Vous avez remarqué ? Macron et moi, on a dit presque la
même chose. « Nous sommes en guerre », il a dit. Moi aussi je l’avais
dit, ici ou là. Il a même mis en œuvre une partie des moyens que je préconisais
pour faire cette guerre : creusement du déficit pour assurer les moyens
nécessaires à la lutte, intervention de l’État dans l’économie, restrictions
sur certaines libertés, etc.
Sauf qu’en fait, on ne parlait pas de la même chose,
monsieur le Président et moi. Lui parlait du Covid-19 ; moi, de la crise
écologique.
Entendons-nous bien : je ne nie pas la gravité de la
situation sanitaire. Le confinement est une mesure de bon sens, qui aurait dû être
prise beaucoup plus tôt, et d’une certaine manière oui, là aussi, nous sommes
en guerre. Mais on ne peut pas s’empêcher de faire le rapprochement, et d’en ressentir
un certain malaise. Pourquoi nos dirigeants voient-ils,
tout d’un coup, que nous sommes en guerre ? Pourquoi se donnent-ils les moyens
de combattre, en créant « l’argent magique » dont Macron prétendait
qu’il n’existait pas, en décidant quels secteurs peuvent continuer à travailler
et comment, et lesquels doivent s’arrêter ou s’adapter ?
La réponse est simple : parce que la crise en est à son
stade le plus aigu (peu ou prou). Les morts sont déjà là par milliers, et si la
vague n’est pas encore sur nous, elle
est devant nos yeux. Mais l’autre
vague, alors, celle de la crise écologique ? Elle n’arrive pas avec moins
de certitude, et les morts qu’elle va faire ne sont pas moins certaines (et
infiniment plus nombreuses). Seulement, si on sait qu’elle arrive (j’insiste : on le sait, on ne le croit
pas), on ne la voit pas encore,
celle-là. La conclusion s’impose : si les élites politiques ne réagissent
pas, alors qu’ils réagissent au Covid-19, c’est que ne la voyant pas, tout
comme le peuple, ils n’y croient pas. Ce qui confirme une chose – peut-être un
des principaux enseignements de cette crise, et un de ceux qui passent le plus
inaperçu : nos dirigeants politiques sont, comme le peuple, incapables – littéralement incapables – de comprendre et d’anticiper
quelque chose qu’ils n’ont pas sous les
yeux.
La crise du coronavirus l’a d’ailleurs montré : tous
les gouvernements, à des degrés divers – que ce soit la Chine, l’Italie, la France,
les États-Unis, le Royaume-Uni ou autre – ont commencé par nier la gravité de
la crise. En soi, cette attitude n’est pas un problème si parallèlement on se prépare. C’est une application (un peu
large) du principe responsabilité de Hans Jonas : si nous sommes
collectivement menacés d’un danger extrême, même si tout indique qu’il a peu de
chances de s’abattre sur nous, même si on n’y croit pas, nous devons nous y préparer.
Or, le moins qu’on puisse dire, c’est que ça n’a pas été le
cas. Les masques, au-delà de la polémique sur leur utilité ou non pour la population,
en sont une belle illustration. Le premier ministre l’a avoué avec une candeur
confondante : la France, depuis la dernière crise sanitaire, n’avait pas
jugé utile d’en faire des stocks, les usines chinoises ayant fait la preuve de
leurs capacités de production rapide et massive. Sauf que la Chine ayant été la
première touchée, elle n’a pas livré dans les temps. Leçon annexe de la crise,
à destination des thuriféraires de la mondialisation : il est peu sage de
se reposer trop largement sur un autre pays pour tout ce qui est important. Que
nous déléguions à Singapour et à Taïwan la fabrication de nos écrans plats, de
nos smartphones et de nos consoles de jeux n’est pas très grave ; mais ce
qui concerne la santé, l’alimentation et la défense, a minima, devrait être produit de nouveau à l’échelle nationale, même
si ça doit nous coûter plus cher.
Car c’est la dernière grande morale de cette histoire :
l’argent, c’est fait pour être dépensé quand on en a besoin. Il faut le prendre
là où il est, le faire circuler, et faire suivre l’intendance quand on a besoin
d’elle. Autant de choses que nos politiciens semblent découvrir ! Gérald
Darmanin, ministre du budget, a utilisé une métaphore qui illustrait le « quoi
qu’il en coûte » de Macron, et qui a été fort reprise : « Quand
la maison brûle, on ne compte pas les litres d’eau pour éteindre
l’incendie. »
Certes ! Mais cette image de la maison qui brûle, ça
fait longtemps qu’elle est utilisée, par les écologistes, justement. Quand Jacques
Chirac l’avait reprise, c’était pour parler de la destruction de la planète,
pas d’une maladie. La biodiversité qui s’effondre, le climat qui se réchauffe, la
pollution de l’air, des sols et des eaux, les milieux naturels qui
disparaissent : elles sont là, les flammes qui ravagent la maison !
Et là, pourtant, nos gouvernants comptent les litres d’eau avec une avarice à
la Molière.
Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il y aura « un
avant et un après le coronavirus ». Certains endroits, localement,
pourront souffrir durement (Mayotte en fait malheureusement sans doute partie) ;
mais je ne crois pas que cette crise soit de nature ni à renverser notre civilisation,
ni à nous faire faire la révolution. En revanche, elle sera indéniablement un
catalyseur. Déjà, elle révèle et accroît la fragilité de nos économies, et
accélère ainsi la venue des crises économiques à venir, inévitables. Déjà
certains gouvernements, comme le nôtre, utilisent la crise pour accélérer la
destruction des acquis sociaux, en nous promettant le caractère temporaire de
leurs lois sans le coucher par écrit. Déjà d’autres, comme la Corée du Sud, instaurent
sur la vie privée un contrôle terrifiant de l’État, sans susciter dans les populations
la moindre protestation. Le Covid-19 nous fait accélérer aussi bien vers l’effondrement
que vers le totalitarisme, sans qu’on puisse savoir encore dans quelle
direction nous finirons par être poussés.
Ce qui est certain, c’est que le principal aspect de la
Crise à venir, c’est l’aspect écologique, et que c’est celui sur lequel nous
agissons le moins. Dans la crise du coronavirus, nous avons perdu dix à quinze
jours, et nous allons peut-être le regretter amèrement. Face à la crise
écologique, ce sont des années, des lustres, des décennies que nous sommes en
train de perdre.
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