À Notre-Dame-des-Landes se joue une tragédie qui concerne
tout le monde, les écologistes comme les aveugles, ceux qui sont pour les
projets portés par les zadistes et ceux qui y sont opposés.
D’abord parce qu’elle a prouvé, pour ceux qui nourriraient
encore des doutes à ce sujet, que le gouvernement Macron-Philippe n’était digne
d’aucune confiance. Il avait annoncé que les projets agricoles seraient
préservés sur la ZAD ; or, la destruction des Cent Noms, un des plus
avancés de tous, un des plus crédibles, un des plus consensuels, dont le dossier
était déjà officiellement déposé, prouve que ce ne sera finalement pas le cas.
Le discours officiel selon lequel il s’agirait d’expulser
seulement quelques éléments « radicaux » de terres qui ne leur
appartiennent pas pour mettre fin à une « zone de non-droit » ne peut
donc plus tromper personne. L’opération en cours ne vise certainement pas à
restaurer un « ordre public », menacé par quoi, au juste ? Les
zadistes, en occupant les terrains de Notre-Dame-des-Landes, ne spolient personne :
les terres appartiennent à l’État ou aux collectivités territoriales, qui n’ont
aucun projet concret pour elles.
Quel est donc le but de cette opération de grande ampleur ?
Passons rapidement sur ses visées politiciennes et électoralistes : après
avoir abandonné le projet de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, le gouvernement
cherche naturellement à montrer ses muscles et à reconquérir l’électorat de
droite. C’est important, mais ce n’est pas l’essentiel. L’essentiel, c’est d’imposer
à tous un modèle et un mode de vie uniques et obligatoires.
En effet, de plus en plus de gens réalisent l’échec des
solutions souvent envisagées à la Crise. Les réformes ? La mise en place
démocratique d’un gouvernement qui porterait des politiques vraiment efficaces pour
lutter à la fois contre la crise écologique et contre les inégalités ne semble
pas pour demain ; et nous n’avons plus le temps pour l’éducation des
masses qui pourrait y conduire. La révolution ? La convergence des luttes
tant attendue n’a pas l’air d’être pour demain, elle non plus ; l’immense
majorité de nos concitoyens se préoccupe avant tout de consommer toujours davantage ;
et de toute manière, l’oligarchie des riches ne se laisserait pas faire. Or, au
jeu de la force et de la guerre, ils l’emporteraient haut la main.
Puisque nous ne pouvons sans doute plus empêcher la
catastrophe écologique et sociale annoncée, il ne nous reste donc plus qu’une
seule issue : nous devons nous organiser pour y faire face. Nous
préparer au choc, mais aussi proposer, par l’exemple, un autre modèle, une
autre manière de produire, mais aussi de vivre, d’organiser la société, et même
de penser l’homme, le monde et les rapports qu’ils doivent entretenir. C’est ce
que font de très nombreuses communautés résilientes, décroissantes, autonomes
ou semi-autonomes, depuis des années et des années. C’est ce qu’essayent de
faire Tol Ardor et la Haute Haie. Et c’est ce qui se faisait à Notre-Dame-des-Landes.
Des projets de cette nature, plus ou moins avancés, à plus
ou moins grande échelle, regroupant plus ou moins de monde, il en existe des
centaines rien qu’en France. Mais la ZAD qui est en train de se faire démolir
était à la fois le symbole le plus visible et le champ d’expérimentation le
plus avancé de cette voie particulière de l’écologie radicale et de la
décroissance que représentent ces contre-modèles. C’est cela que Macron et ses
sbires ne supportent pas : qu’on leur démontre, par l’exemple, qu’il est
possible de vivre mieux avec moins.
À en rester là, le citoyen lambda pourrait bien se dire qu’après
tout, ça ne concerne que quelques centaines de marginaux qui occupent illégalement
des terres, et qui l’ont bien cherché. C’est là qu’est l’erreur ; en fait,
le citoyen lambda est mis en danger par cette épreuve de force, et devrait s’y
opposer. Démonstration.
De deux choses l’une : soit nous avons tort, soit nous
avons raison. Peut-être, en effet, que nous dramatisons, nous, les écologistes radicaux ;
peut-être que nous nous trompons sur la crise écologique et ses conséquences ;
peut-être que tout ne sera pas si grave qu’on le dit, que nos sociétés
trouveront à s’adapter. Mais dans ce cas, à qui nos communautés font-elles le
moindre mal ? Ceux d’entre nous qui occupent des terres n’ont pas choisi
celles de paysans pauvres au bord de la faillite et du suicide ; ce sont
celles de l’État, qui n’a d’autre projet pour elles que leur destruction, sous
une forme ou sous une autre.
Et maintenant, l’autre possibilité : si, au contraire,
nous avions raison ? Personne ne peut l’exclure par avance : seul l’avenir
le dira. Si donc dans 20, 30 ou 40 ans, les choses se sont déroulées comme nous
l’annonçons, si les effets de la Crise sont bel et bien aussi dramatiques que
nous le prévoyons aujourd’hui ? Alors nos communautés, les lieux de vie
que nous aurons bâtis, les expériences que nous aurons menées, les savoirs, les
œuvres, les matériaux, les graines que nous aurons préservés, tout cela pourra
constituer des refuges, des points de départ dont tout le monde pourra profiter
pour reconstruire quelque chose de neuf.
Nous ne nous adressons plus à un gouvernement dont nous n’avons
plus rien à attendre, mais à tous les citoyens. Pour vous, la conclusion s’impose :
nous foutre la paix, c’est un pari gagnant-gagnant. Si nous avons tort, vous ne
perdez rien à nous laisser vivre notre vie comme nous l’entendons. Si nous
avons raison, vous finirez forcément par avoir besoin de nous.
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