dimanche 29 août 2021

Passe sanitaire : pourquoi c’est toujours non

J’ai longuement hésité à écrire cet article, tant le combat semble perdu d’avance. J’écris pourtant, parce que je suis terrifié. Littéralement, vraiment terrifié, terrorisé. J’ai longtemps considéré que les deux grands problèmes de notre temps étaient la crise écologique et les inégalités. Il y en a en réalité trois : l’anéantissement des libertés fondamentales en est un autre. Et ce qui est littéralement épouvantable quant à cette troisième tragédie, c’est que, et je l’avais déjà remarqué ici, beaucoup de gens ne voient même plus le problème. Des gens qui ont toujours été critiques à l’égard du gouvernement, des médias et des entreprises avalent ce qu’on leur dit sans même plus se demander si quelque chose pourrait être faux. Des gens qui ont toujours combattu les mesures liberticides quand elles avaient le terrorisme pour motif en valident de bien pires dès lors qu’elles sont appliquées au nom de la crise sanitaire.

Les opposants au passe sanitaire ne se sont jusqu’ici pas illustrés par la clarté de leur raisonnement ; ça n’aide pas. Mais le premier problème, c’est la confusion volontairement entretenue par le gouvernement entre la question du vaccin et celle du passe sanitaire ; voilà le panneau dans lequel tout le monde a donné tête baissée. Or, les deux sujets n’ont en réalité à peu près rien à voir ; il est donc essentiel de les distinguer clairement.

Le vaccin, tout d’abord.

Commençons par lui, c’est le moins grave et le plus simple. Je l’ai déjà dit, je ne suis pas en soi contre l’obligation vaccinale, je soutiens par exemple le caractère obligatoire de onze vaccins aujourd’hui en France. Concernant les vaccins contre la covid, leur caractère obligatoire ne me gênera pas dès lors que nous aurons le recul suffisant pour évaluer leurs effets secondaires.

On me dit : « mais le recul, nous l’avons ! Des centaines de millions de personnes ont déjà été vaccinées. » C’est ne rien comprendre à la notion de « recul », qui ne peut en aucun cas se limiter à l’observation d’un grand nombre de cas (même si c’est très important) : il est évident que le concept de « recul » implique aussi un recul dans le temps. Si un produit a un effet uniquement au bout de cinq ans, vous pouvez bien l’injecter à toute l’humanité, vous ne verrez aucun effet avant cinq ans. Une obligation vaccinale, pour être moralement acceptable, implique donc un recul temporel raisonnable. La question est évidemment celle de la définition de ce « raisonnable » ; et c’est un détail qui ne peut être déterminé qu’avec des connaissances que je n’ai pas. Trois ans ? Cinq ans ? Dix ans ? Je ne sais pas, et ça n’a pas grande importance : ce qui est certain, c’est que les premiers vaccins contre la covid ont été développés au printemps 2020, et que quinze ou dix-huit mois ne sont certainement pas suffisants.

Par ailleurs, je reconnais parfaitement que la vaccination, même en l’état actuel des connaissances, est bénéfique à l’échelle sociale et collective. Concrètement, ça signifie que, quel que soit le danger réel des vaccins, la vaccination massive est évidemment efficace pour freiner la diffusion du virus, et donc pour faire baisser le nombre global de morts. Et ce serait vrai même si le vaccin faisait des morts par milliers ! La covid a fait, en moins de deux ans, plus de 110 000 morts en France. Même si on tient compte du fait que toutes les épidémies commencent par tuer tous ceux qui sont fragiles face au microbe pour diminuer ensuite en intensité, il est évident que les vaccins pourraient bien faire 5 ou 10 000 morts en France : socialement, ça serait bénéfique pour éviter 50 à 100 000 morts de plus.

Seulement voilà, ce qui est vrai à l’échelle collective n’est pas forcément vrai à l’échelle individuelle. À l’échelle d’un individu, le calcul des risques est très différent, puisque le risque n’a rien à voir en fonction de l’âge, du poids et de l’état de santé général de la personne. La propagande martèle que le risque de mourir d’un vaccin est infime. Mais quelle importance, si le risque de mourir de la maladie pour une personne particulière est plus faible encore ? Pour savoir ce qu’un individu a intérêt à faire de manière égoïste, il faut comparer les risques que lui font courir un vaccin à lui et ceux que lui font courir la covid à lui.

