sont subordonnées, la préservation de l’identité d’une communauté,
alors cette demoiselle est clairement d’extrême-droite. Mais continuons à être
rigoureux, ne lui faisons pas de procès d’intention. Est-elle raciste ?
Est-elle à elle toute seule la preuve de l’existence du racisme anti-blancs ?
Son obsession pour la couleur de peau tend à faire dire que oui : ce ne
sont pas les Français ou les métropolitains en général qui lui posent problème,
ce sont bien les blancs, elle le répète suffisamment pour qu’il n’y ait aucun
doute là-dessus.
Mais pour être précis jusqu’au bout, il faut savoir ce
qu’est le racisme. J’écarte d’ores et déjà les définitions ad hoc, et donc forcément mauvaises, du type de celles qui
prétendent que le racisme ne peut être le fait que des dominants et pas des dominés (ben oui, dans une perspective
politique révolutionnaire, ce serait quand même dommage de ne pas voir les
choses en noir et blanc – c’est le cas de le dire – et de ne pas clairement
séparer les gentils tout gentils des méchants très méchants). Si on accepte la
définition académique du racisme comme « l’ensemble de doctrines selon
lesquelles les […] races […] seraient dotées de facultés intellectuelles et
morales inégales », et par extension comme « préjugé hostile,
méprisant à l’égard des personnes appartenant à d’autres races », alors
Miss Défense de la Martinique n’est pas raciste. Elle ne sous-entend jamais que
les martiniquais seraient une ethnie supérieure à toutes les autres, ou que les
blancs seraient intrinsèquement ou biologiquement inférieurs aux noirs. Non,
elle dit seulement que les blancs, ou les Français, elle n’en veut pas
« chez elle » – comprenez en Martinique. Ça, stricto sensu, ce n’est pas du racisme, mais c’est de la
xénophobie. Cette vidéo est bien la preuve d’une xénophobie anti-blancs
particulièrement haineuse – ce qui n’empêche pas l’existence par ailleurs d’un racisme anti-blancs,
racisme édenté si l’on veut, mais racisme tout de même.
Revenons maintenant, pour conclure, sur cette question du
« chez nous », justement.
Une nation, j’essaye chaque année de l’apprendre à mes
élèves, c’est un ensemble de personnes liées entre elles par une culture
commune et par la volonté de vivre ensemble. Le premier élément, évidemment,
inclut des nuances. La culture martiniquaise n’est pas exactement la même que
la culture gasconne, ou parisienne, ou mahoraise. Des gens parlent le créole en
Martinique, le shimaoré à Mayotte, le breton en Bretagne, l’occitan dans les
Pyrénées. On n’y mange pas pareil. On n’y croit pas pareil : le
catholicisme est bien plus présent en Martinique ou en Bretagne qu’à Paris ou à
Mayotte, en proportion de la population. Bref, à l’intérieur de la nation
française, il y a des différences culturelles. Ces différences culturelles sont
sans doute plus marquées entre les outre-mer et la métropole qu’à l’intérieur
de cette dernière. Mais c’est une différence de degré, pas de nature ; et
ça n’enlève rien à la culture commune. Cette demoiselle qui marque un tel
mépris pour la France s’exprime tout de même en français, et je gage qu’elle
connaît nettement mieux Molière et Hugo que Dickens ou Chesterton.
Reste le second élément : la volonté de vivre ensemble.
Et là, soyons clairs : si à un moment je réalise qu’une forte majorité de
la population de Mayotte ou de la Martinique est pour l’indépendance, je serai
pour qu’on la leur accorde sans barguigner. Ce serait une catastrophe
économique, politique et sociale pour ces territoires, évidemment, et ils
sombreraient dans une misère noire (d’ailleurs, il est intéressant de relever
que notre amie semble envier l’indépendance de l’Algérie ou de Madagascar, sans
voir apparemment que l’existence de la majorité de leurs habitants est loin
d’être aussi enviable que la sienne, mais passons). Mais on ne peut pas sauver
les gens contre leur gré : si ces populations voulaient réellement
l’indépendance, la France ne pourrait de toute manière pas la leur refuser, la
décolonisation du XXe siècle en est une preuve.
