J’ai déjà dit ici et là qu’à mon sens la gauche, la droite
et l’extrême-droite étaient principalement séparés[1]
par la valeur qu’elles mettaient au cœur de leur action politique : la
gauche défend avant tout l’égalité,
la droite défend avant tout la
liberté, l’extrême-droite défend avant
tout l’identité[2]. Les
évolutions politiques récentes, aussi bien en France qu’en Angleterre, me
semblent confirmer cette hypothèse.
En France, c’est peu de dire que l’arrivée de Macron au
pouvoir a clarifié les choses et épuré la droite. Le Président est en effet,
selon ma définition, et si on retire le rideau de fumée des prises de position
purement électoralistes pour s’intéresser à ce qu’on peut connaître ou deviner
de ses convictions personnelles, une incarnation presque chimiquement pure de
la droite. Macron n’est pas seulement pour les libertés économiques – du patron
de virer ses employés comme bon lui semble, de l’entreprise d’accorder des
salaires himalayens et des parachutes en platine massif, etc. –, il est
également pour les libertés sociales : le mariage homo, la PMA, la GPA, il
est au fond très pour. Il est probablement pour le clonage humain, au fond de
lui, même s’il sait qu’il ne peut pas trop le dire.
On m’objectera que Macron fait bien peu de cas de nombreuses
libertés, en particulier des libertés les plus fondamentales et des libertés
politiques, et qu’il fait preuve d’un autoritarisme en apparence bien peu
compatible avec une mise au pinacle de la notion de liberté. Mais c’est ne pas
comprendre qu’en réalité, l’autorité n’est nullement l’apanage d’un pan ou d’un
autre de l’échiquier politique et idéologique. Elle n’est pas plus une valeur réellement portée par un camp ou
l’autre, même si elle peut être affichée comme telle pour des raisons
électoralistes : elle est un mode d’action politique que n’importe qui
peut utiliser. Historiquement, elle a été l’arme et le moyen aussi bien de la
gauche (qu’on pense, si on refuse à Staline le qualificatif de
« gauche », à la Terreur révolutionnaire) que de la droite et de
l’extrême-droite. En ce sens, l’autoritarisme de Macron n’est pas très éloigné
de celui de Saint-Just : « pas de liberté pour les ennemis de la
liberté », même si chez lui il faut comprendre : pas de liberté pour
ceux qui combattent la liberté du patron de ne pas payer d’impôt ou celle du
promoteur de construire un nouvel aéroport.
Inversement, la droite représentée par Wauquiez et Bellamy,
c’est-à-dire celle qui s’est fait laminer aux élections présidentielles puis
européennes, ce n’est, contrairement à ce que ses leaders voudraient faire
croire, pas du tout une « vraie droite », une « droite
forte », une droite qui s’assumerait plus que celle de LREM ; bien au
contraire, c’est une mélange bâtard entre la droite par essence libérale et
l’extrême-droite par essence identitaire ; c’est une droite non épurée des
scories de l’extrême-droite qu’elle a ramassées en deux siècles d’existence.
C’est en cela qu’on peut dire que nous vivons une époque de clarification
politique et idéologique : aux présidentielles comme aux européennes, ceux
qui étaient au fond pour la liberté
ont voté Macron, et ceux qui étaient au
fond pour l’identité ont voté Le Pen. Et ils ne sont plus qu’une poignée à
essayer laborieusement – et sans grand succès – de faire vivre un mélange
forcément difficile à doser, mais toujours sur le mode « je veux pouvoir
virer mes ouvriers mais je ne veux
pas que les pédés adoptent ». La Manif Pour Tous et les Veilleurs, pour
impressionnants qu’ils aient été, n’ont pas représenté, contrairement à ce
qu’espéraient leurs leaders, « l’émergence d’un nouveau peuple
conservateur », mais bien les derniers feux de cette droite abâtardie.
Leurs seules survie et renaissance possible – bien réelles, celles-ci, et
dangereuses – se trouvent à l’extrême-droite, pas chez Sens commun.
Un peu partout en Europe, on observe des évolutions
similaires. En Hongrie, en Pologne, en Italie, ce sont de véritables
extrêmes-droites qui ont pris le pouvoir, c’est-à-dire des gens obsédés par la
question et la défense d’une identité : refus de l’immigration, des
sexualités et des modes de vie non conformes à ce qui était historiquement
accepté, mise en avant des racines chrétiennes, etc.
