Les catholiques à qui je parle de mes croyances, disons,
hétérodoxes, se montrent souvent rebutés par mon paganisme – terme que j’assume
parfaitement, puisque je me revendique pagano-chrétien. Pourtant, le moins
qu’on puisse dire, c’est qu’à l’intérieur même de l’Église catholique romaine,
des tendances polythéistes sont à l’œuvre, et pas des légères.
Parce qu’avec moi, au moins, les choses sont parfaitement
claires. Je crois certes à une multitude d’êtres que je n’hésite pas à appeler
des dieux ; mais pour moi, leur nature est clairement angélique : je
les vois comme des créatures de Dieu, comme nous. Bien meilleures que nous,
bien plus anciennes et puissantes que nous, mais des créatures tout de même. Je
leur voue un culte ; mais ce culte est purement de vénération ou
d’honneur, pour reprendre la terminologie du théologien catholique Auguste de Broglie : mon culte d’adoration ne va qu’à Dieu.
À l’inverse, j’ai souvent l’impression que l’Église
catholique n’est pas très claire quant au dogme concernant certaines créatures
ou aux rites qui les entourent – je pense en particulier à Marie. Qu’il y ait à
son sujet des désaccords mineurs, c’est sans grande importance. Je suis bien
persuadé que Marie n’est pas restée vierge après la naissance de Jésus, que Jésus
a donc eu des frères et sœurs, et je la tutoie dans le Je te salue ; mais bon, si des gens pensent le contraire, ça
ne me choque pas.
En revanche, je suis depuis longtemps bien plus heurté par
certaines croyances plus radicales : par exemple quand des prêtres ou
théologiens font de Marie la « corédemptrice du Monde », à égalité ou
presque avec le Christ. Certes, cette idée a été officiellement rejetée par la
Constitution dogmatique Lumen gentium qui
refuse d’employer ce terme, rappelle que le Christ est « l’unique
Médiateur » et enfonce bien le clou :
« Aucune créature
en effet ne peut jamais être mise sur le même pied que le Verbe incarné et
rédempteur.[1] »
Mais cela n’a pas empêché l’idée de se répandre, puisque
certains vont jusqu’à affirmer que le « grand cri » poussé par Jésus juste
avant sa mort aurait été « Maman ! »… Bon.
De même, dans la pratique liturgique, certains abus me
déplaisaient depuis longtemps. Dans certaines églises, les portraits de Marie
et de Jésus trônent à égalité derrière l’autel. J’en connais même où Marie a
son autel à elle, installé à côté du maître-autel, et se fait copieusement
encenser à chaque messe. Certes, l’autel est plus bas que celui consacré à
Dieu ; mais si on regarde la taille de la statue qui y trône (couronne
comprise…), elle le dépasse largement.
Mais bon : jusqu’ici, ce n’étaient que des pratiques
locales qu’à titre personnel je déplorais, mais qui n’étaient pas trop
répandues. Or, cette mariolâtrie débridée touche à présent le sommet de
l’Église : je pense à la dernière réforme liturgique que nous a pondue la
Congrégation pour le culte divin et la discipline des sacrements à propos du
lundi de Pentecôte. Dorénavant, ce jour doit être consacré à la mémoire de « Marie,
Mère de l’Église ».
Autant être direct : je trouve cela bien plus hérétique
que mes prières à une multitude de dieux. Car enfin, soyons sérieux : la
Pentecôte, c’est la fête de l’Esprit Saint. L’Esprit, une des trois Personnes
de la Trinité, censé recevoir « même adoration et même gloire » que
les deux autres, et à juste raison : Dieu sait – c’est le cas de le dire –
qu’Il n’est pas moins important.
Et pourtant, l’Esprit est, des trois Personnes de Dieu, la
moins fêtée, la moins célébrée, la moins priée. Allons plus loin : elle est
bien moins fêtée, déjà, que ne l’est Marie. N’importe quel catholique peut
citer plusieurs fêtes associées à elle : l’Annonciation, la Nativité de la
Vierge, et pour les plus cultivés (ou les plus fervents) sa Présentation au
Temple ou sa Dormition ; sans même parler des fêtes dont, personnellement,
je doute fortement des fondements dogmatiques, mais qui sont pourtant parmi les
plus importantes de l’Église, comme l’Assomption ou l’Immaculée conception.
En tout, l’Église catholique accorde à Marie une vingtaine
de jours de fête au calendrier général, sans compter les fêtes célébrées localement.
À quoi il faut encore ajouter le samedi, jour traditionnellement consacré à la Vierge
(52 fois dans l’année, donc), plus deux mois pleins : mai, mois de Marie,
et octobre, mois du Rosaire. N’en jetez plus, la cour est pleine !
À côté de ça, quelles fêtes célèbrent l’Esprit ? La
Pentecôte, et c’est tout. Est-il normal que Marie soit célébrée en grande pompe
à longueur d’année, alors qu’une des trois Personnes de la Trinité ne l’est
qu’une seule fois ? Déjà pas. Alors est-il normal qu’on mêle Marie à la
seule fête annuelle de l’Esprit ? Encore moins.
