mardi 28 août 2012

Roms : la gauche indigne

En écrivant ce post, je ne vais pas être original. Ce n’est pas le but. Mais parfois, il faut savoir répéter ce que tout le monde dit déjà (tout bon prof sait ça). Alors j’y vais : l’attitude du pouvoir en place, et qui se veut de gauche, vis-à-vis des Roms, est non seulement inacceptable : elle est indigne. Les démantèlements de camps se sont multipliés en août ; un de plus vient d’avoir lieu dans l’Essonne, sur les terres mêmes de Manuel Valls – tout un symbole.

Comme d’habitude, on se drape derrière la protection de celui qu’on maltraite. Les expulsions sont légitimes, a dit le premier ministre, si « elles interviennent en application d’une décision de justice ou pour mettre fin à une situation de danger ou de risque sanitaire ». C’est sur ces bases que se lance Francis Chouat, le nouveau maire socialiste d’Évry : pas de décision de justice, mais il parle de « conditions sanitaires déplorables », du « risque d’incendie » et du danger lié à la proximité du RER D.

Mais il développe et se trahit, et trahit ses collègues et ses supérieurs avec lui : « Je connais les conséquences, quand on laisse se développer ces campements trop longtemps. Ils deviennent de véritables bidonvilles, indignes de la population et des riverains, dans lesquels se développent toutes sortes de trafics, des actes de délinquance, et sans doute de la prostitution. Cela devient inextricable ». Petite analyse de texte : après les poncifs habituels que Brice Hortefeux n’aurait pas reniés (« on en accueille un, il en vient cent », ou « on leur donne l’aile, ils prennent la cuisse »), on commence par dire que les bidonvilles sont « indignes de la population » qui y réside, mais on ajoute qu’ils le sont aussi des « riverains » ; et on devine que c’est surtout là que le bât blesse. Car les riverains votent, contrairement aux Roms, et les riverains ont peur, peur de l’étranger, peur du nomade, peur du pauvre, bref peur de tout ce que sont les Roms. Et bien sûr, un petit amalgame ne faisant jamais de mal, les Roms sont, pour le maire, forcément à l’origine de « délinquance », « trafics » et « prostitution ». Ite, missa est !

Qui peut-on tromper avec cela ? La gauche a évidemment peur (elle aussi) d’être attaquée sur la question de sécurité. Les émeutes urbaines à Amiens n’ayant pas vraiment contribué à redorer son blason, elle saisit seulement une occasion de se montrer dure, intransigeante, inflexible ; sur le dos des faibles, de ceux qui ne peuvent pas se défendre. Première indignité, dans cet opportunisme sordide et cruel, dans cette hypocrisie et ces mensonges.

Et seconde indignité, dans les conditions de ces expulsions. Car bien sûr, personne ne veut vivre dans un bidonville. Mais qui veut vivre dans la rue ? Aujourd’hui, des familles sont sans lait, sans couches, sans médicaments pour leurs nourrissons. A ceux qui n’avaient rien, on a enlevé même ce qu’ils avaient. Pour leur proposer quoi ? La rue, ou d’être véhiculés d’hôtel en hôtel, puis rapidement abandonnés à leur sort, car les garanties offertes ne sont jamais bien longues. On détruit le lien social, entre les familles et avec les associations ; on remplace une misère par une misère pire, mais moins visible.

Mais traiter les symptômes ne fait pas disparaître le mal. Hergé, qu’on a pourtant tellement accusé de racisme, faisait dire au Romanichel Matéo, dans Les bijoux de la Castafiore : « Parce que monsieur se figure que cet endroit, c’est nous qui l’avons choisi ! Monsieur se figure que ça nous plaît de vivre parmi les ordures ! » Malheureusement, aujourd’hui, les quelques capitaines Haddock qui restent pour offrir la pâture de leur château comme lieu de campement sont eux-mêmes menacés par la justice ; face aux Roms, il n’y a plus que les Dupondt pour les soupçonner, et la gendarmerie de Moulinsart pour les expulser.

dimanche 26 août 2012

Le combat des chefs 2 : retour sur la droite

Ne boudons pas notre plaisir : après avoir vu les barons socialistes se déchirer pour prendre la tête de leur parti ou le représenter aux élections présidentielles, ça fait du bien de constater que la droite n’est pas épargnée par la guerre des égos. Oui, je le confesse, j’adore assister au match Copé/Fillon et voir qu’ils ne se ménagent guère, eux qui se gaussaient des petites piques, des petites phrases, voire des grosses insultes que se lançaient sans vergogne Hollande, Aubry et Royal.

