dimanche 5 février 2012

Requiem pour le livre

Je lisais dernièrement dans Le Monde des livres (!), sous la plume d’Yves-Charles Zarka, que « d’opposer le livre imprimé au livre électronique » serait un « combat d’arrière-garde, perdu d’avance ».

Pour ma part, je n’en suis pas si sûr. Le combat semble évidemment rude, mais j’espère qu’il peut être en partie gagné.

Le reste de l’article se lamentait – et je ne peux qu’approuver – sur la déchéance et la dépréciation dont le livre est la victime. Mais outre toutes les bonnes raisons que donnait Zarka de défendre ce noble objet (rôle des librairies pour la vie intellectuelle ou pour celle des villes et des quartiers, etc.), je crois qu’il faut aller plus loin et ne pas céder sans réfléchir à l’appel de la liseuse ou du livre électronique.

Commençons par tordre le cou à quelques idées reçues (et bien ancrées). Le livre électronique ne met pas la culture à la portée de tous : même électronique, un livre reste payant, et pas beaucoup moins cher qu’un livre imprimé (surtout si l’on se souvient que les bibliothèques ont longtemps permis d’avoir accès aux livres gratuitement). L’appareil nécessaire pour lire le livre numérique est en outre souvent assez cher.

Le livre électronique n’est pas non plus écologique : bien sûr, les livres imprimés le sont sur du papier ; mais ils pourraient très bien l’être exclusivement sur du papier recyclé, alors que les liseuses et les ordinateurs ont un coût écologique terriblement élevé.

Enfin, et c’est là une question beaucoup moins souvent soulevée : le livre électronique est infiniment fragile et donc peu durable. Bien sûr, tant que la civilisation actuelle tient, il tient aussi. On trouve toujours de quoi le lire. Mais dans l’avenir ? L’illusion selon laquelle les civilisations (en particulier la nôtre) seraient éternelles est si profondément enracinée en nous qu’il est bien difficile de la combattre ; mais elle n’en est pas moins une illusion. A plus ou moins long terme, rien ne garantit la pérennité des ordinateurs, d’Internet ou même de l’énergie facilement disponible. Un effondrement civilisationnel est en fait probable étant donné la Crise que nous affrontons. Il se peut très bien que nous, ou nos enfants, ou nos petits-enfants (je ne pense pas que ça arrivera après ce terme) voient un monde où tout cela aura purement et simplement disparu, ou sera devenu extrêmement difficile d’accès.

Or, les livres sont importants. Ils renferment le savoir de l’humanité, ce savoir dont nous aurions précisément tout particulièrement besoin si la civilisation telle que nous la connaissons venait à s’effondrer. Ne nous en remettons donc pas, ou pas entièrement, à l’électronique et au numérique : le papier sera encore là quand ils auront disparu. Et même sans électricité pendant deux mois, avec un livre imprimé, vous pourrez toujours lire Hugo ou distinguer une ciguë d’une carotte.

1 commentaire:

  1. Tu te doutes bien que moi, heureux possesseur d'une tablette, ne peux que réagir à tes propos :
    - Sur le coût écologique : je suis d'accord. ça tombe sous le coup, très malheureusement, des règles relative à l'obsolescence programmée (sinon, je serais plus mesuré).
    - sur le coût tout court. Damn true. Mais encore une fois : le piratage, via alexandriz notamment, rend les choses plus simples.

    Et je ne souhaite pas la disparition du livre papier, il est effectivement trop précieux pour être abandonné. Quant à "tout le savoir de l'humanité", le pendant est que malheureusement, ils contiennent aussi "toute la bêtise de l'humanité". Et encore, on n'a pas exploré toutes les conneries que l'on pouvait faire.

    Par contre, je comparerais ces outils à des bibliothèques, non aux livres. C'est l'accès, dématérialisé et déterritorialisé, à la culture. Mais c'est aussi une réponse aux industries culturelles (en surproduction) : nous sommes des consommateurs de livres ou de BD, et plus des lecteurs. Je lis une BD, hop, je l'efface. Alors que l'objet papier, je le garde, même si je ne le relirai jamais (et on en sort 100 que je ne lirai jamais mais qui seront publiées, coûteront des arbres et surtout de l'encre, tout ça). C'est un grand gâchis. Mais il est lié aux structures de production ainsi qu'au jeu social de la distinction.

    Voilà la belle citation de la team Alexandriz, issue d'un discours de Hugo : "Le livre, comme livre, appartient à l'auteur, mais comme pensée, il appartient -le mot n'est pas trop vaste- au genre humain. Toutes les intelligences y ont droit. Si l'un des deux droits,le droit de l'écrivain et le droit de l'esprit humain, devait être sacrifié, ce serait, certes,le droit de l'écrivain, car l'intérêt public est notre préoccupation unique, et tous, je le déclare, doivent passer avant nous"
    Victor Hugo,
    Discours d'ouverture du Congrès littéraire international de 1878.

    RépondreSupprimer