dimanche 16 juin 2013

Théorie du genre : se battre c'est bien, contre de vrais ennemis c'est mieux

Pendant très longtemps, j’ai profondément respecté le militantisme, quelle que soit la cause défendue. Probablement en partie parce que je suis très militant moi-même, et surtout parce que je défends des idées généralement très mal vues, j’étais tolérant envers les autres « militants des mauvaises causes ». Même ceux avec lesquels je me sentais le moins de choses en commun, ceux de la droite radicale par exemple : à chaque fois que je voyais qu’ils se battaient par réelle conviction, qu’ils luttaient pour le bien commun et non pour défendre un intérêt particulier, je me disais que cela valait mieux que l’inaction apolitique (attitude la plus répandue de nos jours) ou la lutte égoïste pour la perpétuation de privilèges (seconde attitude la plus répandue). Eh bien les « manifs pour tous » ont réussi l’impossible : me faire douter de cet a priori favorable, de cette bienveillance instinctive.

Déjà, en voyant les opposants au mariage et à l’adoption pour les couples homosexuels, en voyant ces centaines de milliers de personnes dans les rues, je me disais que tout de même, toute cette énergie était bien mal employée. C’est le nombre qui m’a fait basculer : quelques dizaines de militants qui consacrent leur vie au but d’étriper les banquiers ou de chasser les étrangers de la mère patrie, ce n’est pas mon truc (encore que les premiers…), mais j’admire le dévouement à une cause, et je me dis que de toute manière, militeraient-ils ailleurs que ça ne changerait pas grand-chose.

Alors que contre la loi Taubira, pardon mais on ne jouait pas dans la même cour. Et c’est là qu’arrive l’irrépressible regret : sur tous ces manifestants, une très grande majorité étaient chrétiens ; honnêtement, si le Christ revenait aujourd’hui sur Terre, est-ce vraiment le mariage pour tous qui le scandaliserait le plus ? Franchement, qui peut croire que c’est le principal crime, ou même un des principaux crimes, que commet l’humanité en ce moment ? Qui peut croire que c’est l’urgence, la priorité ? Tout le monde connaît ma position, et je l’ai largement argumentée sur ce blog ; mais même si l’on n’est pas d’accord avec moi, même si l’on pense sincèrement que le mariage et l’adoption d’enfants par les couples homosexuels sont une mauvaise chose, comment peut-on croire que c’est plus grave que, mettons, la destruction de notre environnement, les inégalités entre les hommes, la crise économique, le délitement du lien social ?

Si tous les opposants à la loi Taubira avaient déployé la même énergie pour ces causes évidemment plus importantes, ils auraient davantage fait progresser les choses. Certaines associations, avec une cinquantaine de militants dévoués, verraient leur efficacité multipliée par cent. Si quelques dizaines de militants des JNR ne changeraient pas le cours des choses en militant ailleurs, ces centaines de milliers de personnes pourraient le faire, si elles plaçaient leur énergie au bon endroit.

Et maintenant, voilà qu’ils ont enfourché un nouveau cheval de bataille, aussi boiteux que le précédent : la lutte contre la « théorie du genre ». Si la chose était possible, je dirais que ce combat est encore plus stupide que le précédent. Encore, quand ils se battaient contre le mariage des couples homosexuels, ils se battaient contre quelque chose qui existait ; alors que là, même pas. Car la théorie du genre, ça n’existe pas. Il n’y a aucune « théorie du genre » cohérente et unifiée, comme il y a une théorie de l’évolution des espèces ou une théorie de la relativité générale. Il n’y a que des études de genre.

Bien sûr, ces études scientifiques, universitaires, ont quelques points communs. Mais pas ceux que leurs prêtent leurs adversaires, qui bien souvent n’en connaissent strictement rien. Par exemple, les études de genre ne nient pas la réalité biologique que constitue la différence des sexes, ou les éventuelles conséquences déterminées par cette réalité ; seule une infime minorité va dans ce sens.

Alors quoi ? À dire le vrai, il n’y a pas de quoi fouetter un chat : comme leur nom l’indique, ce qui unit les études de genre, c’est… d’étudier le genre, c’est-à-dire les différences socialement construites entre hommes et femmes. C’est ça, le « genre », ni plus, ni moins : ce qui, dans les différences entre hommes et femmes, entre masculin et féminin, relève non pas de la biologie mais de la société, non pas de l’inné mais de l’acquis, non pas du donné mais du construit. Honnêtement, qui peut prétendre que le genre n’existe pas ? Qui peut prétendre que tout, intégralement tout, dans les différences entre hommes et femmes, vient de la nature et de la biologie ? Que les hommes soient naturellement plus forts que les femmes, on peut encore l’admettre ; mais qu’ils soient naturellement plus enclins à des études scientifiques, quand les femmes pencheraient naturellement vers des études littéraires, ça non, ne serait-ce que pour une raison : c’est qu’il n’y a rien de moins naturel, à la base, que des études, qu’elles soient scientifiques ou littéraires…

Bref, prétendre que les différences entre hommes et femmes relèvent exclusivement de la nature et pas du tout de la société serait exactement aussi stupide que de prétendre qu’elles relèvent exclusivement de la société et pas du tout de la nature.