Ils soulignaient l’immaturité politique, le narcissisme de leurs adversaires, et les voilà qui rejouent le même scénario. C’est d’autant plus comique qu’ils avaient raison, tout comme ont raison ceux qui aujourd’hui se moquent d’eux : une guerre des chefs est potentiellement ravageuse pour un mouvement ou un groupe. Pour peu qu’elle s’éternise, qu’aucun camp n’emporte rapidement une franche victoire, le royaume peut se trouver divisé contre lui-même et devoir en affronter les conséquences.

Il est donc normal que je ne sois pas le seul à sourire avec délectation. Le blog « L’humour de droite », pour ne citer que lui, s’en donne à cœur joie : « L’UMP doit choisir entre Jean-François Peste, alias le couillu, et François Choléra, alias le boiteux. Tension » ; « Robocopé vs. The Fion », etc. Et même si on ne peut pas dire que je sois franchement de gauche, je suis tout de même beaucoup plus de gauche que de droite, et ça fait du bien de voir que l’espoir a changé de camp (et le combat d’âme).

Le seul problème, c’est que ça risque bien de ne pas durer très longtemps. Alors que le PS a mis une bonne dizaine d’année à régler son petit souci de leadership, faisant traîner les choses avec gourmandise, organisant des rebondissements à chaque fois que la situation présentait un risque de résolution, comme s’il prenait plaisir à se vautrer dans la guerre civile et voulait à tout prix illustrer les théories psychanalytiques sur le masochisme et la jouissance de l’échec, l’UMP risque d’aller beaucoup plus vite en besogne.

En effet, au 25 novembre prochain, tout sera bouclé, le parti aura un nouveau président, et a priori, toute forme de lutte ouverte cessera. Oh, bien sûr, le perdant ne sera pas content. Pas content du tout même. Mais il y a fort à parier qu’il ne se rebiffera pas pour autant. Certes, ce sera plus dur si c’est Copé – question de caractère. Mais même si c’est lui qui finit par mordre la poussière, le plus probable est qu’il acceptera la défaite, et que même s’il ne l’accepte pas, il ne trouvera pas de supporters pour lui permettre de continuer le combat.

Pourquoi ? Parce que c’est une des caractéristiques de la droite – une de ses forces majeures : sa soumission au chef. Je sais, ça ne plaît pas au « peuple de gauche ». Mais il faut bien le reconnaître, ça marche. Regardez des gens comme de Villepin ou Dupont-Aignan, qui ont voulu jouer les trouble-fête en 2012 : ils étaient seuls. C’est également ce qui a plongé Bayrou dans le coma politique où il se trouve toujours : à partir du moment où il s’est clairement et définitivement rebellé contre l’autorité suprême à droite, à l’époque Nicolas Sarkozy, il a cessé d’être suivi. On pourrait également prendre l’exemple du flop de Bruno Mégret lorsqu’il a quitté le Front National, ou de ceux qui sont partis par la suite (Carl Lang, Bernard Anthony etc.).

Inversement, plus on va à gauche, plus la haine du chef est marquée, donc plus le leadership est compliqué et instable. J’ai déjà parlé des socialistes ; le reste est à l’avenant. Mélenchon a eu besoin de tout son charisme, de toute sa poigne, de toute sa fougue pour imposer sa domination sur le Front de Gauche. Et suite à ses échecs cette année, il n’est pas du tout certain qu’il le conserve longtemps ; qu’on se souvienne du précédent de Besancenot, qui s’est effondré après avoir un temps donné l’impression qu’il allait réussir à fédérer toute la gauche radicale. On peut également regarder le nombre de micro-partis qui composent la gauche radicale, et qui semblent faire le concours de celui qui aura le moins d’adhérents.

S’il fallait expliquer cette différence entre les deux camps, je dirais qu’à mon avis, cela vient du fait que la passion démocratique est la plupart du temps beaucoup plus forte à gauche qu’à droite, d’où un respect extrême pour les opinions minoritaires. A gauche, le moindre désaccord peut donner légitimement naissance à un courant dissident. Pour citer Terry Pratchett, « même les anarchistes révolutionnaires ont envie de stabilité ; ils disposent ainsi d’un instant de répit pour combattre leurs véritables ennemis, c’est-à-dire leurs supérieurs au conseil anarchiste révolutionnaire et les hérétiques dont la définition de l’anarchie révolutionnaire diffère de la leur d’une demi phrase au paragraphe 97 des statuts ». Plus on va vers la gauche, plus il se trouve des gens pour crier plus fort « A mort les chefs ! » dès qu’une tête dépasse.

Inversement, l’homme de droite a un respect inné, instinctif, bestial pour le chef, car il considère plus généralement que les divergences d’opinion ont une légitimité moindre que le respect à l’autorité. On peut penser que c’est une faiblesse, que ce manque d’esprit critique ne permet pas de lutter contre les mauvaises idées ; mais enfin, il permet quand même aussi de présenter la plupart du temps un front uni face aux adversaires, dans les moments difficiles comme dans l’exercice du pouvoir. C’est une des causes qui expliquent la domination très nette de la droite sur la Ve République ; car pour gagner une bataille, il faut des généraux, et qu’on leur obéisse.

