Prenons deux petites polémiques de ces derniers temps. La
première : le clash entre, d’une part, la militante écologiste Claire
Nouvian, et d’autre part, Pascal Praud, le journaliste qui la recevait sur son
plateau, et son équipe (autres invités ? éditorialistes ? je n’en
sais rien), en particulier Élisabeth Lévy. Si vous voulez le voir ou le revoir
(ce dont on peut se dispenser), la vidéo est ici. Pour résumer, Claire Nouvian
s’énerve des propos climatosceptiques tenus par Praud et Lévy ; et comme
elle s’énerve un peu violemment et maladroitement, elle se fait rentrer dedans
par des pros du rentre-dedans (la seule chose dans laquelle ils sont pros, à l’évidence).
Sur le fond de cette polémique, rien à dire : Nouvian a
raison, les autres ont tort, point barre. Aussi bien sur l’existence du
réchauffement climatique que sur son origine anthropique, contrairement à ce
que prétend Lévy, il y a bel et bien
consensus scientifique. L’immense majorité des climatologues, c’est-à-dire des
spécialistes du sujet, sont d’accord : c’est bien l’homme qui est la cause
principale du réchauffement actuel. Vous trouverez évidemment toujours des
chercheurs comme Claude Allègre qui ne le sont pas, mais comme ils ne sont pas
non plus des spécialistes du sujet (ainsi, Allègre est géologue, pas
climatologue), ils sont direct hors-jeu : le seul fait d’être « scientifique »
ne fait pas de vous un spécialiste en toutes
les sciences. Sur le climat, Allègre n’a pas plus de légitimité que s’il
parlait de la théorie des cordes.
Seconde polémique : Andréa Kotarac, élu France Insoumise
qui appelle, au micro de Ruth Elkrief, à voter Rassemblement National pour les
européennes. Pas franchement un tremblement de terre ; mais dans l’émission
de Yann Barthès Quotidien, le
journaliste Julien Bellver semble reprocher à sa collègue Ruth Elkrief d’avoir « déroulé
le tapis rouge » au conseiller régional transfuge et « propulsé un
inconnu sur la scène politique en seulement 48 heures ».
Le point commun entre ces deux affaires, c’est donc la
question des personnes que les journalistes invitent pour intervenir dans leurs
émissions. Ce qui pose le problème de la manière dont les journalistes font
leur travail, et de leur responsabilité dans la crise actuelle.
Je suis pour la liberté de parole : Praud et tous les
journalistes sont libres d’inviter qui ils veulent à leurs émissions, et les
invités ont le droit de dire toutes les conneries qu’ils veulent. Ils ont même le
droit de mentir ensuite en affirmant que ce sont des « pros » qui
sont invités (car non, Élisabeth Lévy n’est pas une « pro » des
questions climatiques).
Mais les autres journalistes ont alors un devoir :
celui de corriger l’erreur. Chacun a le droit de dire les dernières stupidités :
mais dès lors que l’ineptie risque d’être crue par une part importante de la population,
et surtout si elle porte sur un enjeu planétaire tel que l’écologie, alors la
responsabilité des autres journalistes est de corriger leur collègue. D’ailleurs,
sur d’autres sujets, ça n’aurait pas manqué. Imaginons que le débat ait porté
sur la question de savoir si l’islam est ou non intrinsèquement porteur de
violence. Si Praud avait fait mine de mettre sur le même pied le « oui »
et le « non », s’il avait donné également la parole aux deux opinions
sans chercher à prendre parti, il n’aurait pas manqué de journalistes pour
rectifier l’erreur. Pareil pour d’autres questions scientifiques comme la
théorie de l’évolution ou l’efficacité des vaccins. Or, là, c’est ce qui a largement
manqué ; beaucoup de journalistes ont critiqué Praud sur la forme, mais très peu ont rappelé cette
évidence essentielle : sur le fond,
Nouvian avait objectivement raison, Lévy avait objectivement tort.
Quant à la seconde affaire, elle révèle la grande difficulté
qu’ont les journalistes à sortir des cadres auxquels ils sont accoutumés. Même dans
une émission haut-de-gamme comme Quotidien
(que j’adore et que je suis presque tous les jours), un journaliste peut,
avec l’accord apparent de tous les autres présents sur le plateau, se montrer
choqué qu’une de leur collègue donne la parole à « un inconnu ».
Or, c’est tout le contraire qui devrait les choquer !
Le monde crève – et je pèse mes mots :
crève ! – justement de ce que
nous voyons toujours et toujours les mêmes têtes dans les médias, avec toujours
les mêmes vieilles idées qui ont fait la preuve de leur inefficacité. Ce que le
peuple a besoin de voir, c’est justement ça : des citoyens de base qui font des choses, qui innovent, qui
inventent, qui cherchent, qui tâtonnent, qui expérimentent. Pas Philippot en
train de décrocher un drapeau, ou Dupont-Aignan essayant de libérer une
autoroute. Et pourtant, que ces images-là tournent en boucle ne choque ni ne
surprend personne.
On me rétorquera qu’Andréa Kotarac n’est pas un de ces
inconnus qui change les choses à son échelle. Certes, mais ce n’est pas la
question. C’est un problème de fond et de principe : offrir une (bien
petite) visibilité médiatique à un inconnu choque et surprend les journalistes,
alors que ça devrait être une part importante de leur job.
Alors évidemment, aller chercher des inconnus, ce serait un
tout autre travail pour les
journalistes. Faire tourner en boucle Wauquiez qui nous explique que le mariage
pour tous, c’est la fin de la civilisation, en y allant de son petit
commentaire, qui moqueur, qui élogieux, selon la chaîne sur laquelle on se
trouve, ça ne nécessite aucun travail.
Alors que chercher, trouver des gens inconnus mais qui font
des choses intéressantes, puis faire des recherches sur ce qu’ils font, trouver
les bonnes questions à leur poser, forcément, c’est du boulot. Ironiser ou
pleurnicher sur la défaite de Bellamy, dont les idées sont étalées, recuites et
ressassées à longueur de médias, c’est simple. S’interroger sur l’incroyable
succès de listes comme celle de Dominique Bourg ou du Parti animaliste (qui ont
certes fait moins de 3%, mais qui réalisent ainsi un score proprement inespéré,
et qui se placent au-dessus d’Asselineau, largement présent dans les médias,
lui), ça nécessiterait de se pencher sur leurs idées, sur leurs propositions,
sur ce qui les distingue des écologistes modérés, nettement plus visibles qu’eux.
Je ne suis pas en train de dire qu’il faut priver Élisabeth Lévy
ou Éric Zemmour de parole, ni qu’il ne faut jamais
parler des idées de Macron, de Wauquiez, de Le Pen ou de Mélenchon. Mais nous
vivons une ère où l’exposition médiatique est omniprésente et permanente. Sur l’immense
masse de discours dont la presse, la télé et la radio nous inondent, les
journalistes ont le devoir, étant donné la Crise que nous traversons, de moins donner la parole aux personnes et
aux idées déjà connues, et de plus la
donner à ceux qui ne le sont pas.
Amis journalistes, vous êtes sans doute bien contents quand les
profs de vos mômes leur font des rappels sur les leçons vues les années
précédentes. Mais que diriez-vous si nous nous mettions à ne plus leur
enseigner que ce qu’ils savent déjà, sans jamais rien leur apporter de
neuf ? Ferions-nous notre travail ?
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