Voilà pour le fond. Notons encore que l’origine de cette
réforme est loin d’être innocente. Car le préfet de la Congrégation pour le culte
divin n’est autre que le cardinal Sarah, celui-là même qui a affirmé que le XXe
siècle avait souffert de deux grands maux, les totalitarismes nazi et
soviétique d’une part, l’homosexualité de l’autre. Tout ce qui vient de lui est
bien sûr éminemment suspect ; mais examinons son argumentaire. Selon lui, « si
nous voulons grandir et nous remplir de l’amour de Dieu, il nous faut ancrer
nos vies à ces trois réalités : la croix, l’hostie et la Vierge ». En
matière de mise sur le même plan de Marie et du Christ, on peut difficilement
faire mieux. Autre chose ? Mais bien sûr : « le lien entre la
vitalité de l’Église de la Pentecôte et la sollicitude maternelle de Marie à
son égard est évident ». Ahem. En matière d’argumentation, on a déjà vu
mieux (mais pas sous la plume du cardinal Sarah, il est vrai).
Le pire, c’est que je suis bien convaincu que la première à
souffrir de tout ça, c’est bien Marie elle-même ; et plus généralement, je
crois qu’elle souffre de tout ce que l’Église s’acharne à faire d’elle depuis
un demi-millénaire au moins. Marie incarne l’humilité radicale, c’est-à-dire l’acceptation
complète de la volonté divine par quelqu’un qui, au fond, ne la comprend pas.
Dans l’Évangile, Marie n’a jamais l’air de comprendre ce qu’il se passe, mais
elle accepte toujours ce que Dieu fait en elle, par elle ou près d’elle. À
l’ange qui lui annonce la naissance de Jésus, elle affirme ne pas comprendre
comment une telle chose serait possible, puisqu’elle n’a connu aucun homme,
mais elle dit « oui ». Aux noces de Cana, elle ne comprend pas ce qui
va se passer, mais elle dit aux serviteurs de faire tout ce que dira son fils.
Au pied de la Croix, elle est présente, mais muette. Lors de la Résurrection,
même chose : sa présence est supposée, mais là encore elle ne dit rien.
C’est ça, Marie : un oui complet à la volonté de Dieu, puis le silence.
Jésus Lui-même, parmi les hommes, n’accorde par la première
place à Marie, mais à Jean-Baptiste : « parmi ceux qui sont nés d’une
femme, il ne s’en est pas levé de plus grand que Jean le Baptiste[2] ».
Et qu’est-ce que l’Église, malgré tout, cherche à faire de
Marie ? Une reine, et plus encore : la Reine des Anges, la Porte du
Ciel, la Tour de David, le Siège de la Sagesse, la Divine-Rose-Trémière, la
Voûte-Par-Qui-Tout-Doit-Passer, la Très-Brillante-Et-Très-Haute-Et-Plus-Que-Tout-Le-Monde.
Comment ne pas voir que ça lui va aussi bien qu’un boa de plumes roses à un
moine dominicain ? Comment ne pas voir qu’en cherchant à élever Marie, on
la trahit en faisant d’elle ce qu’elle n’est pas et ne cherche pas à
être ? Faire de Marie une sorte de souveraine de l’Univers, c’est
confondre les bergers avec les rois mages. Autant chercher à faire de saint
Joseph le chef des armées célestes, ça aura autant de pertinence.
Bref, tout ça rappelle furieusement une blague de catho
(attention, les autres – s’il y en a encore à ce stade du billet –, vous
risquez de ne pas comprendre) : les trois Personnes de la Trinité se
demandent où aller en vacances sur Terre. Le Fils propose d’aller en Égypte,
mais le Père dit que si c’est pour retrouver l’endroit où Son peuple a connu
tant de tribulations, ce n’est pas la peine. Il propose d’aller à Jérusalem,
mais le Fils répond que merci bien, qu’Il y a été crucifié et n’y a pas franchement
de bons souvenirs. Mais quand Il propose d’aller à Rome, l’Esprit saute de
joie : « Génial ! J’y suis encore jamais allé. »
[1]
Concile de Vatican II, Constitution dogmatique Lumen gentium, §62.
[2]
Évangile selon Matthieu, 11, 11.
Bien dit!
RépondreSupprimerL'argumentation ne nuit pas à l'humour, apparemment! Merci.
RépondreSupprimerLa place de Marie ne correspond-t-elle pas aussi à une présence féminine dans l'Eglise, pour compenser son absente de toutes les cours officielles? La mettre sur un piédestal, c'est se fabriquer une bonne conscience à peu de frais, me semble-t-il, pour ainsi ne rien changer au statut des femmes après 2000 ans et ne jamais les reconnaitre comme des chrétiennes responsables et majeures, dans toutes leurs dimensions.