Depuis l’ouverture de ce blog, jamais je n’avais aussi
longtemps cessé de l’alimenter ; mais à circonstances exceptionnelles,
conséquences exceptionnelles. Mon mois d’avril a été occupé à l’extrême ;
j’y ai accumulé un retard considérable dans mon travail et mes diverses
obligations, retard que j’ai passé le mois et demi qui a suivi à résorber. À
présent que j’ai enfin sorti la tête de l’eau, j’espère retrouver un rythme de
publication plus régulier.
Ce qui est certain, c’est que pendant que je regardais
ailleurs, il s’est passé beaucoup de choses qui auraient mérité des articles.
Pendant que je regardais ailleurs, le gouvernement Valls a
utilisé le 49.3 pour faire passer en force le projet de loi El Khomri réformant
le Code du travail. Le pire est bien sûr la terrible régression sociale organisée
par cette loi : précarisation des salariés au nom de la flexibilité,
primauté de l’accord d’entreprise sur l’accord de branche, licenciements
facilités, possibilité pour les patrons de faire travailler leurs salariés
jusqu’à 46h. par semaine pendant 16 semaines (!!!), voire jusqu’à 60h. par
semaine…
Mais il faut également se désoler de la méthode. On peut
discuter de la légitimité du 49.3, qui permet d’arracher au Parlement une des
rares parcelles de pouvoir dont il dispose face à l’exécutif ; mais
sachant que Hollande comme Valls avaient qualifié son utilisation par la droite
au pouvoir du temps de Sarkozy de « déni de démocratie », le minimum
de la décence aurait exigé qu’ils s’abstinssent d’y avoir recours. Surtout à
plusieurs reprises dans le même quinquennat. Le pouvoir politique n’en est plus
à une bouffonnerie près.
Pendant que je regardais ailleurs, la grogne sociale a un
peu bougé dans son sommeil – je n’ose dire qu’elle se serait réveillée. Il y a
eu le phénomène des Nuits Debout. C’était plutôt sympathique, même si je ne me
sens évidemment pas spécialement d’affinités avec un mouvement qui refuse à ce
point toute forme de verticalité, d’autorité, de hiérarchie. Disons que je
considère que c’est complètement irréaliste et voué à l’échec : une
organisation parfaitement horizontale, anarchique au sens étymologique du terme,
me semblerait possible pour un peuple d’anges ; pour nous, c’est
complètement inefficace. L’évolution du mouvement m’a d’ailleurs donné raison,
puisque la convergence des luttes tant attendue ne s’est pas faite et que
les Nuits Debout sont en train de mourir de leur belle mort.
Mais au moins, ces gens ont essayé : essayé de penser
une nouvelle forme du politique, et essayé de l’appliquer concrètement. Rien
que pour ça, je leur suis reconnaissant, même s’ils n’ont pas su éviter
quelques dérives plus ou moins graves. La multiplication des comités, portant
parfois sur des sujets très éloignés des vrais problèmes de la population,
n’était pas forcément de bonne stratégie. Chasser de la place de la République
ceux qui n’étaient pas d’accord en tout avec eux ou qui leur semblaient
symboliser des choses qu’ils rejetaient, comme Finkielkraut ou les Veilleurs,
n’a pas été à leur honneur.
Il y a aussi, plus généralement – et c’est toujours
d’actualité –, la contestation classique de la loi travail. Classique puisque,
les Nuits Debout ayant échoué à enclencher la révolution que certains
espéraient (en dépit de toute analyse politique valide, il faut le dire), il a
bien fallu reprendre la lutte par des moyens plus connus et mieux
maîtrisés : des grèves, des manifs, des flics en face, des gens qui
veulent en découdre, des foulards, des pavés, des lacrymos, des blocages
d’autoroutes, des violences policières, j’en passe et des meilleures. Là aussi,
ces gens ont toute ma sympathie, même si je pense qu’eux aussi vont échouer.
Mais ils avaient quand même plus de chances de faire reculer le gouvernement
par des grèves et des manifs un peu agressives que les autres n’en avaient de
le faire tomber en restant debout la nuit.
