La mort, abjecte, mardi dernier, du père Jacques Hamel, à Saint-Étienne-du-Rouvray,
a confirmé l’évolution du discours politique déjà observable après l’attentat
de Nice : finie l’unité nationale, bonjour la polémique et la surenchère
sécuritaire. Et l’opposition de droite d’enfourcher son cheval de bataille
préféré : « si seulement on avait réduit encore plus nos libertés
pour assurer davantage de sécurité, cet attentat n’aurait pas eu lieu. »
Que ce soit débile est une évidence. Il est clair qu’on ne
peut pas protéger les dizaines de milliers d’églises en France, et moins encore
la liste complète des lieux qui pourraient servir de cibles aux terroristes. De
même qu’il est strictement impossible d’écouter les conversations de millions de
Français (ou de résidents en France), de lire tous leurs textos, et moins encore
de surveiller les pensées de tous ceux qui se radicalisent tout seuls.
Impossible donc d’empêcher les attentats : soit on s’attaque à leurs
causes, soit on s’habitue à vivre avec.
Mais certains réclament néanmoins plus de sécurité, même au
prix de la liberté. « Quand même, des attentats, on en arrêtera toujours plus
avec les lois sécuritaires que sans. » Peut-être ; et c’est sûr que
si, comme l’affirme Le Monde, « le
terrorisme islamiste a fait 236 morts en France en 18 mois », on comprend
que certains paniquent. Mais est-ce vraiment une bonne idée pour autant ?
Examinons ce que propose Nicolas Sarkozy, ancien Président
de la République, et dont les chances de revenir à l’Élysée ne sont pas nulles.
Il voudrait faire assigner à résidence, voire enfermer dans des centres de
rétention, tous les individus fichés S ou suspects de radicalisation islamiste,
et ce sur simple décision administrative, donc sans passer par un juge. C’est
gros, mais ça passe, plein de gens soutiennent cette mesure. Enfermer des gens
sans jugement ? Abandonner la présomption d’innocence ? Mais pourquoi
pas, après tout ! Pas de réactions, le bon peuple opine.
Petit problème, ça viole la Constitution, et plus
précisément son article 66, qui dispose que nul ne peut être détenu
arbitrairement. Ben ouais, dans un pays qui se vante d’avoir aboli les lettres
de cachets des anciens rois, ça ferait un peu désordre de les rétablir aussi
évidemment. Notre Fouquier-Tinville national, ça ne le gêne pas trop, puisque
pour lui, tout ça, ce sont des « arguties juridiques » (le respect de
la Constitution ? des arguties juridiques ? de la part d’un ancien
Président de la République ? Bon.)
Mais il faut compter avec le Conseil constitutionnel, qui
peut retoquer une loi violant la Constitution. Heureusement, tandis que Sarko envisage
carrément que la France se retire de la Convention Européenne des Droits de l’Homme,
un de ses conseiller a trouvé la parade : « Il faut le tenter !
Et si cela ne passe pas le cap du Conseil constitutionnel, révisons l’article
66. »
Là, tout est dit, je crois. Les politiciens de notre pays
(aujourd’hui de droite, mais quand ce sera eux qui seront au pouvoir et qu’il y
aura toujours des attentats, le PS ne manquera pas de demander exactement la même
chose) affirment sans honte, sans frémir, d’abolir les derniers remparts qui
protègent nos droits, nos libertés, et tout simplement la possibilité même de
toute justice.
C’est lassant d’avoir si constamment raison. Tout cela
confirme non seulement les pronostics de Tol Ardor quant à l’évolution
liberticide de nos sociétés, mais également nos analyses politiques :
décidément, les libertés fondamentales n’ont pas grand-chose à voir avec la
démocratie. Elles peuvent parfaitement exister en-dehors d’un régime
démocratique ; inversement, la démocratie s’accommode très bien de leur
disparition progressive. Et rien ne servirait de convoquer le caractère éventuellement
non démocratique de notre société : en l’occurrence, le peuple est
parfaitement d’accord avec les élites pour réduire les libertés formelles.