Ceux qui, comme moi, se réjouissent de voir la droite affaiblie par ce combat des chefs, feraient donc bien de profiter intensément du spectacle : il aura toutes les marques d’un grand show, il sera sale, violent, dur, intense, mais il sera de courte durée. Dans ces conditions, une telle lutte peut être stimulante : elle force les membres du groupe à s’impliquer dans le projet collectif, elle ramène le parti sur le devant de la scène médiatique, sans pour autant nuire à son unité puisque le perdant fait sa soumission et que ses troupes restent au sein de l’ensemble. C’est ainsi que Marine Le Pen a véritablement pris son envol lors des élections internes au FN. Au début de l’année prochaine au plus tard, l’UMP sera en ordre de bataille. Elle aura son général, et elle frappera de nouveau, et dur.

samedi 18 août 2012

Difficulté de la miséricorde

Dans ma brève carrière d’enseignant, je n’ai eu pour l’instant que trois classes de 4e. Avec ces trois classes, j’ai traité, dans le cadre du programme d’éducation civique, le thème de la justice française. Naturellement, parler de l’organisation particulière d’un système judiciaire donné implique de parler de la justice en tant que valeur morale et en tant qu’idéal.

Cette partie du cours n’est pas neutre : la République française a sa vision de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas ; elle essaye (c’est de bonne guerre) de faire en sorte que ses citoyens partagent cette vision. De son côté, l’enseignant a aussi sa vision de ce qui est juste et de ce qui ne l’est pas. Sur ce thème, les deux visions, celle de la République et celle de l’enseignant, se recoupent assez largement d’ordinaire ; c’est souvent moins vrai en matière de politique et surtout d’économie. Mais elles ne se recoupent jamais parfaitement, et je crois profondément qu’aucun enseignant, si consciencieux soit-il, ne peut se targuer de laisser entièrement ses opinions personnelles à la porte de la salle de classe.

Enseigner la justice, ce n’est donc pas seulement faire comprendre aux élèves les rouages d’une institution ; c’est surtout leur inculquer les grands principes moraux qui fondent et guident cette institution. Ce n’est pas d’abord leur transmettre une connaissance ; c’est d’abord leur transmettre des valeurs, ce qui est infiniment plus difficile.

Quels sont ces principes ? L’indépendance du pouvoir politique et du pouvoir judiciaire ; l’égalité devant la justice ; l’État de droit ; la non rétroactivité de la loi ; la présomption d’innocence ; la garantie d’être jugé de manière publique et contradictoire devant un tribunal indépendant et impartial ; celle de bénéficier d’un avocat ; la protection des victimes comme des accusés.

A chaque fois que j’ai abordé cette question – en 4e mais aussi, en passant, dans d’autres classes, y compris au lycée – j’ai été frappé de voir à quel point ces principes étaient peu assimilés par les élèves. Non seulement ils ne leurs sont pas naturels, mais beaucoup les scandalisent. La protection des accusés, par exemple, ou l’idée que même le pire des criminels a droit à une défense et que la société doit la lui fournir s’il n’a pas les moyens de le faire, les choquent au plus haut degré ; et il est intéressant de noter que même ceux qui viennent de milieux aisés ou éduqués partagent, pour la plupart, cette révolte.

Face à ces réactions, je suis souvent très démuni. Je convaincs sans doute les plus doués d’entre mes futurs citoyens, ou une partie d’entre eux ; mais les autres restent, pour la plupart, et de manière tout à fait revendiquée, sur une vision de la justice qui s’approche plus, dans le meilleur des cas, de la loi du Talion, et dans le pire, de la vengeance. Même de longues discussions, avec la classe ou entre les élèves – car je n’hésite pas à passer là-dessus le temps qui me semble nécessaire –, ne parviennent généralement pas à bout de leurs réticences.

Pour moi, ce n’est guère une surprise. Bien sûr, je ne prétends pas qu’il n’est pas possible de faire mieux que moi. Je pense au contraire que de meilleurs pédagogues parviennent à des résultats moins décourageants. Mais je doute que même eux parviennent à faire adhérer à ces valeurs la majorité de leurs élèves. Je crains que l’homme, tel qu’il est dans le monde tel qu’il est, ne puisse pas facilement quitter une représentation dans laquelle la vengeance est justice.