Pendant que je regardais ailleurs, les partis qui incarnent
le Système, c’est-à-dire ceux qui veulent par-dessus tout rester dans le cadre
politique, économique et culturel actuel, et si possible le rendre encore plus
profitable aux élites, ont bien consolidé leur assise. Puisqu’il s’agit
principalement, en France, du PS et de l’ex-UMP, ils se sont dit qu’autant
renforcer ce bipartisme, et l’égalité du temps de parole dans les médias
pendant les campagnes électorales a discrètement disparu. Les idées
différentes, qui s’éloignent du Système ou s’opposent à lui, avaient déjà bien
du mal à se faire entendre ; elles seront à présent de plus en plus
inaudibles.
Si vous en voulez une petite illustration, ce petit
graphique compare le temps de parole dont les candidats ont bénéficié en 2012
(en bleu) avec celui dont ils auraient bénéficié à l’époque si la réforme avait
déjà été en place (en orange). Alléchant. Une illustration de plus de la
manière dont la démocratie mène ordinairement au conservatisme oligarchique.
Parallèlement, Vincent Bolloré, grâce à ses millions, a pu
racheter Canal + et a fini par avoir la tête de Yann Barthès, un des trop rares
journalistes français qui embêtent vraiment les politiciens et les élites, qui ne
rampent pas à leurs pieds, qui dénoncent sans faiblir et sans se décourager
leurs travers, leurs ridicules, leurs mensonges, leurs contradictions, leurs
retournements de veste et les conneries qu’ils peuvent dire. Ça peut sembler
anodin ; ça ne l’est pas. Barthès et toute l’équipe du Petit Journal
faisaient rire et divertissaient, mais ils le faisaient avec intelligence et
profondeur ; ils ne cherchaient pas à faire rire pour faire rire :
ils dénonçaient par le rire les travers de leur temps. Autrement dit, le
divertissement qu’ils offraient était en plus socialement utile. Sa disparition
de l’antenne, c’est une victoire de plus pour un autre rire, celui promu par le
Système justement : celui de Cyril Hanouna et de Touche pas à mon poste.
Le rire qui endort remplace le rire qui réveillait.
Barthès dérangeait parce qu’il faisait son métier :
comme journaliste, il dévoilait ce que les politiciens et les patrons auraient
voulu garder caché. C’est pour cela qu’il les horripilait tant. La disparition
d’une émission aussi haïe par Morano (disparition d’ailleurs célébrée par tous
les conservateurs) ne peut être qu’une mauvaise nouvelle.
Dans le même ordre d’idées, l’Union européenne a adopté,
aussi discrètement que possible, une directive sur le secret des affaires
extrêmement inquiétante pour les lanceurs d’alerte. À l’avenir, il sera
probablement bien plus risqué pour un salarié de dénoncer une faute, même
grave, de l’entreprise à laquelle il appartient : pollution, magouilles
financières et fraudes en tous genres seront désormais bien plus difficiles à
dénoncer, donc bien plus simples à faire pour les entreprises. Yahou.
Pendant que je regardais ailleurs, les politiciens ont
d’ailleurs fourni une autre preuve que l’environnement n’était décidément pas
leur première préoccupation, puisque la loi sur la biodiversité a été vidée de
sa substance par les sénateurs. Elle n’était déjà pas trop ambitieuse dans sa
version d’origine ; à présent, on peut s’attendre au bon vieux compromis
démocratique, décidé en commission mixte paritaire et qui, pour ne fâcher
personne, n’ira pas bien loin.
Pendant que je regardais ailleurs, un SDF de 18 ans était
condamné par le tribunal correctionnel de Cahors à deux mois de prison ferme
pour avoir volé un paquet de pâtes et un paquet de riz parce qu’il avait faim.
Aux dernières nouvelles, Patrick Balkany est toujours dans son riad de
Marrakech et maire de Levallois. Bon. En 1862, Victor Hugo écrivait un roman
qui commençait comme ça, avec un vol de pain par quelqu’un qui avait faim et
une condamnation au bagne. Ça s’appelait Les
misérables. Au XVIIe siècle, dans une de ses fables les plus
géniales, La Fontaine écrivait : « Selon que vous serez puissant ou
misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir. » XVIIe
siècle, XIXe siècle, XXIe siècle, certaines choses ne
changent pas.