Ceux qui soutiennent ce genre de mesure devraient réfléchir
au fait qu’en pavant ainsi la voie à de futurs totalitarismes, ils se mettent
eux-mêmes en danger : le principe même du totalitarisme, c’est que personne
n’est jamais innocent face à l’État. Ceux qui se disent que, n’ayant rien à se
reprocher, ils n’ont rien à craindre, devraient étudier l’Histoire : les
SA ont été massacrés par Hitler alors même qu’ils l’avaient porté au pouvoir ;
Staline a exterminé méthodiquement l’essentiel des révolutionnaires de 1917 et
des anciens camarades de Lénine.
En France aussi, nous avons eu une expérience qui, sans
relever du totalitarisme (car à l’époque, ils n’avaient pas les moyens
techniques de leurs objectifs), relevait d’une ambition totalitaire. Ça a
commencé entre septembre 1792, avec les massacres de masse et sans procès de nombreuses
personnes dans les prisons de Paris, et mars 1793, avec la création du Tribunal
révolutionnaire. Ça s’est terminé le 28 juillet 1794 avec l’exécution de
Robespierre, de Saint-Just et de nombre de leurs proches. Ça s’est appelé la
Terreur.
La Terreur a eu à cœur, elle aussi, de « lutter contre
l’ennemi de l’intérieur », de « gagner la guerre déclarée à la France
par les ennemis de la Patrie ». Et elle aussi a fait de jolies lois. Le 17
septembre 1793, la « loi des suspects » déclare comme tels tous ceux
qui se sont montrés « ennemis de la liberté », et cela que ce soit « par
leur conduite, par leurs relations, par leurs propos ou par leurs écrits ».
Sont également suspects les anciens nobles, bien sûr, mais aussi tous les membres
de leurs familles. Toutes ces personnes doivent être arrêtées immédiatement. Ça
vous rappelle quelque chose ?
Le 10 juin 1794, la loi de prairial ouvre la « Grande Terreur ».
Elle prive les accusés du droit à une défense ainsi que du droit de recours. Le
Tribunal révolutionnaire n’a plus le choix qu’entre l’acquittement et la mort. Pour
être déclaré « ennemi du peuple », il suffit d’inspirer le
découragement, de chercher à dépraver les mœurs (tient, ça doit plaire au
cardinal Vingt-Trois, qui trace des parallèles entre les terroristes et la
légalisation du mariage homo) ou encore « d’altérer la pureté et l’énergie
des principes révolutionnaires ». Aujourd’hui comme à l’époque, le flou de
la loi est un outil pour pouvoir englober tout le monde dans la répression.
Alors, la Terreur pour répondre au terrorisme ? Je sais
bien qu’à l’heure actuelle, certains, et même des qui d’ordinaire ne sont pas
de grands amis de Saint-Just, de Robespierre ou de la révolution française en
général, se mettent tout d’un coup à prôner pour nous, aujourd’hui, exactement
ce qu’ils faisaient à l’époque. Mais la dernière fois qu’on a essayé, il y a eu
17 000 guillotinés, entre 25 000 et 30 000 fusillés, et peut-être
100 000 morts en tout. 83 morts par jour en moyenne. Vous êtes sûrs que
vous voulez retenter l’expérience ?
"La liberté de se vêtir comme on l’entend est un droit fondamental" dîtes-vous. Peut-être y a t-il des limitations ?
RépondreSupprimerSauf erreur de ma part, on ne doit pas sortir en ville sans aucun vêtement et l'article R645-1 du code pénal interdit de porter ou d'exhiber en public un uniforme, un insigne ou un emblème rappelant l'idéologie nazi...
En fait les considérations juridiques qui apparaissent sur le site "www.vududroit.com" auquel vous renvoyez dans votre article dépassent mes compétences.
Aussi, à titre de piste de réflexion, je vous propose plutôt une autre approche plus historique et géopolitique.
