En 1783, le chevalier Joseph Bologne de Saint-Georges, musicien
et futur acteur de la Révolution française, abolitionniste né en Guadeloupe,
fonda avec deux mécènes un orchestre nommé le Concert de la Loge Olympique ;
il eut une certaine importance puisqu’il fut, par exemple, le commanditaire des
Symphonies parisiennes de Joseph
Haydn. Disparu dans les suites de la Révolution, il donna son nom à un nouvel ensemble
fondé début 2015 par le violoniste Julien Chauvin.
Entre-temps, un autre univers, celui du sport, avait été quelque
peu agité par une autre personnalité : Pierre de Coubertin, re-fondateur des
Jeux olympiques. Misogyne, raciste, colonialiste, puis admirateur plus ou moins
affiché de Hitler et du régime nazi – à côté d’une véritable dimension
humaniste, et pas plus que d’autres à son époque, diront certains ; je
veux bien, mais certainement pas moins non plus, en tout cas –, il fonde en
1894 le Comité International Olympique (CIO), puis un Comité Olympique Français
(COF). La fusion de ce dernier, en 1972, avec le Comité National des Sports
(CNS) donne naissance à la fine équipe que nous connaissons encore aujourd’hui :
le Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF, c’est presque aussi
joli que EELV, comme sigle), association loi 1901 reconnue d’utilité publique.
Je vous vois déjà vous interroger : mais quel est le rapport
entre ces deux histoires ? Mais si, regardez : Concert de la Loge Olympique d’un côté, Comité National Olympique de l’autre – y a comme un
lien. Et le problème, c’est que le petit nouveau, à savoir le CNOSF, n’est pas
très beau joueur, et ne supporte pas que d’autres utilisent l’adjectif « olympique ».
Pour le fair-play et l’esprit d’amitié et de compréhension mutuelle, on
repassera : ce n’est pas le respect de leur propre charte qui les étouffe.
À ce stade, toute personne à peu près saine d’esprit et normalement
constituée ne peut qu’ouvrir des yeux grands comme des soucoupes, voire comme
des assiettes à soupe. Comment diable une association loi 1901 née entre 1894
et 1972 pourrait-elle revendiquer la propriété, intellectuelle ou autre, d’un adjectif
dont l’origine remonte à quelques millénaires, quand les Grecs (eh oui, il
faudrait peut-être qu’un prof d’histoire leur rappelât que ce n’est pas de
Coubertin qui a eu cette idée tout seul) instaurèrent des jeux panhelléniques
en l’honneur de Zeus olympien ?
Élargissons la question : comment qui que ce soit
pourrait-il légitimement prétendre à la possession d’un mot ? Comment le vocabulaire pourrait-il n’être pas libre de
droits ? Et pourtant, le CNOSF semble en passe de gagner le bras de fer :
devant ses menaces de procès, le Concert de la Loge Olympique a commencé à
plier et a supprimé la dernière partie de son nom sur son site Internet et ses documents
officiels.
L’affaire pourrait sembler sans grande importance ;
elle est, au contraire, d’une extrême gravité. Elle s’inscrit dans une longue
série de tentatives de privatisation de choses qui ne devraient l’être en aucun
cas par des entreprises, des lobbies, des puissances financières et des intérêts
privés. Ainsi, en plus des mots, slogans ou expressions tout à fait communs (on
se souvient de la tentative de Nabila de faire breveter son fameux « non
mais allô quoi ! »), de plus en plus d’entreprises essayent de nos
jours de faire breveter la couleur principale de leur logo, ou certaines formes
pourtant très générales.
Il faut bien mesurer la portée de ces tentatives : si
elles venaient à aboutir, plus personne ne pourrait, par exemple, faire un
usage public de certaines couleurs (!!!) sans verser des droits aux entreprises
concernées. C’est inacceptable, parce que c’est faire primer un intérêt économique
privé sur une liberté fondamentale infiniment plus précieuse.
Or, c’est loin d’être improbable. Que les entreprises, et même
certaines associations qui ne leur ressemblent que trop, cherchent à se
goinfrer le plus possible, à presser le citron jusqu’à sa dernière goutte et à
s’en mettre le plus possible plein les fouilles, même au détriment des autres,
de la culture ou de l’intérêt général, on ne peut pas le leur reprocher. C’est
de bonne guerre, c’est dans leur nature, ils sont faits comme ça. Mais ce qui
est inquiétant, c’est que la loi et la justice leur donnent bien souvent
raison.
Alors concrètement, que pouvons-nous faire ? Pas grand-chose,
je vous l’accorde : les intérêts privés et les entreprises en question
sont puissants et ne se laisseront pas déposséder d’une occasion supplémentaire
de s’enrichir sans combattre. Mais il y a quand même deux ou trois actions à
mener.
D’abord, ne pas se laisser faire. Utiliser le mot « olympique »,
et plus généralement tout ce qu’ils cherchent à breveter ou à privatiser. Ils
peuvent faire un procès à un groupe ou à un individu, mais si nous sommes mille
à créer des « blogs olympiques », des « sites olympiques »
etc., ils auront vite du mal à suivre.
Vous pouvez également soutenir ceux qui ne se laissent pas
faire. Le Concert de la Loge Olympique a lancé pour l’occasion le site Internet
« Sauvez la Loge » qui propose plusieurs actions, dont une pétition à signer sur Change.org.
Ensuite, vous pouvez écrire aux intérêts économiques agresseurs.
Là encore, si nous sommes mille à envoyer un courrier au CNOSF pour lui dire
notre façon de penser, ça les fera peut-être réfléchir. Non pas que nous soyons
à même de les convaincre ; mais de nos jours, les gens sont très
préoccupés de leur image publique, et cherchent autant que possible à ce qu’on
ne voit pas qu’ils sont des salauds. Pris sur le fait, ils reculent parfois
pour nous faire croire qu’ils n’en sont pas. À toutes fins utiles, voici l’adresse :
CNSOF
Maison du sport français
1, avenue Pierre de
Coubertin
75 640 Paris
Cedex 13
Ils sont aussi joignables par un formulaire en ligne.
Enfin, pour avancer un peu sur le fond, ou éviter d’y
reculer, vous pouvez aussi écrire aux responsables politiques : votre
député en premier lieu, mais aussi votre sénateur, le ministre de la Culture,
le ministre des Sports etc. Là encore, pensez que dans la société du spectacle
qui est la nôtre, seules comptent les apparences : beaucoup de voix qui
crient la même chose peuvent faire reculer les puissants quand ils ont peur
pour leur image de marque et pour peu que l’os qu’on cherche à leur retirer ne
soit pas trop alléchant.
Tout cela est un peu long, bien sûr. Mais vous pouvez
rédiger une lettre à peu près identique à envoyer à tous ces personnages en même
temps. Ce ne sera pas du temps perdu s’ils se rendent compte que nous ne les
laisserons pas privatiser tout et n’importe quoi sans réagir. Inversement, si
nous ne prenons pas ce temps aujourd’hui, nous pourrions avoir à le regretter
demain.
Bonjour Meneldil, ce texte résonne en moi, qui suis en Grèce au coeur de la civilisation antique...J'ai signé la pétition. Vos/tes textes sont toujours très clairs et instructifs. Merci. ( je ne mets pas ce commentaire sur FB, je ne retrouve plus la publication).
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