Pendant que je regardais ailleurs, l’islam radical a
continué à faire des attentats, en France, aux États-Unis, vous avez raison les
gars, faut pas perdre le rythme. Comme ça, les États touchés réagissent avec
des lois sécuritaires, les populations se radicalisent et tendent de plus en
plus vers les populismes d’extrême-droite. Il ne faut pas se méprendre : à
chaque attentat, ou plutôt à chacune de nos réactions à un attentat, le
fondamentalisme musulman gagne une vraie bataille. Pas tellement à cause des morts,
même si c’est l’aspect le plus immédiatement tragique, mais parce qu’ils
réussissent (alors que c’est précisément là qu’on ne devrait pas se laisser
faire !) à nous faire piétiner nos propres valeurs et à faire progresser
l’islamophobie et le racisme chez nous.
Leur stratégie est très simple : les attentats mènent
au racisme et à l’islamophobie, d’où découle une vie encore plus difficile pour
les immigrés et leurs descendants, alors qu’il s’agit déjà de populations
défavorisées ; ce qu’espère l’État islamique, c’est qu’il y aura une
radicalisation mutuelle qui finira en guerre civile, et que les musulmans
devenus radicaux l’emporteront. Pour éviter d’en arriver là, il faudrait que
chacun fasse sa part : que les gouvernements résistent à la tentation sécuritaire
et restent fermes sur les droits fondamentaux et les libertés formelles ;
que les populations occidentales évitent les amalgames qui favorisent le
racisme ; et enfin que les musulmans, en particulier les intellectuels et
les autorités religieuses, assument leurs contradictions et fassent émerger un
nouvel islam qui tourne sans ambiguïté le dos à certaines idées et à certaines
pratiques. Pour chacun des trois cas, on est loin du compte.
Enfin, pendant que je regardais ailleurs, les autorités
catholiques du Malawi se sont dit qu’il n’y avait pas de raison de laisser
l’homophobie aux seuls intégristes musulmans, et ont demandé officiellement au
gouvernement civil le retour à l’application de la loi qui prévoit des peines
de prison pour les actes homosexuels. Cette loi, qui n’a jamais été abrogée,
fait pour l’instant l’objet d’un moratoire et n’est plus appliquée. J’attends
toujours, à l’heure qu’il est, un ferme rappel à l’ordre du pape, qui
condamnerait cette demande et affirmerait sans ambages qu’il n’est ni chrétien,
ni catholique de demander à mettre des gens en prison parce qu’ils sont homos.
Voilà donc le bilan extérieur de mes deux mois de silence.
C’est à la fois très lourd et pas du tout surprenant, parce que finalement, il
n’y a dans tout cela rien de nouveau ; seulement la continuation ou le
renforcement de tendances déjà anciennes, que je dénonce et contre lesquelles
Tol Ardor lutte depuis des années.
Mais il ne faudrait pas croire que je regardais seulement ailleurs. De tout cela, je
n’ai pas perdu une miette, et ma colère contre le malheur du monde n’a rien
perdu de son ardeur. Quand je dis que je reviens vous chercher, ça veut d’abord
dire que je reviens sur le champ de bataille.
« J’attends toujours, à l’heure qu’il est, un ferme rappel à l’ordre du pape, qui condamnerait cette demande et affirmerait sans ambages qu’il n’est ni chrétien, ni catholique de demander à mettre des gens en prison parce qu’ils sont homos. »
RépondreSupprimerMais à attendre trop longtemps, la paresse risque de prendre le dessus … or (voir ci-dessous)
« Il ne s'agit pas de nous culpabiliser si nous sommes mous mais de comprendre que nous ne pouvons pas être des chrétiens paresseux. » (Hubert Cornudet)
Faisant appel au pape François, la pétition ci-dessous de "Témoignage chrétien" a besoin de notre soutien unanime :
RépondreSupprimerContre l’homophobie, notre appel au Pape François
Dans le billet "Petit bilan de santé de la liberté d’expression" daté du 14 juillet, on parle « des menaces qui pèsent sur ce droit fondamental » .
RépondreSupprimerDans le cas de la pétition lancée par Témoignage Chrétien (voir ci-dessus), y aurait-il par hasard de quelconques menaces susceptibles d’entraver le droit fondamental de chacun de signer cette pétition et/ou de communiquer à ce sujet sur ce blog ?