C'est en l'an 636 que l'on peut dater le début d'un interminable conflit de deux barbaries difficilement compatibles, conflit parfois simplement appelée la guerre Islam-Occident.
Bien entendu c'est une manière schématique de s'exprimer, mais qui sur un blog a l'avantage d'être judicieusement concise.
En 636, les éclatantes victoires de Al Qadisiyya et du Yarmouk préfiguraient l'effondrement rapide de l'Empire Sassanide et la destruction plus lente et laborieuse de l'Empire Byzantin.
Par la suite et pour longtemps, la guerre Islam-Occident s'est principalement déroulé sous forme de grandes (et sanglantes) batailles conventionnelles (jalonnant d'innombrables péripéties et changements d'alliances et de régimes).
(Quelques dates au hasard parmi des centaines d'autres: Carthage(vers 670-693 ?), Poitiers(732), Sagrajas(1086), Las Navas de Tolosa(1212), Saint-Jean-d'Acre(1291), Constantinople(1453), Rhodes(1522), Zenta(1697), Tchesmé(1770), Navarin(1827), Andrinople(1913)....
Mais depuis quelques décennies (cf. 1928: fondation de l'Association des Frères Musulmans), la guerre Islam-Occident a changé de visage.
Elle est devenu ce que les spécialistes, (de Sun Tzu:544–496 avant JC..... à François Géré, Gérard Chaliand par exemple), dénomment actuellement, une guerre irrégulière.
Du concept de guerre irrégulière, impossible à résumer, j'en retiens que c'est une stratégie à long terme, pouvant utiliser tous les moyens, mais avec une accentuation particulière sur tout l'éventail des manipulations mentales : noyautage, propagande, infiltration, désinformation, endoctrinement...etc.
Voici quelques échantillons illustratifs pour fixer les idées.
*** Un des slogans des Frères Musulmans à l'adresse de l'Occident est :
"Avec vos lois démocratiques, nous vous coloniserons. Avec nos lois coraniques, nous vous dominerons."
*** Plus délicat d'interprétation est le mot d'ordre de Recep Tayyip Erdogan :
"Les minarets seront nos baïonnettes, les coupoles nos casques, les mosquées seront nos casernes et les croyants seront nos soldats."
*** Les attentats terroristes maladroitement ciblés, style Bataclan:13/11/2015 ou Nice:14/7/2016, malgré qu'ils soient des réussites spéctaculaires, se sont déclenchés quelques années trop tôt, et l'on peut d'ores et déjà prévoir des effets contreproductifs dans les opinions européennes, (qui commencent ainsi à prendre conscience de l'étendue et de la complexité du péril islamique).
*** La mode du burkini est l'un des nombreux exemples d'une micro-offensive psychologique simple et ingénieuse, dont l'efficacité effective pour renforcer l'islamisation française paraît difficile à évaluer sérieusement à la date du 18 août 2016.
(Au demeurant, le Collectif contre l'islamophobie en France (CCIF) ne sous-estime pas pas cette opportunité. Il a annoncé son intention "d'attaquer devant les juridictions locales tous les arrêtés municipaux interdisant le port du burkini" et il prévoit une "bataille juridique" qui se déroulera sur "le long terme".)
(Petit ajout imposé par la limite à 4096 caractères)
RépondreSupprimerEN GUISE DE BRÈVE CONCLUSION.
Quelques sentences sibyllines qui mériteraient d'être longuement explicitées.
Lorsque la paix s'est avérée être impossible, le souvenir des accord de Munich du 30 septembre 1938, enseigne que le déni de réalité peut entraîner des désastres (cf. hétérotélie).
La guerre peut alors correspondre à la moins mauvaise solution.
Les réflexions actuelles, tant sur l'éthique militaire (cf. Benoît Royal), que sur les juridictions (exemple: Convention de Genève de 1951 sur les réfugiés) qui pourraient ou devraient encadrer les conflits conventionnels (entre états) ainsi que les guerres irrégulières, permettent de justifier le dicton empirique :
"la guerre sans haine" est souvent moins pire que "la haine sans guerre".