En ce sens, ce qu’il se passe en ce moment en Belgique ne me surprend pas. Pour ceux qui ne suivraient pas l’actualité depuis leur plage ou leur chemin de montagne, un couvent de sœurs clarisses belge a accepté d’accueillir en son sein Michelle Martin, la complice du pédophile et tueur d’enfants Marc Dutroux. Cette femme, qui a elle-même laissé mourir de faim deux des enfants séquestrés, a accompli la moitié de sa peine de prison de 30 ans et a donc pu bénéficier d’une libération conditionnelle. Depuis, le couvent qui l’accueille – et qui, auparavant, lui avait rendu visite pendant onze ans – est au centre d’une intense polémique : les sœurs reçoivent des lettres d’insultes, le couvent est tagué, et les sœurs doivent accepter un dispositif de protection policière.

Bien sûr, ce qu’a fait Michelle Martin est atroce, et surtout irréparable. Rien n’effacera ni la mort des enfants, ni la douleur de leurs proches, que je ne peux qu’à peine imaginer. Et on ne peut que comprendre l’amertume de ceux qui voient libre celle qui leur a fait tant de mal.

Mais il est terrible de constater à quel point la justice, la vraie justice, n’est pas dans les cœurs. Car il est évident que justement, celui à qui on a fait tant de mal n’est pas capable de juger de manière impartiale et donc juste. Le désir que peut avoir le père d’une fillette assassinée de voir son meurtrier à jamais derrière les barreaux, ou même de le voir mort, n’est pas plus juste que le désir que peut avoir le meurtrier lui-même de ne subir aucune peine : parce qu’ils sont eux-mêmes personnellement impliqués dans l’affaire, ils ne peuvent en avoir une vision impartiale, ce qui est une des conditions de la justice.

Et s’il est normal de voir protester les proches des victimes, il est inquiétant de constater que tant de gens leur emboitent si facilement le pas, sans comprendre qu’enfermer éternellement quelqu’un, si horrible qu’aient été ses actes, peut être une nouvelle injustice qui ne changera rien à la précédente. Je ne peux que redire, avec la supérieure du couvent en question : « Nous avons la profonde conviction qu’enfermer définitivement le déviant dans son passé délictueux et l’acculer à la désespérance ne serait utile à personne et serait au contraire une marche en arrière pour notre société. »

Je sais bien que l’exigence chrétienne du pardon est inaudible pour la victime d’un si grand tort. Mais la justice n’est juste que si elle sait se teinter de miséricorde. Se tourner vers le criminel avec le même regard de pitié et d’amour qu’on porte sur sa victime est une des conditions de la vraie justice, qui ne saurait être aveugle, contrairement à ce que veut l’allégorie, et une des grandeurs du vrai christianisme. C’est un idéal moral difficile, mais c’est le chemin ardu de notre perfectionnement.

mercredi 15 août 2012

Prière mal placée contre laïcité mal comprise

Cette année, l’Église catholique a dû considérer qu’elle avait trop de fidèles. C’est vrai, c’est râlant : on compte sur l’effondrement de la pratique pour pouvoir enfin vendre les meubles aux amateurs d’art et faire des bâtiments quelque chose d’utile et de rentable, je ne sais pas, moi, des piscines, des garderies privées ou des supermarchés. Et au lieu de ça, il y a toujours une poignée de gêneurs qui continuent à pratiquer. Il fallait agir.

La Conférence des Évêques de France s’est donc dit qu’une petite pincée d’homophobie ne pouvait pas nuire. Et là, ha ha, occasion toute trouvée : le 15 août, bien sûr ! Car qui dit 15 août dit Marie ; qui dit Marie dit femme. Pour les évêques, c’est déjà suffisamment rare pour faire tilt. Et en plus, pour eux, qui dit femme dit famille, forcément. Et voilà donc notre brave Conférence, André Vingt-Trois en tête, « proposant » aux fidèles une prière universelle, disons, orientée.

Pour ceux qui ne pratiquent pas trop, la « prière universelle » est un moment de la messe durant lequel les fidèles prient pour des intentions préalablement préparées. En général, on prie pour les pauvres, pour les malades, pour les vieux etc. Si une occasion particulièrement sinistre se présente (tremblement de terre, épidémie de choléra…), on peut prier pour ses victimes ; ou, plus largement, on peut s’inspirer de l’actualité.

C’est ce qu’ont fait nos évêques. François Hollande et son gouvernement ayant confirmé leur intention de légaliser rapidement le mariage et l’adoption pour les couples homosexuels, André Vingt-Trois, cardinal archevêque de Paris, propose à toutes les paroisses de France une prière en quatre points, dont voici le dernier :

« Pour les enfants et les jeunes ; que tous nous aidions chacun à découvrir son propre chemin pour progresser vers le bonheur ; qu’ils cessent d’être les objets des désirs et des conflits des adultes pour bénéficier pleinement de l’amour d’un père et d’une mère. »

Bien sûr, rien n’est dit explicitement (ce n’est pas le genre de la maison), mais clic clic, suivez mon regard : les homosexuels sont des égoïstes qui ne pensent qu’à leurs désirs et oublient l’intérêt des enfants, qui doivent impérativement avoir un père et une mère.

