vendredi 14 septembre 2012

Non négociable

Le Brésil discute actuellement de la légalisation de l’avortement ; selon l’agence de presse (très) favorable au Vatican ZENIT, ce projet « inquiète la communauté catholique du pays ». Comme d’habitude dans ce genre d’affaires, je ne suis pas bien certain que ZENIT se soit vraiment soucié de consulter ladite « communauté catholique » avant de se prononcer aussi formellement, ni que tous les catholiques du pays soient si inquiets que ça, mais passons : ce genre de manipulation et de récupération est devenu extrêmement courant et je sens qu’il vaut mieux s’y habituer ; dans les années à venir, de nombreux catholiques apprendront ainsi par certains médias qu’ils « s’inquiètent » de discussions sur le mariage homosexuel, l’avortement, l’euthanasie etc. Peut-être même leur apprendra-t-on qu’ils sont carrément hostiles à tout cela.

Toujours est-il que ZENIT a profité de l’occasion pour donner la parole au père Paulo Ricardo Avezedo Jr., de l’archidiocèse de Cuiabá, apparemment célèbre pour ses prédications. Et on se retrouve avec un discours qui, lui aussi, devient habituel : l’Église « n’a pas de candidats à elle », mais tout de même, elle « oriente les fidèles à choisir les candidats qui œuvrent au bien commun ». Et pour définir le « bien commun » en question, notre brave père Avezedo nous récite, au cas où on les aurait oubliées, les fameuses « valeurs non négociables » dont Benoît XVI parle à l’envi.

Pour mémoire, ces « valeurs non négociables » sont les enseignements de l’Église qui, sans relever de la Révélation ou du dépôt de la foi, n’en constitueraient pas moins des pierres d’achoppement sur lesquelles il ne serait pas possible de transiger. On nous les ressort donc à chaque élection, en nous rappelant bien qu’on vote pour qui on veut, mais qu’il y a des choses qui devraient empêcher un catholique de voter pour un candidat.

Or, ça vaut le coup d’y réfléchir : même si, en France, on vient de passer les élections les plus importantes, et que donc on a la paix pour quelque temps, mieux vaut se préparer assez tôt, pour ce genre de choses. Et puis l’avantage en démocratie, c’est que des élections, on s’en fait un peu tout le temps et pour n’importe quoi, si bien que les prochaines arriveront avant qu’on y prenne garde. Quelles sont-elles donc, ces valeurs dites non négociables ? Elles sont de trois ordres, que je laisse au père Avezedo le soin de développer :

« D’abord : le respect de la vie humaine, dès sa conception jusqu’à sa mort naturelle. Là entre toute la question de l’avortement, de l’euthanasie etc. Deuxièmement : la famille, fruit d’un mariage monogamique, unique, indissoluble, entre un homme et une femme. […] Et troisièmement : l’éducation des enfants, soit la liberté des parents d’éduquer leurs enfants sans interférences de l’Etat sur la nature des valeurs à leur transmettre. »

C’est tout ? Ah ! non ! c’est un peu court, jeune homme ! C’est ça qu’il faudrait considérer avant de glisser un bulletin dans l’urne ? L’humanité n’aurait pas à faire face à des problèmes un peu plus graves, un peu plus sérieux, un peu plus urgents que le mariage homosexuel ou la place de l’école privée ?

Rêvons un peu : si j’étais pape (qui sait ?), qu’est-ce que je déclarerais non négociable ? Selon quels critères demanderais-je à mes fidèles de déterminer leurs choix électoraux ? J’en prendrais trois, moi aussi (trois, ça fait toujours son petit effet).

1/ La défense de la vie humaine, ok. Mais d’une vie humaine bien entendue : c’est-à-dire en comprenant qu’elle ne commence pas forcément avec la pénétration d’un spermatozoïde dans un ovule ; et en admettant que tout le monde n’a pas forcément la même idée de ce qu’est une vie digne d’être vécue, et que donc chacun est libre de choisir sa mort, et peut, dans certains cas extrêmes, demander à cette fin l’aide de la société.

2/ La défense de la justice sociale : des aides aux plus fragiles et aux plus pauvres, des écarts de revenus pas démesurés, la construction d’un système qui broie moins les individus qu’il dirige. La lutte pour la tolérance et pour le respect de la différence, y compris sexuelle. La lutte aussi contre les abus du pouvoir, contre les dérives sécuritaires, contre le déni de certaines libertés fondamentales, contre la surveillance de la vie privée, contre la torture. Tout ça, ce sont des choses qui existent. C’est quand même curieux que le Vatican considère ça comme moins important, plus négociable que le mariage gay.

3/ La défense de la nature : l’exigence du respect envers toutes les formes de vie, non seulement parce qu’elles nous sont utiles, mais aussi pour leur valeur intrinsèque ; une action efficace en faveur de la protection des écosystèmes et des espèces menacés ; la lutte contre les modifications climatiques, contre les pollutions, contre la surpopulation humaine. Est-ce vraiment moins important que l’école privée ?

Allez Benoît, un bon mouvement : tu as encore un peu d’influence, et sans doute pas mal d’élections devant toi. Il est encore temps de redevenir à la fois crédible, audible, pertinent et utile.

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