D’ailleurs, les autochtones des outre-mer feraient bien de
se méfier, car en métropole, beaucoup considèrent que ces territoires nous
coûtent bien cher et seraient tout prêts à la leur donner, l’indépendance. Ça
me fait un peu penser à cette excellente caricature de Pétillon :
Bref, l’indépendance, moi je ne suis pas contre, j’ai
surtout l’impression que ce sont les populations de ces territoires qui sont
majoritairement contre (pas fous). En revanche, une chose doit être absolument
claire. Soit on est indépendant, soit on ne l’est pas. Si on l’est, alors on
est en effet « chez soi », et on fait ce qu’on veut chez soi. Mais si
on ne l’est pas, alors les martiniquais ne sont pas plus « chez eux »
en Martinique que les parisiens ou les haut-savoyards. Et c’est là que le
discours de notre xénophobe préférée devient littéralement insupportable. Imagine-t-on les réactions si un parisien ou un
haut-savoyard tenait le discours symétrique ? « Le problème chez nous
à Marseille, c’est l’invasion des noirs mahorais, ils vont bientôt être plus
nombreux que nous, alors qu’on est chez nous, argl, quand je pense que dans
trente ans les noirs mahorais pourraient être plus nombreux à Marseille que les
bucco-rhodaniens, j’en ai froid dans le dos ! » Ce discours serait
stigmatisé et flétri (y compris par l’auteur de la vidéo, j’en mettrais ma main
au feu) pour ce qu’il est : un discours violemment xénophobe, voire
raciste.
Alors rappelons ces évidences : tant que la Martinique
est française, et tant que la population martiniquaise n’a pas changé d’avis
sur ce point, alors un Français blanc n’a pas à s’intéresser au créole pour
s’installer en Martinique, de même qu’un martiniquais ou un parisien n’ont pas
à apprendre le basque avant de s’installer dans les Pyrénées-Atlantiques. Et
les métropolitains installés en Martinique peuvent très bien se faire des
groupes Facebook où ils se filent des tuyaux sans jamais aborder le prétendu
cadre colonial, pour la simple et bonne raison que Mistinguett n’a aucune
légitimité à venir leur imposer de quoi ils vont parler dans leurs groupes
Facebook.
Une nuance pour finir ? Je reconnais un point vrai
soulevé par la vidéo : la France n’a pas tenu ses promesses dans les
outre-mer. Tout ce qu’elle dit sur ce point précis est parfaitement juste :
la France n’a pas mis assez de moyens pour permettre à ces territoires de
rattraper leur retard économique et social par rapport à la métropole. En ce
sens, elle paye aujourd’hui le prix de cette lourde erreur, et la colère de
cette jeune fille n’en est qu’une conséquence. Mais expliquer ou comprendre n’est
pas justifier. Pour compréhensible qu’elle soit, cette haine n’en est pas moins
mal dirigée : chez elle, la conscience de race a remplacé et anéanti la
conscience de classe, ce qui est à la fois extrêmement triste et extrêmement dangereux,
et qui ne peut que réjouir les capitalistes qui rigolent devant l’atomisation
des luttes. De ce fait, les solutions qu’elle propose seraient bien pires que
le mal qu’elle prétend guérir.
Malheureusement, ce phénomène que l'on peut qualifier de "racisme" anti blanc ou anti-Français gagne du terrain partout en Afrique continental comme dans les îles... Mais la question que je me pose est comment a t-on arriver là? un savant sénégalais disait à ce propos : "La France ne nous a pas donné l'indépendance mais elle nous a laissé tombé !" Pour dire et rejoindre ta conclusion que la France aurait mal accompagné le processus des indépendances... Mais est-ce suffisant pour expliquer/justifier la situation actuelle? j'en sais rien.
RépondreSupprimerGood reading yyour post
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