C’est la première chose qui m’a énervé aujourd’hui : en agissant ainsi, les évêques français cherchent à récupérer les catholiques français et à les enrôler de force dans leur combat d’arrière-garde. Or, tous les catholiques ne sont pas d’accord avec leur hiérarchie sur ce point : selon une enquête IFOP parue justement ce 15 août, 45% des pratiquants (j’insiste) sont favorables au mariage gay et 36% à l’adoption pour les couples homosexuels. Je ne suis donc pas seul dans mon cas, loin de là : ce ne sont pas des proportions négligeables ! Ce billet n’est pas le lieu pour argumenter en faveur de ma position ; mais j’aimerais au moins que l’Église catholique, tout simplement, reconnaisse qu’il n’y a aucunement consensus en son sein sur ces sujets polémiques.

Les choses auraient pu s’arrêter là. Ça aurait été trop beau : un seul énervement dans la journée. Mais il y a eu autre chose.

Je viens en effet de découvrir dans Le Figaro (mais je plaide non coupable : le lien m’a été envoyé par un ami) une interview du cardinal Barbarin à propos de cette prière homophobe. Et les questions posées par le journaliste m’affligent autant que les réponses données par l’évêque, quoique dans un autre sens.

Ce journaliste remarque en effet : « certains qui ne partagent pas la culture ou la foi catholique peuvent considérer que cet acte ecclésial ne respecte pas la laïcité ». Et il en rajoute une couche : « l’heure est-elle si grave pour que l’Église ose ainsi manier publiquement deux sujets aussi délicats que sont prière et politique ? »

Alors ça, ça me fige. Si encore on était dans L’Humanité ou dans Siné Hebdo, on comprendrait que la rage antireligieuse vienne rapidement à bout de la raison. Mais si les journalistes du Figaro se mettent à avoir de la laïcité une vision aussi abominablement fausse, où va-t-on ?

Rappelons que la laïcité, c’est la neutralité de l’État envers les religions. Ça veut dire que l’État ne prend pas parti, ni pour, ni contre les croyances, ni entre les croyances. Mais justement, ça ne veut pas dire que l’État serait contre les religions, ou opposé à elles. Sinon, ce ne serait plus de la laïcité, puisque justement l’État prendrait parti. Ce serait de l’athéisme d’État. De même, la laïcité, ça ne signifie pas que la religion doive être cantonnée strictement à la sphère privée. Toutes les religions ont à la fois un aspect public, collectif, communautaire, et un aspect privé, individuel, personnel. La laïcité n’exige absolument pas de nier le premier.

Personnellement, je ne suis pas partisan de la laïcité. Je lui reconnais des mérites, mais je préfère de très loin le théisme d’État tel que Tol Ardor l’a théorisé. Cela dit, il est capital pour notre civilisation (et je pèse mes mots) que les tenants de la laïcité aient de ce concept une juste compréhension. Parce qu’au train où vont les choses, c’est un point bien plus fondamental qui est menacé : la liberté d’expression.

Eh oui. Je le rappelle, dans les Droits de l’Homme, il n’y a pas la laïcité ; d’ailleurs, beaucoup de pays ne sont pas laïcs et aucune liberté n’y est bafouée pour autant : le Royaume-Uni, l’Allemagne, l’Autriche, la Belgique, l’Irlande, le Canada, la Suisse, le Danemark, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Suède, la Grèce, Malte, j’en oublie sûrement et des meilleurs. En revanche, dans ces mêmes Droits de lHomme, il y a bel et bien la liberté d’expression. Or, nier à quelqu’un la possibilité de s’exprimer en public, sous quelque forme que ce soit, et sous un prétexte quelconque (par exemple parce qu’il est une autorité religieuse), c’est nier sa liberté d’expression.

Rien ne peut excuser cela. Rien ne peut atténuer la gravité d’une telle censure. Qu’un journaliste puisse s’étonner que quelqu’un fasse usage de sa liberté de parole, et insiste, le redise : non non, il devrait garder le silence ; il y a là quelque chose de paniquant. Entendons-nous bien : ce que disent les évêques me choque. Mais ce qui me choque, ce n’est pas qu’ils s’expriment sur un sujet politique ; cela, c’est leur droit le plus absolu. Ce qui me choque, c’est qu’ils soient homophobes. Et contre l’homophobie, le remède n’est certainement pas dans la censure : comme pour toutes les peurs, il est dans le débat. Je ne suis pas d’accord avec ce qu’ils disent, mais ils doivent garder le droit de le dire.