Bien sûr, j’ai conscience de prêcher dans le désert. Ils vont continuer à se battre, à manifester, à veiller, à prier pour rien. Pour certains, sur un simple malentendu, sur une incompréhension, parce qu’on leur aura bourré le mou sur quelque chose à quoi ils ne connaissent strictement rien et qu’ils sont prêts à saisir le premier drapeau qu’on leur présente, pourvu qu’il ressemble un peu à leur habit, et à foncer tête baissée avec. Pour d’autres, pour des motifs beaucoup moins nobles : parce qu’ils redoutent les conséquences prévisibles, et d’ailleurs déjà visibles, des études de genre.

Car elles ont, bien entendu, des conséquences concrètes : de la même manière que la biologie a largement contribué à discréditer le racisme, les études de genre sont en train de montrer que rien ne justifie les inégalités entre hommes et femmes, ou que l’homosexualité n’a rien d’anormal, etc. Pour tous les partisans du maintien des valeurs morales traditionnelles façon béton armé, les études de genre sont donc évidemment dangereuses.

Mais elles sont aussi, pour les mêmes, une aubaine. Avec la lutte contre le mariage pour tous, et malgré leurs dénégations, il y avait toujours un soupçon d’homophobie. Tandis que là, aucun problème ! On ne prétend  pas lutter contre des actes, des pratiques, encore moins contre des personnes ; on prétend lutter contre une « théorie » ; on se situe sur le plan des idées. Sans arrière-pensée, sans homophobie (puisqu’on vous le dit). La « théorie du genre » permet aussi de faire remonter une autre théorie, celle du complot : ses détracteurs ne perdent jamais de temps pour vous dire qu’on en veut à vos enfants, à qui on va apprendre à vouloir changer de sexe, ou qu’ils n’ont pas de sexe (on ne sait pas tellement), voire qu’on va pouvoir violer légalement, puisque John Money, bien sûr (alors que ce monsieur n’est pas du tout l’inventeur du concept de genre, même s’il l’a utilisé). Et que donc finalement, il est clair que la théorie du genre, c’est le nouveau totalitarisme. Et voilà comment de vrais conservateurs, voire de vrais réactionnaires, entraînent à leur suite des centaines de milliers de personnes qui ne sont pas plus mauvaises que d’autres, mais qui sont tout bêtement très mal informées.

On va donc en rester là : avec d’un côté des associations, des mouvements, des leaders sans partisans, ou avec trop peu de partisans, donc trop peu d’énergie ; et de l’autre, des troupes immenses, dont une grande part est de bonne volonté et pourrait rejoindre les premiers, si elle était un peu mieux informée. C’est la vie. Mais c’est triste.

Pour info, pour ceux qui aiment veiller, l’Association des Chrétiens pour l’Abolition de la Torture (ACAT) organise dans la nuit du 22 au 23 juin la 8e Nuit des Veilleurs contre la torture. Allez-y, veillez pour quelque chose qui en vaut la peine. Pour les cathos qui veulent s’engager, la Conférence Catholique des Baptisés Francophone (CCBF) promeut la prise de conscience, l’expression libre et l’action autonome des baptisés au sein de l’Église catholique romaine ; elle mérite votre soutient. Et plus généralement, pour tous ceux qui aiment militer, Tol Ardor recrute.

2 commentaires:

  1. Encore une fois, je suis entièrement d'accord avec vous.
    En tant que membre de l'Acat et "veilleuse Acat" , je me suis élevée dans un texte posté sur mon blog contre l'emploi de ce mot 'veilleurs' par ceux de la manif.
    ( je suis membre de la CCBF).

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  2. Bonjour Meneldil,
    Merci pour cette démystification. A noter : la parution d'une série d'articles par les chrétien-ne-s de FHEDLES et David et Jonathan sur le concept de genre envisagé de manière positive.
    C'est ici : http://fhedles.fr/affiche/notre-publication-le-genre-dans-tous-ses-etats-fhedles/
    Gonzague

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