Dans That Hideous
Strength, troisième et dernier volet de sa Trilogie cosmique, C.S. Lewis, auteur des Chroniques de Narnia et grand ami de J.R.R. Tolkien, avait imaginé
un laboratoire monstrueux au cœur duquel des scientifiques maintenaient en vie
la tête coupée d’un homme guillotiné afin qu’elle pût être possédée et animée
par une force démoniaque.
Plus près de nous, la série télévisée Dollhouse imaginait un autre merveilleux progrès : la
possibilité de traiter le cerveau humain comme un simple disque dur, par
exemple pour le vider des données qu’il contient et les remplacer par d’autres,
extraites d’un autre cerveau : un moyen comme un autre de devenir immortel,
et en plus en ayant le choix du corps dans lequel on va poursuivre l’existence
(viens là, Taylor). Jusqu’à ce qu’à son tour, il se dégrade, nous forçant à en
choisir un autre et à prendre possession de son cerveau. Réjouissante
perspective, non ?
Une fois de plus, la réalité de la civilisation
techno-industrielle rattrape peu à peu la fiction. Après de nombreuses
expériences réussies sur des souris, une équipe de chercheurs chinois a réussi
à greffer la tête d’un singe sur le corps d’un autre – il serait d’ailleurs
plus rigoureux de dire que c’est le corps qui a été greffé sur la tête, non
l’inverse. Les auteurs affirment tenir la preuve que ce type de transplantation
est « prêt pour les humains ». Miam.
Évidemment, tout n’est pas parfaitement au point. Le singe
greffé a été maintenu en vie pendant vingt heures – on est encore loin de
l’immortalité. Mais personne ne peut sérieusement nier que les progrès seront
rapides. On peut imaginer que, d’ici quelques décennies au plus, la greffe
tiendra sans limitation de durée. Les expériences sur les cadavres humains ont
d’ailleurs déjà commencé, toujours en Chine – on ne soulignera jamais assez les
avantages d’une bonne vieille dictature communiste pour le progrès scientifique
et technique.
Sergio Canavero, un des membres de cette fine équipe, estime
qu’il s’agit d’une « vraie victoire pour l’humanité ». Il pense, par
exemple, à refaire marcher les tétraplégiques. Sans nier ce genre d’intérêts éventuels,
j’avoue être beaucoup plus sceptique. Bien sûr, ça n’offre pas la solution de l’immortalité :
la greffe de corps n’empêchera pas le vieillissement du cerveau, et donc, à
terme, la mort. Mais ça offre tout de même des solutions de survie dans tout un
tas de situations : cancer sans métastase au cerveau, problèmes cardiaques,
dysfonctionnements divers… Or, qui pourra servir de donneur ? Peu de gens :
il faudra des gens en état de mort cérébrale, mais dont le corps est en parfait
état ; ce n’est pas si commun.
Autrement dit, la demande excédera immédiatement l’offre, et
de très loin. Dans ces conditions, comment imaginer que les riches, les
politiciens, les élites, voire les chercheurs, bref tous ceux qui auront les
moyens économiques, politiques ou techniques de profiter de cette chance, ne
céderont pas à la tentation ? Comment garantir qu’on n’ira pas de servir dans
les prisons, dans les bidonvilles ou chez les marginaux ? Voire que des
gens ne seront pas spécialement élevés pour servir de donneurs, façon Auprès de moi toujours ?
Les problèmes éthiques couramment envisagés à propos de ce
genre d’expériences biotechnologiques sont donc bien plus importants que les
simples questions usuelles (« Quelle est l’identité de la personne qui a
sa tête mais le corps d’un autre ? » ; « Dans quelles
conditions a-t-on le droit de disposer d’un corps cliniquement mort ? »
etc.) : une fois de plus, la puissance technique de l’humanité dépasse, et
de plus en plus loin, son niveau d’avancement moral et spirituel.
Ça n’augure rien de bon, vous pouvez m’en croire.
Décidément, la belle humeur dans laquelle Sarko m’avait mis n’aura pas duré longtemps.
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