Un divorce, c’est un peu comme la guerre : ce n’est jamais
agréable, mais c’est parfois nécessaire. On ne peut pas être « pour »
le divorce, comme on ne peut pas être « pour » la guerre ; mais dans
certains cas, il faut bien reconnaître que c’est la moins mauvaise des
solutions.
À l’heure actuelle, c’est clairement le cas pour le PS. Ce
parti est en fait divisé en deux. On le sait depuis très, très longtemps, mais
un des rares avantages de la primaire est d’en faire la démonstration manifeste.
D’un côté, il y a des gens de gauche, véritablement de gauche, les seuls qui
méritent le qualificatif de « socialistes », c’est-à-dire ceux qui
veulent une réforme profonde du capitalisme libéral – je ne prétends pas qu’ils
veuillent l’abolir, mais cette radicalité-là a de toute manière à peu près
disparu du champ politique – dans le sens de davantage d’égalité. De l’autre,
il y a des socio-démocrates, c’est-à-dire des gens qui s’accommodent très bien
du capitalisme libéral tel qu’il existe actuellement et veulent seulement l’encadrer
pour en limiter les abus.
Entre ces deux camps, il n’y a, en réalité, pas d’accord
possible. Leur alliance résulte exclusivement d’une somme d’intérêts personnels
et politiciens : leurs membres respectifs ont tout simplement considéré
jusqu’à présent que le Parti socialiste, et donc le maintien de son unité et de
son existence, était le plus sûr moyen de conquérir les postes convoités.
Mais sur le fond, les désaccords sont à peu près complets –
pour ceux qui ont quelques convictions, évidemment. Les socialistes sont partisans
d’une politique keynésienne de relance pilotée par l’État sans se soucier des
déficits. Ils souhaitent des politiques de véritable redistribution des
richesses, donc des impôts élevés, surtout pour les plus riches, et des
dépenses publiques importantes. Mécaniquement, ils sont assez méfiants vis-à-vis
de l’Union européenne telle qu’elle s’est construite depuis 1992.
Inversement, les socio-démocrates sont globalement partisans
de la rigueur budgétaire imposée par Bruxelles et d’une tentative de relance
par l’offre plutôt que par la demande. Ils ont accepté le dogme de base du
néo-libéralisme et du néo-classicisme économique selon lequel c’est en laissant
les plus riches s’enrichir qu’on fera reculer la pauvreté : ils ne veulent
donc pas taxer trop lourdement les revenus ou le capital.
Ces deux lignes sont donc clairement contradictoires. C’est pourquoi
Valls a raison de parler de « deux gauches irréconciliables », et
Hamon d’affirmer que le second tour de la primaire se jouera « projet de
société contre projet de société ».
Seulement voilà, quelque chose vient perturber la donne :
c’est que chacune des deux options est déjà représentée par un candidat lancé
depuis plus longtemps dans la course. Les idées de Benoît Hamon sont déjà
portées, peu ou prou, par Jean-Luc Mélenchon, et celles de Manuel Valls par
Emmanuel Macron.
On me dira que ce n’est pas la même chose, qu’il y a à
chaque fois des divergences. Évidemment, qu’il y a des divergences ! Oui,
Hamon n’a peut-être pas exactement la même vision de l’Union européenne, de la politique
étrangère, de la Russie ou de l’islam que Mélenchon. Mais et alors ? Deux
individus ne sont jamais d’accord sur tout en politique. Croire que le moindre
désaccord doit se traduire par deux candidatures distinctes aux élections est
la maladie dont la gauche crève depuis des années, pour ne pas dire des
décennies. Si on attendait d’être d’accord en tout avec quelqu’un pour le
soutenir, personne ne militerait dans aucun parti politique, personne ne
soutiendrait jamais aucun candidat : il y aurait autant de partis et de
candidats que de militants. Belle perspective ! Et quelle efficacité…
Ce qu’il faut donc réaliser, c’est que les désaccords, réels
et indéniables, entre Valls et Macron ou entre Hamon et Mélenchon, sont
infiniment moins profonds que ce qui les rassemble. La conclusion, en termes politiques ?