De telles demandes de censure, ou d’autocensure, on en observe de plus en plus. Elles émanent de journalistes, d’hommes politiques, mais aussi du commun des mortels. C’est une dérive grave, très grave, et très inquiétante, de la laïcité.

mardi 7 août 2012

Batman vote à droite

Les années n’ayant pas réussi à ternir le charme de Christian Bale aux yeux de ma femme, je suis allé voir The Dark Knight Rises. Bon, c’est vrai, moi aussi j’avais envie d’y aller. Peut-être pas pour la même raison qu’elle, mais quand même. Entre autres, j’avais envie de me faire mon idée sur une polémique de l’été (encore une) : est-ce un film néo-conservateur ?

J’ai ma réponse : c’est définitivement un film néo-conservateur. On m’avait prévenu. Pourtant, c’est toujours un choc de voir que le génie qui a réalisé Inception, ainsi que deux ou trois autres choses d’excellente facture comme Memento ou Le prestige, peut par ailleurs nourrir des idées, disons, douteuses. Il faut se faire à cette idée, je pense : un génie du cinéma n’est pas forcément un génie de la politique. Après tout, je ne suis pas un génie du cinéma.

Qu’est-ce qui fait de ce nouveau Batman un monsieur foncièrement de droite ? A peu près tout le scénario dans lequel il se vautre. En gros, pour ceux qui ne l’auraient pas vu, et sans rien gâcher du suspens, une bande d’affreux méchants dont la seule envie réelle est de détruire entièrement la bonne ville de Gotham et ses 12 ou 13 millions d’habitants déclenchent une révolution et font croire au peuple qu’ils lui rendent le pouvoir contre les élites.

S’ensuit une caricature assez grotesque qui mélange assez allègrement Révolution française et totalitarisme stalinien, dans laquelle les bons policiers de la ville sont tous enfermés dans les égouts tandis que les citoyens riches se font exécuter à tire-larigot à la suite de procès truqués, le tout sur fond de violences, de chaos et de drapeaux américains déchirés et mis en lambeaux (ouch). La caricature culmine dans une scène de bataille rangée entre la belle armée des policiers libérés de leurs égouts (mais qui ont miraculeusement trouvé le temps de repasser leur uniforme) et les voyous anarchistes qui forment les milices haineuses d’en face.

Le message est très clair : la révolution, c’est le mal. Il ne peut pas y en avoir de bonne, puisque ceux qui prétendent améliorer les conditions de vie du peuple ne peuvent être que des salauds dont le but réel est la destruction de la civilisation et non pas son perfectionnement (ceux qui les suivent ne pouvant donc être que des idiots utiles).

Évidemment, il n’est pas question de défendre ici tous les aspects de la Révolution française, encore moins du totalitarisme stalinien. Bien sûr que la Terreur de 1794 a été excessive. Bien sûr qu’un procès truqué n’est jamais une bonne chose. Bien sûr qu’il faut punir la violence dans la rue. Ce qui est assez infect, en revanche, c’est de faire de ces épisodes historiques des moments d’affrontement manichéen entre Bien et Mal en attribuant toute la valeur morale à un camp contre l’autre, alors que la réalité a évidemment été infiniment plus complexe et plus nuancée.

On me dira que Batman combat l’injustice ; mais ce n’est pas vrai. Batman combat les voleurs, les assassins, les corrompus ; bref, il combat les hors-la-loi. Mais ce n’est pas la même chose. Le combat contre l’injustice pourrait se réduire au combat contre les hors-la-loi si et seulement si la loi était parfaitement juste elle-même, ce qu’à l’évidence elle n’est pas. Le combat de Batman contre l’injustice sociale se résume donc à la charité : sa fondation aide les orphelins etc. Ce n’est bien entendu déjà pas si mal. Mais c’est très loin de faire de sa vie un combat contre l’injustice. Fondamentalement, Bruce Wayne est un conservateur : le monde dans lequel il vit lui va très bien et il n’a aucune intention de le transformer ; tout au plus, de le rendre un peu moins pire, mais sans toucher à sa structure.

Par ailleurs, et à part ce message peu sympathique, The Dark Knight Rises n’est pas un mauvais film. Il est même plutôt bon, sans pour autant être le film du mois. Mais surtout, il a un petit côté ardorien. Eh oui, c’est surprenant, n’est-ce pas ? Comment croire ça d’un film dont le héros ne semble pas être en mesure de se déplacer s’il n’est pas greffé sur une machine qui consomme probablement 80 litres de kérosène aux 100Km (quand elle reste au sol ; la version volante doit bien boire le triple) ?

Et pourtant. La bande d’affreux qui veut détruire la ville prévoit d’employer une bombe nucléaire créée par Bruce Wayne lui-même en tant que cœur d’un réacteur nucléaire parfaitement propre, sur fond de projet d’énergies renouvelables (oui, entre temps, le nucléaire est devenu propre et renouvelable). Pour soutenir la dictature qu’elle impose, elle utilise aussi l’arsenal de gadgets militaires également créés par la compagnie de Bruce Wayne.

