vendredi 24 mai 2013

Monsieur Hollande, cessez de jouer au représentant de commerce du Medef !

On reproche beaucoup au gouvernement sa politique économique. Soit pour s’offusquer de son absence (les opposants au mariage pour tous ont ainsi beaucoup dit que le Président ferait mieux de s’occuper d’économie), soit pour la critiquer (Mélenchon et consort n’ont pas de mots assez durs pour toute l’équipe gouvernementale).

Sur ce chapitre, je suis plutôt indulgent, en général, avec l’exécutif. Je suis le premier à dire qu’on ne peut pas vraiment lui reprocher de ne pas trouver de solution à la crise économique, puisqu’il n’y a pas de solution. Il y aurait bien une issue strictement économique, qui est plus ou moins celle proposée par le Front de Gauche : se déclarer en défaut de paiement, donc assumer que la France ne remboursera pas sa dette. À partir de là, plus personne ne prêterait à la France pendant plusieurs années, probablement même pendant une décennie ; mais ce ne serait pas très grave, puisque le premier poste des dépenses au budget, à savoir, justement, le remboursement de la dette, aurait disparu. Cela ne suffirait pas à combler le déficit public du pays ; mais on pourrait rattraper la différence en taxant très lourdement les hauts revenus et les gros patrimoines (grosso modo, comme le propose Jean-Luc Mélenchon, tout prendre au-delà de quelques centaines de milliers d’euros).

Cependant, cette « solution » purement économique ne serait pas une réponse adaptée à la crise, car elle aurait des conséquences insupportables. D’abord l’exclusion immédiate du marché commun, alors que nous avons laissé notre économie dépendre de l’Union européenne ; ensuite une révolte des plus riches qui, si on leur interdisait réellement (c’est-à-dire en s’en donnant les moyens, donc par la force) l’exil fiscal, n’hésiteraient pas une seconde, avec le probable soutien de l’armée, à plonger le pays dans la guerre civile (ne nous y trompons pas, ils en ont les moyens).

Bref, en règle générale, j’évite de trop taper sur la politique économique de François Hollande, et je demande à ceux qui m’en parlent : « et vous, vous feriez quoi, exactement, à sa place ? ». Mais il y a des choses qu’on ne peut laisser faire de sang-froid.

Déjà, j’avais été passablement énervé par l’abandon de l’alignement de la fiscalité du capital sur celle du travail. J’avais trouvé que Hollande avait renoncé bien vite face au mouvement des « pigeons ». C’était décevant. Et puis il y avait eu l’affaire de la taxe à 75% sur les revenus supérieurs à un million d’euros.

Pour moi, cette taxe était importante. Déjà, parce qu’elle était évidemment juste : rien, rien au monde ne justifie que quelqu’un gagne un million d’euros par an quand le SMIC annuel est à peine supérieur à 17 000€. Aucun talent, aucun génie, aucune formation, aucune utilité sociale, aucune responsabilité, aucune pénibilité ne justifient que quelqu’un gagne 60 fois plus que quelqu’un d’autre. Et encore, quand on dit 60 fois plus, on reste souvent en-dessous de la réalité, puisque certains gagnent 2, 3 ou 10 millions d’euros par an, donc 120, 180 ou 600 fois plus qu’un smicard. Que ces gens payent (non pas sur la totalité de leur revenu, il faut le rappeler, mais seulement sur la tranche supérieure au million) 75% d’impôts, rien de plus juste. C’est même, à dire le vrai, bien en-dessous de ce qu’il faudrait leur prendre.

Si, en plus, on ajoute le fait que nous sommes en période de crise, et donc qu’il est encore plus normal de demander un effort particulier aux plus riches ; et encore le fait qu’il s’agissait d’une mesure phare de François Hollande, mesure qu’il avait lui-même empreinte d’une symbolique particulière et qui lui avait probablement apporté un soutien populaire certain, on comprend à quel point sa réalisation était importante.

