Par un article de M le
magazine du Monde daté du 2 février dernier, j’ai appris que la startup
aérospatiale américaine Rocket Lab avait mis en orbite, le 21 janvier dernier,
une boule à facette géante. D’après l’article, « cette sphère disco kitsch
d’un mètre de diamètre, dotée de soixante-cinq panneaux réfléchissants, tourne
désormais sur elle-même et autour de la planète à une vitesse vingt-sept fois
supérieure à celle du son. […] Elle a été conçue pour devenir l’un des objets
les plus lumineux de la voûte céleste afin d’être visible par tous. »
Il s’agit, sous une apparence banale, d’un événement très grave.
L’article du Monde remarquait fort
justement que « derrière ce gadget se cache un
exploit technologique qui inaugure une nouvelle ère de la conquête
spatiale : celle où des opérateurs privés, dotés de fonds très inférieurs
à ceux qui étaient jusqu’à présent nécessaires, s’invitent dans le juteux
business du lancement des microsatellites et rendent l’espace commercialement
accessible. »
Mais le problème n’est pas d’abord
celui des profits à faire ; la question qui se pose est également celle de
la propriété de l’espace. Et la réponse est évidente : l’espace est un
bien commun à toute l’humanité – voire à toutes les espèces vivantes. Mais qu’un
bien soit commun à tous ne signifie pas que chacun puisse en faire ce qu’il veut.
En fait, cela signifie même le contraire : que chacun doit s’y interdire tout
ce qui pourrait nuire aux autres.
Or, le lancement de cet engin est à
l’évidence grandement nuisible, et ce pour deux raisons. La première est d’ordre
pratique. L’espace est déjà fortement encombré d’objets, parfois utiles
(certains satellites par exemple), parfois inutiles, voire dangereux (par
exemple de nombreux déchets). L’encombrer un peu plus, sans aucun contrôle des États
et de la collectivité, n’est de toute façon pas une bonne idée.
Mais la seconde raison est
infiniment plus grave. Le ciel nocturne a un certain aspect, et une immense
beauté. En fait, c’est une des choses les plus belles au monde. Il est beau
comme il est, et il n’est pas juste que certains puissent en changer l’aspect à
leur guise, simplement parce qu’ils en ont les moyens techniques et financiers.
Cela doit être d’une part interdit, d’autre part empêché, par la force si nécessaire.
Car ce n’est pas anodin, et il faut bien peser ce qui se joue ici. Quelques individus
s’arrogent le droit de changer ce que voient tous les autres quand ils
regardent le ciel la nuit. Comment ne pas être choqué ? Si des gens
avaient les moyens de changer la couleur des couchers de soleil et des
arcs-en-ciel, les laisserions-nous faire ?
De cela, il découle deux choses. La
première, c’est que les dirigeants d’un maximum de pays doivent se pencher sur
la question. Et ils doivent le faire de manière urgente, car le problème n’attendra
pas des décennies : c’est dans les prochaines années qu’il va se poser de
manière de plus en plus accrue. Pour l’instant, le droit de l’espace est principalement
régi par le Traité de l’espace de 1966. C’est un bon texte, mais il est
incomplet. Écrit en pleine guerre froide et à un moment où il était assez
difficile d’imaginer que de simples particuliers pussent un jour se lancer sans
financements publics dans l’aventure spatiale[1], il
développe largement la question des intérêts et des responsabilités des États,
mais reste presque muet sur ceux des individus et des ONG.
Il faut donc, dès maintenant, poser
des règles pour interdire aux particuliers, mais aussi pour que les États s’interdisent
eux-mêmes, tout ce qui pourrait nuire d’une manière ou d’une autre à l’humanité :
encombrement inutile, modification de l’aspect céleste, augmentation de la
pollution lumineuse etc. ; sans parler, évidemment, de l’utilisation de l’espace
à des fins militaires – pour l’instant, il est seulement interdit de placer en
orbite des armes nucléaires ou de destruction massive.
La seconde, c’est qu’il faut faire
respecter les textes déjà signés, et calmer les ardeurs de Rocket Lab et de
ceux qui, rapidement, voudront imiter la prouesse. Aux termes de l’article VI
du Traité de l’espace, « les États […] ont la responsabilité
internationale des activités nationales dans l’espace extra-atmosphérique, […]
qu’elles soient entreprises par des organismes gouvernementaux ou par des
entités non-gouvernementales ». Autrement dit, les États-Unis sont
légalement responsables des activités de Rocket Lab.
Faisons donc appliquer le droit, et demandons-leur de retirer cet objet
de l’espace ; et s’ils en sont incapables, demandons-leur de le détruire. Ça,
pour le coup, ils en ont les moyens techniques. Et s’ils refusent, faisons-le
nous-mêmes. Quand on y réfléchit un peu sérieusement, on s’aperçoit que ça en
vaudrait la peine.
[1]
Pour info, les moteurs de la fusée qui a lancé cette saloperie ont été
fabriqués par des imprimantes 3D…
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