Évidemment, dans le film, la ville s’en tire indemne à la fin ; mais dans la vraie vie, nous avons effectivement créé les techniques qui peuvent détruire la planète ou asservir les sociétés. Sauf que bien sûr, nous, nous n’avons pas de superhéros qui puisse annihiler leur pouvoir destructeur au dernier moment. Peut-être donc qu’on ferait bien de ne pas les créer du tout.

Vous voyez bien que c’est assez ardorien, comme réflexion.

samedi 4 août 2012

Serais-je un islamophobe contrarié ?

Dans son petit livre L’art d’avoir toujours raison (une lecture des plus utiles), Arthur Schopenhauer écrivait :

« Lorsque l’on est confronté à une assertion de l’adversaire, il y a une façon de l’écarter rapidement, ou du moins de jeter l’opprobre dessus, en la plaçant dans une catégorie généralement détestée, même si l’association n’est qu’apparente ou très ténue. Par exemple dire que c’est du manichéisme, […] ou de l’idéalisme, […] de l’athéisme, du rationalisme, du spiritualisme, du mysticisme, etc. Nous acceptons du coup deux choses :
1. Que l’assertion en question est apparentée ou contenue dans la catégorie citée […] ;
2. Que le système auquel on se réfère a déjà été complètement réfuté et ne contient pas un seul mot de vrai. »

Pour ceux que ça intéresse, il s’agit du Stratagème 32. Il est redoutable. C’est sans doute pourquoi il est fort employé de nos jours par des gens qui n’ont pas lu Schopenhauer mais qui semblent l’avoir dans le sang.

Et quand la « catégorie généralement détestée » n’existe pas encore, il suffit… de la créer ! C’est exactement ce qu’il est en train de se produire avec le concept « d’islamophobie ».

Qu’une islamophobie existe, je le crois. Mais encore faut-il s’entendre sur ce qu’on met derrière le terme. Pour moi, l’islamophobie ne peut être que le rejet, le mépris, la peur ou la haine des musulmans ou de l’islam dans sa généralité. Quelqu’un qui détesterait les musulmans en général et sans raison particulière serait évidemment islamophobe. De même, quelqu’un qui considérerait que l’islam est une religion intrinsèquement et fondamentalement mauvaise serait islamophobe, même s’il n’avait ni haine ni mépris pour les musulmans ; de la même manière qu’est homophobe quelqu’un qui considère l’homosexualité comme un mal ou comme une maladie mentale, et ce même s’il ne ressent aucun mépris mais seulement de la compassion pour les homosexuels.

Pour accepter cela, il faut évidemment comprendre que dans toute haine, dans tout rejet, dans tout mépris, il y a des degrés. Celui qui considère l’islam comme foncièrement pervers mais ressent de la compassion pour les musulmans est moins islamophobe que celui qui veut les mettre dans des camps (ou dans des chambres à gaz). Cela n’empêche pas qu’il est islamophobe quand même.

Bon bon bon. Ce petit point lexicographique étant clos, entré-je dans ladite catégorie ? Pour certains de mes amis, il semblerait que oui : je serais un islamophobe refoulé (et encore, à peine refoulé). Pourquoi ?

D’abord parce que j’accorde une pertinence aux termes « islam » ou « musulman ». Rien de bien grave, me direz-vous ? Que nenni ! Pour les inquisiteurs qui, infatigablement, traquent l’islamophobie sous ses formes les plus improbables, dire cela, c’est déjà tomber dans une pensée « dangereuse » (je cite Alain Gresch). Citant Edward Said, ce même Alain Gresch reprend : « Le terme islam définit une relativement petite proportion de ce qui se passe dans le monde musulman, qui compte un milliard d’individus, et comprend des dizaines de pays, de sociétés, de traditions, de langues et, bien sûr, un nombre infini d’expériences différentes. C’est tout simplement faux de tenter de réduire tout cela à quelque chose appelé islam ».

Ah ? Parce que le monde musulman compte un milliard d’individus et un nombre infini d’expérience, il faudrait « en finir avec l’adjectif musulman » ? Ce que Gresch ne semble pas comprendre, c’est que tout concept, toute notion, tout terme générique regroupe, par définition, des choses différentes. Quand on dit « les chrétiens », « le christianisme », « les gros », « l’homosexualité », « les chevaliers », « les chevaux », « le courage », on emploie à chaque fois un même terme pour désigner des choses différentes, mais qui ont suffisamment de points communs pour justifier l’emploi d’un générique. Nier toute pertinence aux termes « islam » ou « musulman », c’est tout simplement nier une réalité historique, sociologique, religieuse etc.