Or, ça n’a rien de simple. Évidemment, une personne de 70 ans en surpoids a tout intérêt à se faire vacciner, puisque ses chances de mourir de la covid s’il l’attrape sont élevées. Mais est-ce encore vrai pour un homme sportif de 40 ans ? Pour un homme peu sportif de 25 ans ? Le seul moyen de le savoir, ce serait qu’on publie les données de l’épidémie (nombre de cas et nombre de décès) en croisant ces différents facteurs, c’est-à-dire pour les hommes en surpoids de 12 à 25 ans, pour les hommes sans surpoids de 12 à 25 ans, pour les hommes en surpoids de 25 à 45 ans, etc. Or, tout ce que le gouvernement et les médias nous donnent jamais, c’est le nombre de morts par rapport au nombre de cas. Trop facile, messieurs ! Et j’irais même plus loin : étant donné que le gouvernement dispose de toutes les données nécessaires, aussi bien sur les morts liées à la vaccination que sur les morts liées à la maladie, je suis bien convaincu que si les hommes de 25 ans et en bonne santé avaient tellement plus de risques de mourir du virus que du vaccin, nos politiciens ne se seraient pas privés de mettre de tels chiffres en avant. C’est un fait qu’à l’heure actuelle, les données publiées par les autorités politiques et sanitaires ne permettent pas à un individu lambda de déterminer, en fonction de son âge, de son poids, de son sexe, de son état de santé, s’il court de plus de risque en se vaccinant ou en attrapant la maladie. Si l’on prétend que je me trompe, qu’on me donne ces chiffres et leur source !

Certains pourraient évidemment répondre que, même si effectivement un individu n’a pas les moyens de savoir égoïstement ce qui est le meilleur pour lui, comme il est établi que la vaccination massive est bonne pour la société, l’État est fondé à imposer le vaccin. À cela je réponds d’abord une chose : pourquoi pas. C’est pour cela qu’à mon avis, il y a une chose dont on peut éventuellement discuter, c’est l’obligation vaccinale. Ne vous faites pas d’illusion, je suis contre : à mon sens, l’État n’a pas moralement le droit de forcer les gens à toutes les générosités, en particulier quand il s’agit de risquer leur vie. Il y a, bien sûr, des cas où l’État est fondé à demander aux citoyens le sacrifice suprême : en cas de guerre, par exemple. Mais tout est question de proportionnalité : une valeur essentielle, un des éléments cardinaux de l’action de l’État, et une des choses que notre époque a le plus oublié. La France était en 1939 devant un danger qui justifiait de demander aux Français de risquer leur vie. À l’heure actuelle, le danger est-il tel ? Je ne crois pas. C’est pour cela que même l’obligation vaccinale me semblerait, en l’état actuel de nos connaissances, une mauvaise chose.

Une mauvaise chose, mais pas dramatiquement grave ; parce que tout ce qu’on risquerait, ce seraient des vies humaines. Nombreuses, certes ! Je ne prétends nier ni un danger, ni l’autre. À mon avis, on a les ingrédients d’un beau scandale sanitaire ; les entreprises qui produisent les vaccins l’ont bien compris, qui se sont couvertes par avance contre toute poursuite à leur encontre pour leurs potentiels effets secondaires. Mais un scandale sanitaire, ce n’est que ça : des vies humaines ; et pour cette raison, je serais un opposant à une éventuelle obligation vaccinale, mais je ne descendrais pas dans la rue pour ça. Je vous semble cynique ? Mais c’est que l’autre danger est infiniment plus grave.

L’autre danger, c’est celui du passe sanitaire.

Un sujet qu’il faut, je le répète, dissocier entièrement de celui du vaccin. Qu’est-ce que le passe sanitaire ? Un système dans lequel vos droits fondamentaux ne vous sont garantis qu’en fonction de votre état de santé : si vous êtes vaccinés ou pas malades, vos droits vous sont garantis, sinon ils sont suspendus. Car oui, aller au cinéma, au concert, au restaurant sont des droits fondamentaux, car la culture et le divertissement font intrinsèquement partie de toute vie humaine digne d’être vécue. Il s’agit donc d’une part de limiter les droits fondamentaux des individus, d’autre part d’instaurer une discrimination liée à l’état de santé d’une personne quant au respect de ces droits.

Commençons par reconnaître que de la même manière qu’en certains cas, l’État a le droit d’exiger des citoyens qu’ils risquent leur vie, il a aussi le droit, dans certains cas, de limiter ou de suspendre certaines libertés. Mais cela doit se faire à deux conditions sine qua non : d’une part, l’État doit faire tout ce qui est en son pouvoir pour que la suspension des libertés soit la plus courte possible ; d’autre part, ces restrictions doivent être strictement proportionnées à la menace et les plus faibles possibles.

