Un petit sondage rigolo vient de sortir, et comme tous les
médias en font des gorges chaudes, vous en avez déjà entendu parler, à moins de
vivre dans une grotte (ou à Tol Ardor, mais comme Tol Ardor n’existe guère, ce
n’est guère probable). Je vous le rappelle en image, parce que je suis très à la mode, so 2003 :
Petite analyse rapide, en essayant d’éviter à la fois les conneries des macronistes (« Mais euh c’est débile ce sondage, Macron il peut pas se représenter, gnéeuh ! ») et celles de la gauche (« Oh alors là franchement les sondages mais c’est tellement pas fiable et puis alors quatre ans avant la présidentielle mais rien à foutre, gnéeuh ! »).
Le sondage confirme tout ce que j’écrivais juste après laprésidentielle de 2022 :
1. Les Français se regroupent autour de trois figures, ce qui confirme que le faux bipartisme gauche/droite laisse la place au réel tripartisme radicalisme de gauche / conservatisme de droite / radicalisme identitaire. On note au passage que ce n’est pas une affaire de personne : les sondés se focalisent sur les idées et redonnent leur confiance à ceux qui ne peuvent ou ne veulent se représenter (Mélenchon et Macron), ceux qui avaient fait confiance à Macron lui refont confiance et ne se laissent pas impressionner par la crise des retraites.
2. Les équilibres globaux restent assez proches de mai 2022. Le cas Jadot reste un peu compliqué : les gens qui votent pour lui sont-ils des conservateurs de droite qui ont lu son programme, favorable à la croissance et à l’industrie, ou bien des écologistes qui veulent changer le Système et qu’on pourrait classer à gauche ? Ils se partagent probablement à peu près également entre les deux pôles (c’est du doigt mouillé, mais bon, on ne va pas s’emmerder pour 5% des sondés). Ce qui donne 31 + 7 = 38% pour les radicaux identitaires, 23 + 3,5 + 2,5 = 29% pour les conservateurs centristo-de-droite, 18,5 + 2,5 + 4 = 25% pour la gauche radicale. En mai dernier, on avait 32 à 33% des Français sur les radicaux identitaires, 36 à 38% sur les centristo-de-droite, 25 à 26% pour la gauche radicale.
Il y a quand même des évolutions : la gauche radicale gagne 3-4 points de pourcentage, l’identitarisme radical (« l’extrême-droite ») gagne 5-6 points de pourcentage, les centristo-conservateurs perdent 3-4 points de pourcentage. Ce dont on tire les enseignements suivants :
1. Les partisans du Système sont de moins en moins nombreux, et perdent la majorité relative idéologique dont ils bénéficiaient il y a un an : ils sont à présent moins nombreux que les partisans d’un changement de Système dans le sens de l’identitarisme radical.
2. Les opposants au Système bénéficient inversement de cette dynamique et marquent des points, dans la gauche radicale comme dans l’identitarisme radical. Toutefois, ce dernier, qui était déjà plus fort il y a un an, creuse l’écart : il était de 6 à 8 points de pourcentage en mai dernier, il est à présent de 13 points de pourcentage – presque deux fois plus profond qu’avant.
Le bloc identitaire radical semble donc en position d’emporter le pouvoir de manière démocratique : sa prééminence idéologique lui permet d’espérer une première place au premier tour de la présidentielle, gage d’une bonne dynamique pour le second tour – ce qui est d’ailleurs confirmé par le reste du sondage, qui donne Marine Le Pen gagnante au second tour face à Macron avec 10 points de pourcentage d’écart (45-55).
Tout cela est encore accru par le risque d’émiettement des voix sur les autres blocs. Les centristo-droitards risquent de présenter au moins trois candidats : un issu des LR, un issu des résidus de « socialistes » de droite (Valls doit bien continuer à y penser, Cazeneuve aussi, et si ce n’est pas eux ce sera quelqu’un de l’écurie Delga, peut-être la pouliche en chef), et au moins un issu de la macronie (mais il n’est pas impossible que la guerre des diadoques mène à plus, et que les petits requins Darmanin, Le Maire, Philippe n’arrivent pas à se départager). Du côté de la gauche anti-Système, même topo, il est assez probable que malgré la NUPES, déjà à la peine après moins d’un an de vie, les écolos, les ex-socialos, les cocos et les insoumis n’aient toujours pas compris la leçon et aillent au front chacun pour sa gueule, ça en prend en tout cas bien le chemin.