On me dira que tous ces braves gens sont aussi très libéraux
économiquement. Mais cela vient du fait que, à l’évidence, personne n’est
jamais parfaitement pur d’un point de vue politique et idéologique :
personne n’est uniquement pour
l’identité ou uniquement pour
l’égalité. Ce qui permet d’étiqueter les individus et les partis, c’est la
valeur qu’ils font passer en premier,
mais à l’évidence ces valeurs ne sont pas incompatibles en tout, et ce qui
différencie les gens et les mouvements, c’est la hiérarchie qu’ils construisent entre elles. Jean-Marie Le Pen et sa
fille sont tous les deux d’extrême-droite, alors même que le père était
économiquement libéral à l’extrême, quand Marine est largement étatiste ;
tous les deux placent l’identité au cœur de leur réacteur idéologique, mais
pour la fille, qui vit le temps de l’intensification de la Crise, l’égalité a
remplacé la liberté comme deuxième valeur. C’est d’ailleurs précisément ce qui
la sépare de tout un pan de l’extrême-droite européenne.
Boris Johnson est la dernière illustration de mon propos.
Très libéral économiquement, il l’est aussi, et c’est ce qu’on sait moins, sur
bien d’autres sujets : favorable au mariage homo, mais aussi à
l’immigration et au cosmopolitisme, il est ce qu’on appelle aux États-Unis un
libertarien, c’est-à-dire, selon ma définition, l’incarnation de l’homme de droite.
Dommage qu’il ne veuille pas rester dans l’Union européenne, il s’entendrait
bien avec Macron.
Tout cela doit enfin nous faire réfléchir sur la notion de
« conservatisme ». Pendant longtemps, ce terme a été revendiqué par
la droite (Boris Johnson est d’ailleurs au Royaume-Uni le chef du parti
« conservateur »), et s’opposait au « progressisme »,
revendiqué par la gauche. Les impasses de la notion de « progrès »
l’ont progressivement vidée de son sens et de sa substance ;
parallèlement, il y a longtemps que le changement et l’évolution par la casse
(casse des services publics, casse du droit du travail, casse de la protection
sociale et de l’État-providence, etc.) sont plutôt l’apanage de la droite,
alors que ceux qui se revendiquent de la gauche cherchent plutôt à conserver des acquis existants. Ceux
qui, d’après ma définition, sont presque purement de droite, comme Macron ou
Johnson, ne sont certainement pas des conservateurs au sens traditionnel du
terme, puisqu’ils cassent toutes les protections existantes en faveur d’un
libéralisme économique le plus débridé possible, et que parallèlement ils
veulent accorder de nouvelles libertés et de nouveaux droits comme la PMA. Le
conservatisme, en ce sens traditionnel, était en fait cette droite pleine de
scories de l’extrême-droite identitaire, cette droite qui est en train de
disparaître (le retournement de veste de Guillaume Peltier en étant
l’illustration la plus lumineuse).
En revanche, si le « conservatisme » n’a
plus de sens en tant qu’il s’opposerait à une gauche
« progressiste », il garde toute sa pertinence dans la nouvelle
division et le nouveau combat qui se font jour, c’est-à-dire celui entre ceux
qui veulent conserver les bases du Système actuel (qu’on peut à bon droit
appeler « conservateurs ») et ceux qui veulent en sortir (et qu’on
peut appeler « radicaux »). En ce sens, et au-delà d’un paradoxe qui
n’est qu’apparent, les partisans du clonage humain, des OGM et de
l’intelligence artificielle sont bien des conservateurs en ce qu’ils ne font
que pousser à bout la logique du Système actuel, technicien avant tout, mais
aussi capitaliste. C’est contre ces conservateurs, de droite comme de gauche,
que nous, radicaux, et plus particulièrement écologistes radicaux, devons être
prêts à mener la bataille.
[2]
Là encore, j’insiste sur le « avant tout » : la gauche n’est
nullement ennemie de la liberté, mais quand les deux valeurs entrent en
compétition, elle choisit l’égalité. Par exemple, restreindre la liberté du
patron de licencier ses ouvriers ou de s’attribuer le salaire qu’il veut, au
nom de l’égalité, sont des mesures de gauche. La droite, qui n’est pas par
principe hostile à l’égalité, fait cependant des choix inverses, justement
parce que la liberté lui semble plus
importante.
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