La première condition est-elle respectée ? Je l’ai déjà dit ici : non ! Le gouvernement n’a rien fait pour régler le fond du problème. On nous a bassinés avec la courbe de saturation de l’hôpital, mais il nous faut marteler cette évidence sans relâche : s’il y avait plus de lits de réanimation, la barre de saturation de l’hôpital serait plus haut ; placée suffisamment en hauteur, aucune mesure restrictive des libertés n’aurait été nécessaire. Je veux bien entendre tous les arguments sur la brutalité et la violence de la crise, sur le fait que nous avons été pris par surprise et tutti quanti, mais le minimum aurait été que le gouvernement accroisse à partir du début de la crise les capacités d’accueil de l’hôpital : il a fait exactement le contraire. Comment accepter quelque mesure de restriction des libertés que ce soit de la part d’un gouvernement qui ne fait rien pour les faire cesser ?

La seconde condition est-elle respectée ? C’est là que ça se corse, et c’est là qu’à mon avis la comparaison avec la menace terroriste est importante. Je ne fais donc pas appel à ceux qui pensaient déjà que les mesures liberticides étaient justifiées pour lutter contre les attentats : eux sont perdus pour la cause et n’ont tout simplement pas le moindre attachement aux libertés formelles. Je fais appel aux autres, ceux qui luttaient au nom de la liberté quand l’État allait lire les mails des islamistes radicaux, mais qui ne bronchent pas quand on interdit à un non vacciné d’aller dans une grande surface ou un cinéma.

Mettons-nous bien d’accord : les mesures liberticides n’ont jamais été critiquées parce qu’elles n’étaient pas efficaces contre le terrorisme. Elles ont bel et bien évité des attentats, il n’y a pas à en douter ; elles étaient critiquées parce qu’elles n’étaient pas proportionnées à la menace. Actuellement, la menace est certes bien plus importante que pour le terrorisme ; mais aussi des mesures liberticides incroyablement pires que tout ce qui avait cours auparavant passent comme une lettre à la poste, et beaucoup ne se demandent même plus si elles sont proportionnées. Ils développent, selon les cas, deux arguments : le danger des non vaccinés, la générosité des vaccinés.

Pour que le premier argument soit valable, il faudrait que l’écart de danger entre un vacciné et un non vacciné soit suffisamment grand pour justifier une limitation des libertés aussi colossale que de ne plus avoir le droit d’aller dans un lieu de culture, de divertissement et dans certaines grandes surfaces. Est-ce le cas ? Le virus tue de moins en moins. Il suffit de regarder les courbes de Santé Publique France pour s’en rendre compte : la « vague » qui remonte depuis le mois de juillet est bien visible pour ce qui concerne le nombre de cas ; elle se voit beaucoup moins pour les hospitalisations ; elle est à peu près invisible sur les décès, d’autant plus qu’encore une fois, on se garde bien de nous dire combien parmi les morts avaient autour de 80 ans. Rien à voir donc avec les vagues précédentes, où les trois courbes se suivaient de beaucoup plus près. La règle de la proportionnalité entre danger réel et limitation des libertés est-elle respectée ? Au regard de ces chiffres, on peut difficilement le croire.

Le second argument est encore plus simple à abattre. Oui, c’est évident, il est généreux pour une personne jeune et en bonne santé de se faire vacciner, en risquant potentiellement sa vie, pour atteindre l’immunité collective et protéger les personnes fragiles. Et alors ? Depuis quand la générosité est-elle nécessaire pour faire valoir ses droits ? Eh ! messieurs les juges de vertu ! seriez-vous prêts à faire de même dans d’autres domaines ? Quelqu’un qui n’a pas de voiture, qui ne prend jamais l’avion, qui ne se chauffe pas l’hiver, et donc limite son impact écologique, accomplit envers la société un acte de générosité largement aussi important que celui qui se fait vacciner ! Que diriez-vous si l’on proposait que ceux qui prennent l’avion n’aient plus le droit, pour compenser leur égoïsme écologique, d’aller au restaurant ou au cinéma ?

De toute évidence, ce n’est pas une méthode moralement valable. Si on estime qu’une forme de solidarité ou d’altruisme – qu’il s’agisse de ne pas prendre l’avion, de partir à la guerre ou de se faire vacciner – est socialement indispensable, alors on l’impose, on la rend obligatoire ; mais on ne crée évidemment pas une société à deux vitesses et discriminatoire dans laquelle certains sont privés de leurs droits fondamentaux. Procéder ainsi, c’est oublier que les libertés qui sont piétinées par le gouvernement sont des libertés fondamentales, principielles, ce qui exclut qu’elles puissent être conditionnelles : je n’ai pas le droit d’aller au cinéma à condition de quelque chose, j’ai le droit d’aller au cinéma, point final. Je peux accepter que les cinémas soient temporairement fermés pour raisons sanitaires si le gouvernement fait tout pour que l’hôpital puisse faire face à une situation même exceptionnelle ; mais je ne peux en aucun cas accepter que les cinémas soient ouverts pour certains et fermés pour d’autres.