Évidemment, ce risque existe aussi dans le bloc identitaire, et Marine Le Pen n’est pas à l’abri d’une seconde candidature Zemmour ; mais comme le sondage le montre, cela ne l’empêche même pas de ravir la première place dès le premier tour, et encore moins d’emporter le second.
Bien sûr, tout ça peut changer en quatre ans, et rien n’est joué. Beaucoup de choses peuvent arriver. Elle peut faire une grosse erreur, la gauche (la vraie) peut partir unie à la bataille derrière une figure à la fois radicale et rassembleuse, tout est possible. Je ne suis pas en train de dire que Marine Le Pen va gagner ; je dis seulement qu’elle a, probablement pour la première fois, de réelles chances de l’emporter pour de bon, et que ceux qui veulent l’empêcher feraient bien d’arrêter les bêtises.
Les bêtises, pour le bloc de la centro-droite conservatrice (qui va de Delga à Wauquiez, vous l’aurez compris), c’est donner l’impression au peuple qu’on se fout ouvertement de sa gueule et de son avis, et que content pas content, il se fera enculer à sec avec un peu de gravier pour faire joli. C’est l’arrogance des riches qui s’en mettent ouvertement plein les fouilles à l’heure où les pauvres sont de plus en plus pauvres et commencent à devoir voler dans les magasins pour bouffer à la fin du mois.
Les bêtises, pour le bloc de la gauche radicale (qui va de Batho à Arthaud, je sais, ça va vous sembler large), c’est donner l’impression au peuple que la joue de Mme Quatennens a plus d’importance que ses fins de mois, ou que le seul étalon qui permette de juger un homme politique, c’est ce qu’il a dit de Poutine il y a cinq ans. C’est la bêtise d’une élite intellectuelle qui fait de problématiques sociétales l’alpha et l’oméga de sa lutte à l’heure où les pauvres sont de plus en plus pauvres et commencent à devoir voler dans les magasins pour bouffer à la fin du mois.
Entendons-nous bien : je ne suis pas en train de dire que l’égalité hommes-femmes est sans importance, ni que je suis insensible au sort des Ukrainiens. Je ne dis pas non plus que les luttes sociétales sont sans valeur, « mariage homosexuel » reste, 10 ans après la loi, un des premiers tags du mur de mon blog. Seulement, quand on veut conquérir le pouvoir en démocratie (système politique dont je rappelle que je ne l’ai pas inventé et par lequel l’immense majorité de mes lecteurs continuent de jurer), il ne faut pas seulement se préoccuper de ce qui est bon ou moral, il faut se préoccuper de ce qui est populaire, de ce qui intéresse les gens.
Or, les gens s’en foutent, qu’un député reste député alors qu’il a giflé sa femme. Ils ont raison ou tort, je m’en moque pas mal, mais le fait est là, ils s’en foutent. Si c’était ça leur priorité, Sandrine Rousseau serait présidente, et elle n’a même pas réussi à se faire élire comme représentante par un parti dont Dieu sait pourtant qu’il est très largement composé de ladite élite intellectuelle et privilégiée qui met les luttes sociétales au centre de tout.
Tant que les droitaro-conservateurs enverront des flics et des fucks aux prolos, et tant que la gauche donnera le spectacle lamentable d’un crêpage de chignon généralisé pour savoir si Adrien Quatennens doit ou ne doit pas rester député, à l’heure où les classes moyennes redoutent de sombrer dans les classes populaires et les classes populaires dans la misère, le Rassemblement national continuera de monter et de creuser l’écart avec elle, lentement et sûrement, sans rien faire, sans rien dire. « À vrai dire, la route la plus sûre vers l’Enfer est la plus progressive – la pente peu inclinée, douce au pied, sans tournant brusque, sans borne, sans panneau indicateur. »