samedi 11 février 2017

Un bouclier contre l’épée de Damoclès démocratique

Une fois n’est pas coutume, on a une bonne nouvelle à annoncer : le Conseil constitutionnel vient de censurer le délit de consultation des sites terroristes. C’est une décision importante, même si elle est un peu passée inaperçue. Ce délit constituait une grave atteinte aux libertés fondamentales, puisqu’il prévoyait de condamner, et lourdement, les citoyens qui se contentaient de naviguer « de manière habituelle » sur les sites faisant l’apologie du terrorisme. Certes, des exceptions étaient prévues pour ceux qui pouvaient prouver qu’ils le faisaient « de bonne foi », par exemple pour des recherches universitaires ; mais la loi donnait vraiment le sentiment de renverser la charge de la preuve pour la faire reposer sur la défense.

Ce délit, initialement proposé par Nicolas Sarkozy, avait dans un premier temps été critiqué (mollement) par la gauche ; mais bien sûr, une fois au pouvoir, le PS s’était empressé de le faire voter.

Sur le fond, je ne peux que partager l’analyse du Conseil constitutionnel, qui affirme que la loi incriminée n’était nullement nécessaire, l’arsenal juridique visant à lutter contre l’apologie du terrorisme étant déjà largement suffisant, et que l’atteinte aux libertés fondamentales n’était ni adaptée, ni proportionnée. Le Conseil rappelle en particulier – il est fou que ce soit nécessaire, mais c’est nécessaire – que la libre communication des pensées et des opinions fait partie des droits de l’homme, et que les citoyens doivent pouvoir s’informer comme ils le souhaitent sur les menaces qui pèsent sur nos sociétés.

Sur la forme, il y a cependant quelque chose d’encore plus intéressant à remarquer. Une loi qui piétinait les droits fondamentaux de la personne humaine avait été votée par le Parlement, donc par une des instances les plus démocratiques de notre pays, élue au suffrage universel ; elle est à présent censurée par le Conseil constitutionnel, une de ses instances les moins démocratiques. Ses membres, nommés pour neuf ans, le sont par les Présidents de la République, du Sénat et de l’Assemblée nationale, de manière à peu près complètement discrétionnaire.

Cet épisode fait écho à une autre censure d’une loi à dérive totalitaire potentielle, toujours par le Conseil constitutionnel, le 21 octobre dernier : celle qui permettait aux services de renseignements français de surveiller sans aucun contrôle l’ensemble des communications par voie hertzienne.

Tout cela prouve une nouvelle fois, pour ceux qui auraient encore besoin de la démonstration, que la démocratie n’a décidément rien à voir avec la défense des droits fondamentaux de la personne humaine. Dans le temps présent, c’est même plutôt le contraire : c’est la démocratie qui représente une épée de Damoclès suspendue au-dessus de nos libertés. On l’a vu en France, mais aussi avec l’élection de Trump aux États-Unis et toutes ses conséquences, déjà. On l’a vu en Pologne, en Hongrie, à tant d’autres endroits. Et contre cette épée de Damoclès, ce sont des instances non démocratiques, ou moins, qui sont notre bouclier.

En France, Marine Le Pen, la candidate la plus dangereuse pour nos libertés, ne s’y est d’ailleurs pas trompée : elle a inscrit à son programme un véritable référendum d’initiative populaire, par lequel elle espère nous faire revenir à la peine de mort. Sa nièce Marion Maréchal-Le Pen, exactement selon la même stratégie, espère utiliser le même procédé pour restreindre, voire interdire, l’avortement.

La conclusion s’impose : pour défendre nos libertés fondamentales, nous n’avons pas besoin de davantage de démocratie ; nous avons besoin de moins de démocratie. Notre extrême-droite ne s’y trompe pas, ne nous y trompons pas non plus.



*** EDIT du 15/02/2017 ***

Lundi dernier, une commission mixte paritaire composée de sept députés et sept sénateurs a violé la décision du Conseil constitutionnel qui faisait l’objet de mon billet, en réintroduisant dans le Code pénal le dispositif censuré de « délit de consultation habituelle de sites djihadistes sur Internet. La version réintroduite est à peine différente de celle qui avait été censurée.

Quand j’ai publié ce billet, un ami très cher m’a dit que je « ne m’arrangeais pas ». Moi je veux bien ; mais où est-ce que la réalité contredit ce que je dis ? Le Parlement élu avait fait passer cette loi liberticide, le Conseil constitutionnel non élu nous en avait débarrassé, à présent le Parlement élu montre son peu de respect à la fois pour nos libertés fondamentales et pour la Constitution et les institutions françaises.

Alors oui, j’aimerais bien me tromper, mais je crains bien d’avoir raison.


*** EDIT du 07/04/2017 ***

Merci au Conseil constitutionnel qui vient, aujourd’hui même, de me donner une nouvelle fois raison, en censurant partiellement la loi du 13 novembre 2014 créant l’incrimination « d’entreprise individuelle de terrorisme ». Le Conseil rappelle que les actes préparatoires à un attentat terroriste ne sauraient suffire à établir la volonté de le commettre, et donc ne peuvent être la base d’une condamnation pénale. Il établit également que la seule recherche d’objets ou de substances de nature à créer un danger (des explosifs, par exemple) ne suffit pas à matérialiser la volonté de commettre l’infraction.


Je ne sais pas combien de temps tiendra cette décision, mais en attendant, les faits sont là : les députés élus piétinent un des principes les plus essentiels de notre droit, celui qui veut qu’on condamne des actes et non des intentions ; ce faisant, ils préparent une abominable société du soupçon où tout citoyen sera vu comme un coupable en puissance. Et c’est une de nos institutions les moins démocratiques qui sert de rempart à ces prémices de totalitarisme.

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