Voilà pourquoi les morts causés par une éventuelle obligation vaccinale seraient un bien moindre mal ; et voilà pourquoi le passe sanitaire est manifestement la pire des solutions : c’est pire que de rendre le vaccin obligatoire, mais c’est également pire que de ne rien faire du tout. Croire le contraire, c’est encore une fois tomber dans l’illusion que la crise sanitaire est l’alpha et l’oméga de notre vie et qu’il n’y a aucune autre dimension au problème que le nombre de morts causés par le coronavirus. Ne rien faire causerait des morts mais ne ferait pas avaler au peuple qu’on peut piétiner les libertés fondamentales. Le passe sanitaire limite peut-être le nombre de morts, mais au prix de l’acceptation par les masses de l’inacceptable. Ceux qui pensent que c’est mieux ont vraiment la vue courte.

C’est encore plus vrai du fait que nous sommes déjà dans un contexte général extraordinairement liberticide. En jouant sur la peur, tantôt du terrorisme, tantôt du coronavirus, les gouvernements du monde entier piétinent massivement les libertés fondamentales et surtout oublient toute proportionnalité entre les dangers réels qui nous menacent et le caractère liberticide des mesures à mettre en place pour nous en protéger depuis plus de vingt ans. Qu’elles soient liées aux attentats ou à la crise sanitaire, les mesures dites d’urgence ou d’exception passent ensuite massivement dans le droit commun et grignotent peu à peu l’État de droit.

Bilan général ? On a un virus de moins en moins dangereux, et des vaccins dont nous ne pouvons pas encore, faute de recul, évaluer la dangerosité, ni surtout comparer cette dangerosité à celle de la maladie pour chaque individu en fonction de son âge, de son poids et de sa santé. Face à cela, on met en place des mesures qui foulent au pied comme jamais en temps de paix les libertés et les droits les plus fondamentaux dans une très large indifférence. Ceux qui se battent sont conspués comme conspirationnistes, irresponsables, égoïstes.

Qu’est-ce qui peut expliquer ce consensus ? Qu’est-ce qui peut expliquer que des gens qui se sont toujours battus pour les libertés les oublient à ce point ? Je ne vois qu’une seule explication : une propagande étatique et médiatique inédite depuis 1945, et à laquelle même de vieux militants ont succombé pour la simple raison qu’eux-mêmes n’y étaient pas préparés. Et il est un fait que les principaux médias ont fait taire toute voix critique ou même nuancée : ne parlons même pas du Monde, qui a véritablement été la voix de son maître, mais même les grandes radios ou des émissions de télévision ordinairement critiques comme Quotidien n’ont plus porté qu’une seule parole. Si on excepte les sites et médias d’extrême-droite, il fallait, pour entendre la voix de la raison, de la mesure et de la liberté, aller chercher Reporterre ou La Décroissance. C’est bien, mais ça ne touche pas grand-monde.

Dans ce combat du pot de terre contre le pot de fer, quelle stratégie mettre en place ? D’abord, dire la vérité, et aller la chercher dans les détails. Ne pas se contenter des vagues moyennes, des chiffres généraux qui ne signifient rien, des courbes manipulées : traquer et démasquer leurs limites, leurs biais, leurs imprécisions, leurs lacunes – puisque nous avons affaire à de bons menteurs, qui savent très bien qu’il ne faut jamais mentir, seulement montrer de la vérité uniquement ce qui vous arrange.

Ensuite, et surtout, boycotter. Ne plus dépenser, autant que possible, le moindre euro dans des lieux où le passe sanitaire est exigé. Si ne serait-ce que 10 ou 20% de la population, y compris ceux qui, étant vaccinés, pourraient aller dans ces lieux, refusent de le faire, la perte en terme de chiffre d’affaire sera telle que les acteurs économiques seront les premiers à aller réclamer son abrogation. Nous n’avons pas les moyens d’employer la force ; le langage de l’argent est donc le seul qui nous reste pour nous faire entendre d’un tel gouvernement.

Une manifestation contre le passe sanitaire à Rennes le 21 août 2021
(Quentin Vernault / Hans Lucas)


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