Autre signe de ma supposée islamophobie : j’ose critiquer certains aspects de l’islam actuel. Oui, il y a des aspects presque universels de l’islam contemporain et qui me semblent objectivement mauvais. Voiler les femmes ou interdire aux homosexuels de baiser me semblent être des discriminations injustes ; égorger selon le rite hallal, une forme inutile de cruauté envers les animaux ; circoncire les enfants mâles, une mutilation inacceptable ; et (aggravons notre cas) je pourrais allonger la liste.

Est-ce à dire que j’ai une peur, un rejet, un mépris ou une haine pour l’islam dans sa généralité ? Non, car j’insiste bien : je ne rejette que certains aspects de l’islam tel qu’il existe aujourd’hui. Comme le christianisme, comme toutes les religions, comme toutes les réalités humaines en fait, l’islam est un ensemble complexe qui a évolué et qui évoluera encore. Certains dans le monde musulman (rares il est vrai) se battent pour de telles évolutions.

Je ne suis donc de toute évidence pas islamophobe. Ceux qui me connaissent ou ont un peu lu ce que j’écris savent bien que, tout chrétien que je sois, je suis plus tolérant que beaucoup : pour moi, rien ne serait plus triste qu’un monde où tout le monde croirait les mêmes choses que moi. Je considère la diversité des religions comme faisant partie de l’ordre naturel des choses, et comme un moyen pour les hommes de mieux appréhender la diversité des chemins qui mènent à Dieu, au Bien.

Pour autant, je suis à l’opposé du relativisme, et je considère que tout ne se vaut pas. Par conséquent, je me réserve le droit de juger, selon mes humbles lumières morales, tout aspect d’un système idéologique, fût-il religieux ou culturel. Et j’aimerais bien qu’on arrête de me qualifier de néocolonialiste, de réac ou de fasciste quand je déclare qu’il serait bon que disparussent certaines choses objectivement mauvaises comme la corrida ou l’excision. Ou les burqas.

vendredi 3 août 2012

Plus con que la poule qui a trouvé un couteau : les élites devant un moteur économique en panne

Quand vous faites une blague vingt fois, elle cesse d’être drôle. Mais si vous la faites soixante fois, vous verrez : les gens recommencent à rire. Seulement, ce n’est pas de la blague.

C’est exactement le sketch que sont en train de nous jouer nos élites, en particulier les hommes politiques et les journalistes. Il y a eu cinquante « sommets de la dernière chance » pour l’économie mondiale, pour l’euro, pour la crise de la dette. Cinquante fois, on a eu droit juste après aux « cette fois, c’est la bonne, ils ont pris les bonnes décisions, l’économie est sauvée ». Cinquante fois, on a eu droit aux « incroyable ! finalement, c’était pas la bonne ». Non, sans blague, c’est vrai, c’était pas la bonne ? Allez, t’as gagné un paquet de BN.

Et ça continue. On est bien partis pour atteindre les soixante fois. Dans un éditorial (non signé, le ridicule ne tue plus, mais il continue à blesser gravement) du 26 juillet dernier, Le Monde (pourtant un journal un peu sérieux) s’étonnait qu’il « [faille] déchanter » et que « l’été [soit] meurtrier » alors qu’en juin « on semblait être enfin sur la bonne direction », qu’on « était […] sorti […] requinqués du sommet européen ».

Plus récemment, le ministre français des affaires européennes, Bernard Cazeneuve, jugeait « surprenante » la réaction des marchés (qui continuent de faire payer des taux prohibitifs à l’Espagne et à l’Italie) alors que (voyez l’audace !) « la BCE a rappelé son attachement à la préservation de l’euro » !

Alors là, si la BCE a rappelé son attachement à l’euro, franchement, on se demande ce qu’il leur faut de plus, aux marchés. Elle a même « dénoncé le caractère inacceptable des taux observés sur le marché de la dette de certains pays ». Ah oui. Quelle force de volonté ! Bientôt, la BCE, la Commission, le Parlement européen et tous les gouvernements nationaux ne manqueront sans doute pas de déclarer « inacceptables » la crise économique, le chômage et l’inflation, qui n’auront qu’à bien se tenir et courront probablement se cacher, la queue entre les jambes (par exemple au Brésil).

Il faut une solide couche de bêtise ou d’aveuglement pour avoir cru, en juin, que nos problèmes étaient résolus. Le moteur économique est cassé ; la croissance ne reviendra pas. Heureusement, d’ailleurs, car elle nous menait dans le mur. Nous ne serons sauvés ni par une rigueur qui nous étoufferait, ni par une relance dont nous n’avons pas les moyens et en laquelle personne ne croirait. Il faut changer de paradigme, de modèle, de système. Évidemment, ça requiert un peu plus d’audace, d’intelligence et d’imagination que ce dont disposent les gens que le peuple a portés au pouvoir.