C’est le moment pour le PS d’acter ce désaccord et de divorcer. Que les
socialistes rejoignent Mélenchon et le Parti de gauche, et que les
socio-démocrates rejoignent Macron et construisent ensemble une nouvelle
structure.
Bien sûr, j’entends déjà les militants du PS s’offusquer :
et pourquoi pas le contraire ? Pourquoi ne seraient-ce pas Mélenchon et
Macron qui se rallieraient à Valls ou Hamon ? Pour une raison bien simple :
c’est que nous sommes dans une démocratie d’opinion, dominée par le complexe
médiatico-sondagier, et que ses oracles ne peuvent pas être ignorés. Or, ils
sont très clairs : que ce soit Valls ou Hamon qui l’emporte, le candidat
PS est condamné à une humiliante cinquième place, derrière Le Pen, Fillon,
Macron et Mélenchon. Telle est la loi d’airain des institutions majoritaires de
la Ve République : sous peine d’être responsable de la défaite
des idées qu’il porte, c’est au plus faible de se désister en faveur du plus
fort.
Les chances que les choses se passent ainsi sont évidemment
bien minces. Le PS a déjà manqué plusieurs occasions de faire ce divorce. En
2007, la percée de Bayrou, qui était le seul à même de battre Nicolas Sarkozy
au second tour, aurait dû provoquer l’explosion du parti et une alliance
Bayrou-Royal. L’aile gauche du PS ne l’aurait bien sûr pas accepté, et après ?
Le Parti de gauche aurait pu être fondé avec deux ans d’avance. Par la suite,
lorsque Hollande, devenu président, a renié et même foulé aux pieds toutes ses
promesses de mettre au pas la haute finance, le divorce aurait encore dû avoir
lieu. L’arrivée de Valls au poste de Premier ministre en était l’occasion
évidente. Les « frondeurs » ont préféré continuer à « fronder »
de l’intérieur, c’est-à-dire à ne rien faire.
Il est donc probable qu’il en ira encore de même. Les
militants et surtout les cadres auront sans doute trop peur de perdre leurs
places (de conseillers municipaux ou généraux, de maires, de permanents etc.)
pour oser quitter ce navire qui ne peut pourtant plus être sauvé ; et le
candidat désigné préférera s’accrocher à une vaine candidature de témoignage,
dont au moins il pourra tirer personnellement des profits politiques, plutôt que
de favoriser ses idées en se désistant. En d’autres termes, le couple
continuera à se déchirer et à se taper dessus, mais n’osera pas la séparation
de peur de dilapider le patrimoine commun : un divorce, ça coûte cher. Les
socio-démocrates, hier dominants dans le parti, vont peut-être devoir céder
temporairement la place aux socialistes : qu’importe, ils estimeront
préférable d’attendre la défaite pour reconquérir la direction dans ses ruines.
Et donc, il y aura un grand perdant : soit Macron, soit
Mélenchon. Si l’arithmétique électorale fonctionne sans surprise, Hamon sera
élu, ce qui fera encore un peu plus souffler le vent dans les voiles de Macron
mais réduira d’autant le socle électoral de Mélenchon. C’est dommage pour lui :
pour la première fois, je me disais qu’il avait une toute petite fenêtre pour
accéder au second tour. Mais comme, quel que soit son adversaire, il ne pouvait
pas le battre in fine, ce n’est peut-être
pas plus mal. Si Valls est bien éliminé, Macron sera probablement en 2017 celui
que Bayrou a été il y a dix ans : le seul à même de battre à la fois la
droite dure de Fillon et l’extrême-droite de Le Pen. Fillon doit d’ailleurs
avoir en ce moment de belles sueurs froides, et ça au moins, ça console de
tout.
Qu’est-ce que je vous disais ? Le candidat qui sera élu
en mai prochain, quel qu’il soit, n’aura pas les solutions pour nous sortir de
la Crise que nous ne faisons que commencer à traverser. Mais au moins, en
attendant, et contrairement aux deux dernières présidentielles, on s’amuse et
on a un peu de suspens, avec tout plein de beaux retournements de situation.
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