jeudi 6 janvier 2022

Les petits tyrans qui vous veulent du bien

Six mois depuis mon dernier billet. Six mois pendant lesquels le passe sanitaire s’est imposé dans le quotidien, et bien pire, dans les mentalités. Six mois que personne ne proteste, que Macron est en passe d’être réélu, ou remplacé par quelqu’un qui ne vaudra pas mieux du point de vue de la défense des libertés. Six mois que tout passe crème. Six mois que la logique se déroule, rouleau compresseur qu’on ne peut ni arrêter, ni ralentir. Ceux qui avaient des doutes sur le vaccin ont été des complotistes ; les vaccins ont des effets secondaires parfois graves, à tel point qu’on ne sait toujours pas si, à l’échelle individuelle, il est plus risqué pour un homme de 25 ans de se faire vacciner ou d’attraper la covid ? Pas grave, ce sont toujours des complotistes. Ceux qui affirmaient que le gouvernement ne s’arrêterait pas en chemin et mettrait en place des mesures toujours plus liberticides étaient aussi des complotistes. L’avenir leur a donné raison, l’exécutif impose tout ce qu’il avait promis de ne pas imposer ? Pas grave, ils sont toujours complotistes !

Six mois que je n’ai rien écrit sur ce blog, parce que j’ai de plus en plus l’impression que ça ne sert strictement à rien. C’est fatigant, d’être la voix qui crie dans le désert. Du coup, il est temps de tracer un petit bilan ; et puis, c’est la nouvelle année (l’heure est au bilan !). Quelles leçons tirer de la crise ?

La principale, c’est que l’attachement des gens à la liberté en général et particulièrement aux libertés fondamentales est encore bien plus fragile que je ne l’imaginais. Oh, je ne me faisais pas beaucoup d’illusions : ceux qui me connaissent ou qui me lisent régulièrement savent que le profond mépris de la plèbe pour les droits fondamentaux est le socle de mon opposition au système démocratique – opposition bien confortée par la période actuelle, du coup. J’avais bien vu que beaucoup étaient prêts à sacrifier leur liberté sur l’autel d’une prétendue sécurité face à l’ennemi désigné du terrorisme fondamentaliste. J’avais bien vu que beaucoup (quoique moins) étaient prêts à sacrifier leur liberté (et surtout celle des autres) sur l’autel de la lutte contre les inégalités, les discriminations, les dominations anciennes. Mais justement, à chaque fois, j’avais vu des gens, et pas les gens, cracher sur la liberté au nom de la sécurité, de l’identité ou de l’égalité. Dans beaucoup de médias, surtout ceux où on pense encore un peu, on pouvait entendre des gens qui défendaient les caméras de surveillance dans tous les jardins, la censure de Carmen ou le déboulonnage des statues de Victor Schœlcher ; mais à chaque fois, face à ces excités, d’autres, plus raisonnables, présentaient des arguments raisonnables en défense de la liberté.

Grâce à cela, je ne me sentais pas trop seul. Minoritaire, certes, et de plus en plus (je n’ignorais ni les sondages qui montrent que les 15-24 ans trouvent anormal de pouvoir critiquer la religion des autres, ni l’intrusion de plus en plus obscène de la vidéosurveillance) ; mais pas seul.

Ce qui me frappe, au contraire, dans la crise sanitaire, c’est ma solitude. L’immense majorité des médias, et plus encore des individus (ceux que je connais aussi bien que les grandes figures que j’écoute un peu régulièrement) ont un discours quasiment unanime. On n’entend plus qu’une voix ; argument qui m’a récemment été présenté par un partisan du passe sanitaire comme étant la preuve que j’avais tort, alors que rien que ça devrait mettre la puce à l’oreille de n’importe qui avec un peu d’esprit critique ! Les très rares opposants au passe sanitaire qu’on peut entendre sont soigneusement sélectionnés pour tenir les discours les plus débiles possibles, histoire que le bon peuple comprenne bien où sont le Bien et la Vérité.

Il y a donc, apparemment, une quasi-unanimité sur le sujet. Survolant un article du Monde ce matin (je sais, je sais, il m’arrive encore de parcourir ce qui est passé du statut de journal de référence à celui de Pravda centriste au service du gouvernement), je lisais que 70% des Français considèrent comme plus important de défendre la santé que la liberté, et que 90% approuvent la politique sanitaire de l’exécutif. Je ne sais ni d’où ils tirent ces chiffres, ni s’ils sont fiables, mais ils ne sont certainement pas invraisemblables, tant les gens semblent prêts à accepter tout et n’importe quoi. On pense aux Hommes protégés, de Robert Merle, roman d’anticipation dans lequel une maladie mortelle frappe exclusivement les hommes en âge de procréer. Seule protection : la castration, très rapidement acceptée par toute une partie des concernés, qui se mettent à arborer fièrement le « A » de « ablationniste ».

