Une fois n’est pas coutume, on a une bonne nouvelle à
annoncer : le Conseil constitutionnel vient de censurer le délit de
consultation des sites terroristes. C’est une décision importante, même si elle
est un peu passée inaperçue. Ce délit constituait une grave atteinte aux
libertés fondamentales, puisqu’il prévoyait de condamner, et lourdement, les
citoyens qui se contentaient de naviguer « de manière habituelle » sur
les sites faisant l’apologie du terrorisme. Certes, des exceptions étaient
prévues pour ceux qui pouvaient prouver qu’ils le faisaient « de bonne foi »,
par exemple pour des recherches universitaires ; mais la loi donnait
vraiment le sentiment de renverser la charge de la preuve pour la faire reposer
sur la défense.
Ce délit, initialement proposé par Nicolas Sarkozy, avait dans
un premier temps été critiqué (mollement) par la gauche ; mais bien sûr,
une fois au pouvoir, le PS s’était empressé de le faire voter.
Sur le fond, je ne peux que partager l’analyse du Conseil
constitutionnel, qui affirme que la loi incriminée n’était nullement nécessaire,
l’arsenal juridique visant à lutter contre l’apologie du terrorisme étant déjà
largement suffisant, et que l’atteinte aux libertés fondamentales n’était ni
adaptée, ni proportionnée. Le Conseil rappelle en particulier – il est fou que
ce soit nécessaire, mais c’est nécessaire – que la libre communication des
pensées et des opinions fait partie des droits de l’homme, et que les citoyens
doivent pouvoir s’informer comme ils le souhaitent sur les menaces qui pèsent
sur nos sociétés.
Sur la forme, il y a cependant quelque chose d’encore plus
intéressant à remarquer. Une loi qui piétinait les droits fondamentaux de la personne
humaine avait été votée par le Parlement, donc par une des instances les plus
démocratiques de notre pays, élue au suffrage universel ; elle est à
présent censurée par le Conseil constitutionnel, une de ses instances les moins
démocratiques. Ses membres, nommés pour neuf ans, le sont par les Présidents de
la République, du Sénat et de l’Assemblée nationale, de manière à peu près
complètement discrétionnaire.
Cet épisode fait écho à une autre censure d’une loi à dérive
totalitaire potentielle, toujours par le Conseil constitutionnel, le 21 octobre
dernier : celle qui permettait aux services de renseignements français de
surveiller sans aucun contrôle l’ensemble des communications par voie
hertzienne.
Tout cela prouve une nouvelle fois, pour ceux qui auraient
encore besoin de la démonstration, que la démocratie n’a décidément rien à voir
avec la défense des droits fondamentaux de la personne humaine. Dans le temps présent,
c’est même plutôt le contraire : c’est la démocratie qui représente une
épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos libertés. On l’a vu en France, mais
aussi avec l’élection de Trump aux États-Unis et toutes ses conséquences, déjà.
On l’a vu en Pologne, en Hongrie, à tant d’autres endroits. Et contre cette
épée de Damoclès, ce sont des instances non démocratiques, ou moins, qui sont
notre bouclier.
En France, Marine Le Pen, la candidate la plus dangereuse
pour nos libertés, ne s’y est d’ailleurs pas trompée : elle a inscrit à
son programme un véritable référendum d’initiative populaire, par lequel elle
espère nous faire revenir à la peine de mort. Sa nièce Marion Maréchal-Le Pen,
exactement selon la même stratégie, espère utiliser le même procédé pour
restreindre, voire interdire, l’avortement.
La conclusion s’impose : pour défendre nos
libertés fondamentales, nous n’avons pas besoin de davantage de démocratie ;
nous avons besoin de moins de démocratie. Notre extrême-droite ne s’y trompe
pas, ne nous y trompons pas non plus.
Alors oui, j’aimerais bien me tromper, mais je crains
bien d’avoir raison.
*** EDIT du 15/02/2017 ***
Lundi dernier, une commission mixte paritaire composée de
sept députés et sept sénateurs a violé la décision du Conseil constitutionnel qui
faisait l’objet de mon billet, en réintroduisant dans le Code pénal le
dispositif censuré de « délit de consultation habituelle de sites
djihadistes sur Internet. La version réintroduite est à peine différente de
celle qui avait été censurée.
Quand j’ai publié ce billet, un ami très cher m’a dit que je
« ne m’arrangeais pas ». Moi je veux bien ; mais où est-ce que
la réalité contredit ce que je dis ? Le Parlement élu avait fait passer
cette loi liberticide, le Conseil constitutionnel non élu nous en avait débarrassé,
à présent le Parlement élu montre son peu de respect à la fois pour nos
libertés fondamentales et pour la Constitution et les institutions françaises.
*** EDIT du 07/04/2017 ***
Merci au Conseil constitutionnel qui vient, aujourd’hui même,
de me donner une nouvelle fois raison, en censurant partiellement la loi du 13 novembre
2014 créant l’incrimination « d’entreprise individuelle de terrorisme ».
Le Conseil rappelle que les actes préparatoires à un attentat terroriste ne
sauraient suffire à établir la volonté de le commettre, et donc ne peuvent être
la base d’une condamnation pénale. Il établit également que la seule recherche
d’objets ou de substances de nature à créer un danger (des explosifs, par
exemple) ne suffit pas à matérialiser la volonté de commettre l’infraction.
Je ne sais pas combien de temps tiendra cette décision, mais
en attendant, les faits sont là : les députés élus piétinent un des principes
les plus essentiels de notre droit, celui qui veut qu’on condamne des actes et
non des intentions ; ce faisant, ils préparent une abominable société du
soupçon où tout citoyen sera vu comme un coupable en puissance. Et c’est une de
nos institutions les moins démocratiques qui sert de rempart à ces prémices de
totalitarisme.
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