Sur quoi cette réforme a-t-elle achoppé ? Saisi par les députés UMP, le Conseil constitutionnel avait censuré la loi, au motif que la taxe s’appliquait sur le revenu des personnes physiques, alors que l’impôt sur le revenu est prélevé par foyer. Rien à redire à la censure des Sages, elle est on ne peut plus normale. On peut dire évidemment que la faute revient aux députés UMP qui ont saisi le Conseil (et en effet, merci les défenseurs des riches) ; mais enfin, les torts sont quand même partagés. Il est curieux, très curieux, que la loi ait été si mal préparée, tant l’erreur était évidente. Et il est encore plus curieux qu’elle ait abouti à un renoncement. Normalement, le gouvernement aurait dû immédiatement refaire un projet de loi, en asseyant la nouvelle taxe sur le revenu de chaque foyer. La réforme aurait pu passer ; la crise économique n’en serait pas moins là, mais l’engagement aurait été tenu, le symbole aurait été affiché, et notre fiscalité aurait été un peu, un tout petit peu plus juste.

Au lieu de ça, la nouvelle proposition du gouvernement a de quoi surprendre : certes, la taxe est maintenue ; mais elle ne sera plus payée par les salariés concernés mais par leur employeur.

Mais qu’est-ce que ça veut dire, grands dieux ? On n’arrête pas de nous bassiner avec le fait que les entreprises françaises ne seraient pas assez compétitives ; on justifie avec cet argument bidon les réformes les plus rétrogrades, les plus dures pour ceux qui sont déjà les plus fragiles de notre société ; et là, plutôt que de faire payer des gens qui, justement parce qu’ils gagnent beaucoup, auraient les moyens de payer des impôts élevés, on rajoute encore une taxe sur ces mêmes entreprises !

Alors je veux bien que la crise économique à laquelle nous sommes confrontés soit de fait insoluble sans entraîner une période de violence et de chaos ; je veux bien que les « partis de gouvernement » soient mous, sans idées et peu résolus ; mais enfin les petits pas qu’ils font, ils peuvent quand même les faire dans la bonne direction. Surtout quand ils se disent de gauche. Ou alors, il faut être franc, tomber les masques, dire officiellement qu’on est de droite et que les riches seront, sinon franchement privilégiés, du moins jamais inquiétés.

Comme ça, le peuple saura à quoi s’en tenir, et Marine le Pen pourra gagner tranquillement la prochaine présidentielle. Ouaaaaiiiis…

3 commentaires:

  1. Il ne peut pas y avoir de solution quand il n'y a pas de problème.

    Nous ne sommes pas en crise, nous sommes sur un mode gouvernemental routinier qui instrumentalise la rhétorique de la crise pour continuer son agenda néolibéral. Et c'est tout.

    Donc bien sûr que l'on peut faire autrement. Lordon, sur la question du défaut, était particulièrement percutant, j'ai trouvé.

    Après, ce n'est que mon avis. Mais pitié, marre d'entendre ce "hollande n'a pas le choix", "c'est la faute à la crise". C'est vraiment la faute à ce qui nous arrange tant qu'on n'est pas obligé d'ouvrir les yeux.

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  2. @PGP alors j'attends vos solutions pour que le Président impulse une politique de gauche au niveau européen. EN effet, il parait utile de rappeler qu'une partie de la souveraineté économique revient à l'UE, principalement dirigée par des libéraux. Des idées ?

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  3. Oui.

    1. Abrogation de l'article 123 du traité de Lisbonne.
    2. Ramener la BCE et la monnaie dans la "dépendance" des Etats.
    3. Pratiquer une véritable politique sociale (à partir d'un traité ayant force de loi, comme ça existe au niveau économique) au niveau européen alignée sur le mieux-disant et non l'inverse (pour la simple raison que ça y est, presque tous les économistes reconnaissent que le multiplicateur keynésien fonctionnerait à plein).
    Commençons par ça.
    4. Le PSE vote à 98% comme le PPE. Donc, rien à attendre de ce côté là.

    Au niveau national : répartir les richesses. Taxer à 100% les revenus dépassant un certain seuil, criminaliser la fraude fiscale et l'exil fiscal...

    Mais SURTOUT :
    OU baisser le temps de travail à 32 ou 30h (pour s'adapter à la production réelle)
    OU instaurer comme le prévoit une ICE actuellement, un revenu de base inconditionnel. Je t'invite par ailleurs à la signer : http://revenudebase.info/initiative-citoyenne-europeenne/

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