C’est d’autant plus terrible qu’une fois que le premier pas a été fait, il est bien difficile de ne pas dérouler toute la pelote. Hier, beaucoup parmi ma famille et mes amis trouvaient parfaitement normal d’instaurer des discriminations contre les non-vaccinés. « Ce sont des irresponsables », « s’ils ne veulent pas prendre de risques pour les autres, normal qu’ils en payent le prix », « ils sont potentiellement dangereux pour les autres, ils n’ont pas à entrer dans un cinéma, après tout on peut très bien vivre sans cinéma », et toute la litanie des propos nauséabonds du même tonneau. Aujourd’hui, où en est-on ? Des médecins proposent crânement, dans les colonnes du même torchon, de ne plus réanimer les non-vaccinés sauf s’ils l’ont explicitement demandé auparavant ; médecins et hommes politiques font la tournée des plateaux télé en expliquant que les soins liés à la covid ne devraient plus être remboursés pour les non-vaccinés, que le président de la République assume de vouloir « emmerder » (un de ses conseillers, plus tôt, assumait la stratégie de leur « pourrir la vie ») puisque après tout, « un irresponsable n’est plus un citoyen ».

« Un irresponsable n’est plus un citoyen. »

Il faut prendre le temps de mesurer la portée du propos, son ignominie, sa violence assumée, tout particulièrement dans la bouche de celui qui est censé être le président de tous les Français.

Mais comment ceux qui, hier, se disaient d’accord pour priver certains citoyens du droit d’accès à la culture, au théâtre et au cinéma, pourraient-ils renier cette phrase abjecte ? La logique est la même, elle est seulement poussée plus à fond, assumée davantage ; et les mêmes finiront peut-être par trouver normal que, comme en Chine, on soude la porte des familles confinées qui ont osé sortir de chez elles, ou qu’on refuse à une femme sur le point d’accoucher l’entrée à l’hôpital car son test PCR est périmé depuis quatre heures…

Ce qui est sinistre, c’est que cette logique est à l’œuvre depuis longtemps chez beaucoup. Un médecin me disait, bien avant la pandémie, qu’il était pour que ne rembourse qu’une seule fois à un fumeur le traitement de son cancer du poumon ; si, guéri, il se remettait à fumer, il estimait que la société n’avait pas à payer pour le soigner à nouveau. C’est évidemment ignorer complètement d’une part ce que sont les droits fondamentaux, qui sont par définition inconditionnels (la société pas ne soigne pas ses membres parce qu’ils sont responsables, elle les soigne, point final), et d’autre part la condition humaine dans son ensemble (car c’est faire fi des poids, voire des déterminismes, qui pèsent sur les choix humains) ; mais ce genre d’idées se répand dangereusement. Faudra-t-il demain ne pas rembourser les traitements cardiaques de ceux qui auront mangé trop gras ? Vérifier que quelqu’un avait bien mis une écharpe en hiver avant de lui rembourser le traitement de son angine[1] ? Les mêmes seraient-ils d’accord pour exclure de l’école les élèves qui, au bout de trois ans, ont fait preuve de leur incapacité à se mettre au travail ?

Même les réactions de certains opposants à Macron sont révélatrices. Ainsi, Éric Zemmour, interrogé sur cette phrase, estime que le président veut mettre la question de la crise sanitaire au centre de la présidentielle parce qu’il se sait soutenu par l’opinion, et exhorte ses soutiens à marteler le grand remplacement à la place. Pas un mot pour, précisément, critiquer la gestion catastrophique de la crise par l’exécutif ! Il y aurait un boulevard à emprunter pour retourner ce piège politique de Macron contre lui-même, et Zemmour n’y met pas un pied.

Ce sont cet oubli, cette méconnaissance, cette incompréhension complète des droits fondamentaux qui ont permis, depuis le début de la pandémie, aux mesures les plus liberticides d’être appliquées. Ce qui est affligeant, c’est l’efficacité de la propagande, y compris sur des esprits éclairés, éduqués, critiques. Il y a de quoi pleurer quand on voit des professeurs de philosophie ayant toujours voté à gauche et défendu les droits de l’homme accepter sans broncher l’assignation à résidence d’un dixième de la population française au motif de son statut vaccinal.

