mercredi 16 juillet 2014

Les femmes évêques, c'est maintenant ! (mais pas encore chez nous)

Vingt ans après avoir autorisé l’accès des femmes à la prêtrise, l’Église anglicane leur ouvre enfin les portes de l’épiscopat. Vingt ans de querelles sur la question : l’Église d’Angleterre elle-même s’est déchirée entre progressistes et traditionnalistes, mais plus largement la communion anglicane a elle aussi souffert : plusieurs Églises (aux États-Unis et au Canada par exemple) étaient très favorables à cette évolution, alors que d’autres (surtout en Afrique) y demeurent farouchement opposées.

Britishness oblige, le texte adopté par le Synode reste prudent. Les diocèses qui ne voudront pas être dirigés par une femme pourront le refuser, à condition de justifier théologiquement leur refus. Autant dire que ça a peu de chances d’arriver : les arguments théologiques contre l’accès des femmes à la prêtrise ou à l’ordination sont d’une vacuité absolue. Que le prêtre configure le Christ, soit. Mais d’une part, le fait que le Fils Se soit incarné dans un homme plutôt que dans une femme est-il à ce point signifiant ? N’est-ce pas plutôt une simple nécessité contingente de l’époque ? Et surtout, le Christ était juif, circoncis, âgé de moins de 40 ans etc. : demande-t-on à un prêtre de partager ces caractéristiques ? Il n’y a que l’habitude et la misogynie qui empêchent les femmes de devenir prêtresses : les « arguments » en faveur de cette position ne résistent pas à l’analyse.

La prudence du texte est donc purement tactique : il s’agit en fait d’éliminer le point de vue traditionnaliste sur la question tout en ayant l’air de préserver ses prérogatives et de lui donner droit de cité. L’archevêque de Cantorbéry vient de refaire à ses adversaires le coup qu’Henri IV avait asséné aux protestants avec l’édit de Nantes : viens dans mes bras que je te poignarde ! On peut prévoir qu’en Angleterre, très peu de diocèses imposeront un évêque masculin, et que dans 10 ou 20 ans, les femmes évêques seront aussi banales que les couples homos mariés (et leurs adversaires aussi exotiques que Christine Boutin). En Afrique, ce sera une autre paire de manches, mais ce n’est pas fondamental pour la question.

Je ne peux donc que me réjouir de cette évolution, moi qui la réclame à cor et à cri pour ma propre Église. Mais – allons-y pour le in cauda venenum – il y a quelque chose qui semble avoir échappé à beaucoup d’observateurs.

Les journalistes, qui aiment bien jouer à se (et nous) faire peur, ont bien parlé, dans les semaines qui ont précédé le vote, du risque qu’il présentait. Les membres du Synode n’avaient-ils pas, en 2012, rejeté à six voix près cette même évolution ? N’allaient-ils pas encore manquer d’atteindre la majorité des deux-tiers requise ? Ouhlala ! Crainte, peur, danger, suspense, tension !

En fait, c’était complètement plié d’avance. D’abord parce que plusieurs de ceux qui avaient voté non il y a deux ans avaient publiquement déclaré qu’ils se rangeaient au texte de « compromis » présenté par Welby. Même si, comme je viens de le dire, ce n’en est un qu’en apparence, les traditionnalistes lucides (c’est-à-dire ceux qui l’ont compris) avaient déjà pour la plupart accepté d’avaler la couleuvre, l’apparence de compromis étant finalement suffisante pour leur permettre de sortir du conflit la tête haute et de ne pas perdre trop de fidèles parmi les plus conservateurs.

Ensuite, et surtout – et c’est justement ce qui explique le passage de la couleuvre – parce que le Synode n’était pas du tout seul à décider. Le Royaume-Uni ignore la laïcité, et l’anglicanisme y est religion d’État. In fine, c’est donc le Parlement et la Reine qui décident ; la décision du Synode doit d’ailleurs à présent être traduite dans la loi par le Parlement. Et en l’occurrence, ce dernier avait été très clair : si le Synode s’obstinait dans son refus, il lui forcerait la main en passant directement par la loi. La résistance des traditionnalistes n’auraient donc pas pu aboutir à leur succès ; elle n’aurait abouti qu’à une crise qu’ils ne pouvaient que perdre et qui aurait abîmé l’Église tout entière.

Conclusion ? Dans notre République laïque, l’Église est parfaitement autonome de l’État, elle fait ce qu’elle veut, et continue à traiter les femmes en inférieures ; au Royaume-Uni, la société et l’État ont pu faire réellement pression sur une Église qui, parce qu’elle est liée à eux, ne peut pas se permettre l’autisme du catholicisme. Non, la laïcité n’est pas toujours facteur de progrès, et non, une religion d’État n’est pas toujours synonyme d’arriération.

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