Ces mesures liberticides sont donc populaires ; et elles le sont d’autant plus qu’elles flattent les penchants de contrôle et de domination de toute une partie d’esprits pervers et tordus. J’avais déjà remarqué la jouissance de certains, agents de sécurité par exemple, à faire entrer les uns et pas les autres dans un magasin au motif que le quota était atteint, ou à vous faire remettre votre masque sur votre nez. Aujourd’hui, j’ai rencontré une dame encore plus avide de faire obéir les autres et de vivre dans une société de bons petits soldats, puisqu’elle voulait absolument que je misse le masque du côté bleu (ou blanc, j’ai oublié, mais à elle ça lui semblait visiblement très important). C’était essentiel, disait-elle, pour que je sois « bien protégé ». Je ne pense pas qu’objectivement le masque vous protège mieux d’un côté que de l’autre, et je crois surtout qu’elle aurait été bien en peine de me le démontrer, mais elle y tenait, et était manifestement très embêtée par mon refus et ma claire insouciance de la couleur dont on voyait mon masque.

De la même manière, je vois des gens se réjouir de l’interdiction de manger et de boire dans les transports en commun, y compris longue distance, ce qui va faire que des enfants n’auront plus le droit de prendre un peu d’eau dans un Paris-Toulouse de plus de cinq heures en train, au motif que « c’était le prétexte qu’avaient trouvé les anti-masque pour ne pas le mettre » ; et je me dis qu’il faut vraiment avoir accumulé pas mal de frustrations et de rancœurs dans sa vie pour avoir, des mois durant, rongé son frein et ragé intérieurement en voyant tous ces salauds manger et boire un peu tranquillement, pour finir par exulter quand on leur en retire le droit.

Il n’y a que la psychiatrie pour expliquer cela, bien sûr : à l’évidence, tout un tas de gens à l’existence sans doute très triste, très étriquée et à vrai dire assez merdique éprouve une véritable jouissance à exister enfin à travers la loi qu’ils font appliquer. Lacan avait d’ailleurs un terme pour ce genre de personnages ; il les appelait des « jouit-la-loi ».

Je ne vous cache pas que face à cette moutonnerie généralisée, mon désir immédiat est de me retirer du monde et de ne plus bouger. C’est d’ailleurs une des raisons de mon silence sur ce blog : sur ce sujet essentiel, j’ai l’impression que le débat est vain, que ceux qui ont été matraqués (et convaincus) par la propagande sont irrécupérables, qu’ils ont été rendus réellement stupides (au sens étymologique d’être étourdi, immobilisé, engourdi par un coup) et que la discussion ne peut plus mener à rien.

Alors d’accord, si je réécris après six mois, c’est que j’ai encore un peu d’espoir. Mais ne vous y fiez pas trop.
 


[1] En 1963, le roman 37° centigrades imaginait précisément une dictature sanitaire dans laquelle la couverture médicale était conditionnée à un contrôle permanent des individus par l’État. Comme quoi ce qui était dystopie il y a 60 ans est proposé très sérieusement par des intellectuels, des politiciens, des médecins. Ça aussi, ça devrait donner à réfléchir à ceux qui n’ont pas jeté leur cerveau.

2 commentaires:

  1. J'aurai pu écrire l'intégralité de ce billet si jamais ça vous aide à vous sentir moins seul.
    J'ai abdiqué cet été tant ma santé mentale en a pris un coup... Plus de réseau, plus d'info... Je viens d'ailleurs de désinstaller FB où je vous commente parfois. Je suis lasse d'être modérée sous les articles de presse régionale. Trop de temps perdu pour un peuple qui n'a finalement que ce qu'il mérite. Je pense souvent aux frère Karamazov et au grand inquisiteur. Tout cela est vain.
    J'ai surtout pris conscience de mon impuissance. Et j'ai appris à recentrer mes exigences sur des choses plus triviales : un bon repas avec les quelques amis qui partagent encore nos convictions, la joie de regarder mes garçons grandir en tentant de les préserver un peu...
    Tant pis pour le monde, je dois bien me rendre à l'évidence, nous sommes minoritaires et ça risque même de devenir dangereux.
    Du reste il faut avouer aussi que la polarisation du débat n'est pas seulement due aux médias, mais aussi à la bêtise humaine. Ici lorsque j'exposais mon point de vu il y a qlqs mois ; impossible de me faire comprendre. Les vaccinés ne comprenaient pas que je n'adhère pas au passe et les non vaccinés m'invectivaient car c'était à cause de moi si les provax gagnaient... Impossible de discuter c'était toujours les émotions qui reprenaient le dessus...

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    1. Merci Constance ! Ça fait du bien de lire ça. Et j'avoue que j'ai aussi tendance à me couper du monde et à me recentrer exactement sur les mêmes bonheurs.

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